Entretien avec le TRP Serge-Thomas Bonino, Dominicain, Secrétaire Général de la Commission Théologique Internationale, Président de l’Université Pontificale Saint Thomas d’Aquin
Qu’est-ce que l’épreuve des anges ?
Dieu a créé tous les anges dans un état de perfection naturelle, y compris ceux qui allaient devenir les démons. Mais le projet de Dieu était d’appeler les anges à partager sa propre vie divine, à entrer dans sa propre communion trinitaire. Les anges ont dû répondre à cet appel de Dieu par un acte de foi.
- – Certains anges ont fait cet acte de foi, de grande confiance, de remise de soi à Dieu : ce sont nos bons anges.
- – Certains anges ont refusé et se sont repliés sur eux-mêmes : ce sont ceux que nous appelons les mauvais anges ou les démons.
Pourquoi parle-t-on de bons et de mauvais anges ?
Les démons sont des êtres mauvais que l’on trouve dans à peu près toutes les cultures et les religions. Pour le christianisme, le défi était d’expliquer la présence de ces êtres mauvais dans une Création qui est sortie bonne des mains de Dieu. Du point de vue chrétien, il est impossible de penser que Dieu aurait créé des démons c’est-à-dire des êtres mauvais per nature. Si l’homme créé bon par Dieu a aujourd’hui un penchant au mal, c’est qu’un péché est intervenu, le péché originel. Dans le cas des anges c’est un peu la même chose. Il y a dû y avoir à l’origine un acte par lequel des anges qui avaient été créés bons par Dieu se sont eux-mêmes rendus mauvais. L’Église catholique a défini, lors de plusieurs conciles médiévaux, que les démons n’étaient pas mauvais par nature mais s’étaient rendus mauvais en raison d’un choix pervers de leur volonté.
La décision d’un ange ou son jugement sont-ils définitifs ?
Oui, en raison de la nature même de l’ange. La différence entre l’ange et l’homme tient au fait que l’homme se construit dans le temps, il a toute la vie pour construire ce qu’il sera dans l’éternité. Il est donc rarement tout entier dans ses décisions. Celles-ci n’engagent souvent qu’une partie de lui-même tandis que l’ange, étant spirituel, simple, c’est-à-dire sans parties, est tout entier dans ce qu’il fait. Le choix que l’ange pose, qu’il soit positif ou négatif, est forcément un choix définitif.
L’homme est comparable au fer qu’un artisan est en train de forger : tant que le fer est incandescent il peut changer de forme. Mais au moment où l’artisan le plonge dans l’eau le fer forgé prend une forme définitive. Ce moment dans lequel le fer est plongé dans l’eau, correspond pour nous à l’heure de notre mort. Tels que nous sommes à l’heure de notre mort, tels nous serons pour l’éternité. Pour l’ange, le choix posé au moment de l’épreuve est un choix définitif qui l’engage pour l’éternité.
La miséricorde de Dieu s’applique-t-elle aussi aux anges ?
Miséricorde peut s’entendre en un sens large ou en un sens précis.
Au sens large, on peut appeler miséricorde tout don de ce qui n’est pas dû en justice. On peut donc dire que la Création des anges est une œuvre de miséricorde de la part de Dieu. De même, l’appel que Dieu lance aux anges de participer à sa propre vie est un acte de miséricorde.
Mais si on prend miséricorde au sens précis de pardon des péchés, il n’y a pas de miséricorde pour les démons, non pas par un défaut de Dieu, non pas parce que Dieu ne voudrait pas faire miséricorde, mais parce que Dieu respecte la nature de l’ange. Or, il est dans la nature de l’ange d’être tout entier dans ce qu’il fait et de s’y tenir.
Dieu fait miséricorde lorsqu’une volonté de conversion se manifeste. Dans le cas du démon, il n’y a aucune volonté de conversion. Le démon s’obstine dans son refus de Dieu. Il n’y a donc pas de miséricorde possible.
Quelle est l’origine de ce « non serviam » que Lucifer, le diable ou le démon a prononcé au moment de l’épreuve ?
Le péché de l’ange, c’est le péché chimiquement pur.
Nous, quand nous commettons des péchés, nous avons toutes sortes de « circonstances atténuantes » : on est fatigué, on n’est pas très malin ni très intelligent. Ce qui n’enlève rien à la gravité du péché mais peut l’expliquer.
Dans le cas du futur démon, nous avons affaire à un ange, une créature parfaitement intelligente, tout à fait réussie. Comment une créature de ce type peut-elle commettre un péché ?
Il ne peut pas s’agir d’un péché de la chair, d’un péché de faiblesse. Ce ne peut être qu’un péché spirituel.
On a pensé à un péché de jalousie ou d’envie à l’égard des hommes. Les intentions de Dieu à l’égard de l’homme auraient en quelque sorte rendu certains anges jaloux.
Mais la théorie la plus profonde est celle qui voit dans le péché de l’ange un péché d’orgueil. Lorsqu’il a été appelé à la vie surnaturelle, l’ange a méprisé la proposition de Dieu pour deux raisons :
– la première raison est qu’il fallait tendre la main pour recevoir le don de Dieu. L’ange a préféré en rester à ce qu’il possédait par lui-même plutôt que de recevoir quelque chose de mieux, mais en tendant la main. C’est typique de l’orgueil.
– La deuxième raison c’est que dans l’ordre surnaturel les hiérarchies naturelles s’effacent. Sur le plan naturel, un ange est infiniment supérieur à l’homme. Sur le plan surnaturel, une jeune femme comme Marie de Nazareth est infiniment au-dessus de tous les anges.
Dans l’ordre surnaturel l’ange perd sa supériorité. Son orgueil ne le supporte pas, en tout cas chez certains d’entre eux.
Dieu a appelé les anges à entrer dans un ordre supérieur où ils sont comme les autres. Certains ont préféré rester supérieurs aux autres dans l’ordre naturel.
Pourquoi appelle-t-on la Très Sainte Vierge Marie la reine des anges ?
Le jour de l’Assomption, nous chantons sur tous les tons que la Très Sainte Vierge Marie a été élevée au-dessus de tous les chœurs des anges.
Bibliographie – Pour aller plus loin :
– Catéchisme des Anges – Dom Gérard – Éditions sainte Madeleine
– Les anges et les démons : Quatorze leçons de théologie catholique – Serge-Thomas Bonino – Éditions Parole et Silence
– Anges et démons – Dom Bernard-Marie Maréchaux – Éditions Bloud & Cie.