Entretien avec Nicolas Jeanson,
vice-président fondateur de l’Institut de Formation de Management respectueux des Personnes (IFMP)
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Quelle différence existe-t-il entre l’intérêt général et le bien commun ?
Comment peut-on différencier bien commun et intérêt général ?
Commençons par le bien commun. Nous avons la chance d’avoir une très belle définition proposée par la Doctrine Sociale de l’Église :
« le bien commun c’est l’ensemble des conditions sociales qui permettent tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres d’atteindre leur perfection d’une façon plus aisée et plus totale. » (CEC n°1906)
En une seule phrase, un univers absolument passionnant s’ouvre, avec une ambition extraordinaire puisqu’il est question ni plus ni moins que de perfection, perfection des groupes et perfection des personnes. Évoquer le bien commun, c’est souligner le développement intégral, l’épanouissement des groupes comme des personnes, dans une dynamique qui correspond au plan de la Création. Pourquoi existons-nous, sinon pour marcher vers le Seigneur, source et fin de tout bien ?
Mais il nous faut également définir le bien, différent des biens. Le bien est ce qui permet à tout être d’atteindre ce pourquoi il est fait. Le bien n’est pas nécessairement ce qui nous plaît, mais ce qui, en conformité avec notre nature, va nous permettre d’atteindre pleinement, totalement ce pourquoi nous sommes faits, dans toutes les dimensions de notre être, corps, esprit et âme.
Un autre commentaire doit être fait sur la position respective des groupes et des personnes. Pourquoi la Doctrine Sociale de l’Église mentionne-t-elle la perfection des groupes avant la perfection des personnes ? Parce que nous ne naissons pas dans un univers vide. Nous naissons dans un univers qui est déjà peuplé de tout un ensemble de groupes, à commencer par les familles. Et nous ne pouvons nous développer qu’en prenant racine dans les communautés de proximité qui nous sont nécessaires. Et c’est pourquoi, il y a une forte interdépendance, une forte connexion entre le bien des groupes et le bien des personnes.
Un dernier commentaire enfin sur « les conditions sociales ». La Doctrine Sociale de l’Église nous invite à mettre notre énergie pour réunir toutes les conditions qui sont nécessaires pour parvenir au bien commun. Cependant, si les conditions d’obtention du résultat souhaité sont nécessaires, elles ne sont pas suffisantes. Il appartiendra toujours à chaque personne de faire usage de sa propre liberté pour déterminer son chemin.
Les notions de bien commun et de communautés d’appartenance viennent d’être évoquées mais concrètement comment peut-on distinguer le bien commun et l’intérêt général ?
L’intérêt général est souvent défini comme la somme des intérêts particuliers. Mais on voit bien que, dans la pratique, interpréter la somme des intérêts particuliers pose tout une quantité de questions. Comment juger de ce qu’est l’intérêt général, notamment dans notre société où l’individualisme règne de plus en plus en maître ? Comment être sûr que les décisions qui sont prises vont être conformes à l’intérêt général alors que chacun estime être le centre de ses propres valeurs ? Alors, une autre définition de l’intérêt général a fini par s’imposer dans le champ politique : c’est la représentation d’un intérêt global qui va s’imposer à l’intérêt de chacun au nom de l’harmonie du fonctionnement d’une communauté politique. Cet intérêt est fluctuant dans le temps : il dépend de l’évolution des mentalités, de l’évolution de la culture, de l’évolution des mœurs et de l’évolution de l’opinion et des rapports de force politique.
Et donc, on pourrait dire que l’une des différences principales entre le bien commun et l’intérêt général, c’est que le bien commun s’enracine dans la nature humaine, dans la loi naturelle. Il s’incarne dans quelque chose qui ne change pas et vise au bien intégral de chacun et au bien de tous. C’est-à-dire que personne n’est laissé sur le bord de la route, alors que l’intérêt général fluctue au gré de majorités, et viserait davantage à l’amélioration des conditions matérielles d’existence.
Alors comment s’incarne le bien commun ?
Le bien commun passe d’abord par le respect de la personne, la dignité de la personne, c’est-à- dire par tout ce qui contribue à respecter les personnes en tant qu’êtres humains créés par Dieu, pour Dieu, capables de Dieu. Pratiquement, vont dans ce sens-là, toutes les lois et règles, tous les systèmes qui permettent effectivement de garantir à chaque personne qu’elle sera respectée dans sa dignité. Il faut ajouter évidemment le développement économique, qui permet à chacun d’avoir accès à des moyens d’existence convenables pour soi et sa famille. Et puis le troisième point très important est la paix. Tout ce qui contribue à créer des conditions d’existence harmonieuse entre les différentes communautés est effectivement un signe du bien commun dont on a immensément besoin.
Est-ce qu’on peut considérer le bien commun comme supérieur au bien de la personne, de son bien propre ?
Bien commun et bien la personne sont complètement connectés et interdépendants. Je ne sais pas si on peut parler d’une supériorité. Le bien commun est d’ordre politique, il se réalise au travers de communautés de toutes sortes, à commencer par les familles. Ceux qui sont en charge des communautés de proximité, que sont les corps intermédiaires : les chefs d’entreprise, les maires de communes, les acteurs politiques, jusqu’au président de la république, sont en charge du bien commun dans la mesure où ils ont des pouvoirs structurants pour l’organisation de la vie sociale.
Mais la Doctrine Sociale de l’Église nous rappelle que si le développement de tous et de chacun est visé, tout devrait être ordonné au développement de chaque personne et l’épanouissement de chaque personne dans le cadre de sa vocation propre.
Alors tu as parlé de l’autorité : du maire, du président de la république, toute personne en charge d’une communauté, est-ce que cette autorité a aussi un devoir de faire respecter ce bien commun ?
J’aurais envie de répondre à l’envers. Pourquoi, dans notre société, acceptons-nous de remettre une partie des pouvoirs qui nous appartiennent à ce qu’on appelle une autorité politique ? Pourquoi acceptons-nous d’être dirigés politiquement sinon parce que nous espérons que nos dirigeants vont se préoccuper du bien commun, c’est-à-dire du bien de chacun et du bien de tous. Et donc, la question du bien commun est une très vieille question philosophique et politique, c’est la question de la finalité du pouvoir politique et de sa légitimité. Quelle est la finalité du pouvoir politique sinon de rechercher le bien de tous ?
Alors Comme on l’a vu ensemble le bien commun concerne tout le monde. Nous sommes tous membres de la société. De façon générale est-ce que ça veut dire aussi que chaque individu, chaque personne doit être au service du bien commun ?
Oui bien sûr. Chaque personne doit être au service du bien commun et pour des raisons assez faciles à comprendre. Nous vivons en société, nous avons besoin les uns des autres et donc tout ce que nous faisons a potentiellement des conséquences positives ou négatives sur les personnes qui nous entourent. Et donc, là où nous sommes, nous participons par nos actions, par nos décisions, par nos comportements, par nos discours, à la construction du bien commun. Et puis, s’il fallait trouver une règle d’or à l’appui de cette responsabilité individuelle, on la trouverait évidemment dans les Évangiles : « tout ce que vous voudriez que les autres fassent pour vous faites-le pour eux ».
Et en fait, on a là la définition d’une vie en société, d’interdépendance, de solidarités réciproques où chacun en fait se préoccupe du bien de l’autre et de son bien propre également.
En fait en langage spirituel ou plutôt en termes spirituels c’est faire acte de charité finalement ?
Oui, ce ne serait pas mal si on y arrivait un petit peu plus tous les jours…
Bibliographie – Pour aller plus loin :
– « Comment construire la civilisation de l’amour » Père Marc-Antoine Fontelle – Éditions Téqui.
– « Et pourquoi pas ? » Entretien avec François Michelin Ivan Levaï et Yves Messarovitch – Éditions Grasset