Entretien avec le Père Jean-Baptiste,
maître de choeur de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault
Le Grégorien : comment cela marche ?
Le chant grégorien est-il réservé aux seules moines ou religieux ou a t-il également toute sa place dans les offices en paroisse ?
Le chant grégorien a toute sa place en paroisse puisque il est le chant propre de l’Église romaine1, c’est ce qu’avait voulu Saint Pie X par sa réforme de la liturgie et du chant en particulier, avec son Motu Proprio « Tra le sollecitudini2 ». Le chant grégorien est donc destiné à tous les fidèles. Il est d’expérience que « la première manière d’intéresser les fidèles, les foules spécialement, à la liturgie, c’est de les faire chanter. L’esprit s’empare des individus dans le chant collectif, stimule leur enthousiasme et élève leurs cœurs à l’unisson vers les régions supérieures où la liturgie doit les entraîner3. » Le grégorien excelle à élever les âmes vers Dieu.
Comment est-il possible de décrire, caractériser ce chant très particulier? S’agit-il d’un chant a cappella ?
Le chant grégorien est un chant monodique, c’est-à-dire à l’unisson, d’une seule voix. Sa ligne mélodique est simple : la mélodie avance souvent par degrés conjoints. Cependant son univers modal est beaucoup plus riche que celui de la musique classique. Ce chant peut paraître austère pour des oreilles peu habituées, mais il se révèle d’une richesse inépuisable dans sa sobriété même. Normalement chanté a cappella, il est parfois accompagné, au grand dam des puristes. L’orgue a l’avantage de soutenir le chœur pour la justesse, mais il est vrai que les mélodies sont plus pures et plus belles a cappella.
Le grégorien est-il toujours interprété à partir d’un texte latin ?
Le chant grégorien est indissociable du latin car il s’est construit à partir de la langue latine. C’est une question technique, l’accentuation latine est particulière et le grégorien est construit sur cette accentuation.
Les mots hébreux (hosanna, amen, alléluia…) et grecs (kyrie eleison) de la liturgie ont été latinisés. Il n’est pas possible de chanter le grégorien en français car l’accentuation du français n’est pas la même que celle du latin. Certaines langues s’y prêtent davantage : en Hongrie les mélodies grégoriennes sont parfois chantées en langue vernaculaire. Mais ce n’est pas possible en français, et il vaut mieux s’en tenir au latin.
Pouvez-vous nous donner quelques explications pratiques, concernant :
-l’accentuation ?
Il faut penser l’accent latin comme un élan. La syllabe accentuée dynamise le mot : il faut la penser comme la syllabe qui attire à elle les syllabes qui la précèdent, et de laquelle découlent celles qui la suivent, sans rien bousculer. C’est ainsi que l’accent est « l’âme du mot », il organise le flux oratoire.
1 Cf. Sacrosanctum Concilium n° 116.
2 22 novembre 1903.
3 Dom Olivier ROUSSEAU, Histoire du mouvement liturgique, Cerf, Paris, 1945, p. 165-166.
– le rythme.
Si on veut suivre la méthode de Solesmes, les règles sont données dans le 800. Le rythme est « l’ordonnance du mouvement » selon Platon. Il se définit par la relation entre un temps à l’élan et un temps au repos. Le grégorien se caractérise par l’indivisibilité du temps premier, c’est-à-dire que chaque note correspond à la valeur (relative) d’une syllabe, et ce temps premier va constituer l’unité de base de la rythmique. La note en grégorien vaut un temps, mais ce temps simple n’est pas divisible, contrairement à la musique classique. Par contre il va se regrouper avec un ou deux autres temps simples, pour former des temps composés binaires ou ternaires.
Le rythme grégorien est un rythme libre, par opposition au rythme mesuré de la musique classique. Cela signifie qu’il est construit par le mélange de rythmes binaires et ternaires. Mais il importe surtout de veiller à l’unité de toute la pièce, ce qui constitue le grand rythme.
Nous trouvons sur une portée grégorienne moderne des signes rythmiques, par exemple :
- Des points mora. Le point double la valeur de la note.
- Des épisèmes verticaux (petits traits sous certaines notes. Ces signes sont propres à laméthode de Solesmes. Le rythme grégorien selon la méthode de Solesmes est construit sur un mélange de rythmes binaires et ternaires. L’épisème vertical ou ictus indique le premier temps de ce rythme.
- Des barres. Il n’y a pas de barre de mesure comme en musique classique, mais les barres en grégorien indiquent la ponctuation rythmique de la pièce (ses divisions).
- Il faut mentionner également les épisèmes horizontaux, qui sont davantage des signes d’expression que des signes rythmiques. Ils indiquent une nuance expressive.
La notation spécifique du grégorien ? Qu’appelle-t-on les neumes ?
La notation grégorienne est assez simple. Elle n’utilise que la gamme diatonique naturelle (gamme de Do majeur), dans sa notation actuelle. Seul le Si peut être affecté du bémol. La portée n’a que 4 lignes, et les clés utilisées sont la clé de Do et la clé de Fa.
Un neume est un groupe de deux notes ou plus, qui se chante sur une seule syllabe et en un seul souffle (pneuma en grec).
Bibliographie – Pour aller plus loin :
-Dom Joseph Gajard, La Méthode de Solesmes, ses principes constitutifs, ses règles pratiques d’interprétation, Desclée, 1956.
–Schola Saint-Grégoire, Laus in Ecclesia, Apprendre le Chant Grégorien, t. 1 et 2, Traditions Monastiques, Flavigny-sur-Ozerain, 2011 et 2016.
-Schola Saint-Grégoire, Précis de chant grégorien, 1994.
–Conférences de Chant Grégorien aux sessions de la Schola Saint-Grégoire, 1993-2006, par Dom Adolphe Le Méhauté, moine de Solesmes, Schola Saint-Grégoire, éd. Petrus a Stella, Fontgombault, 2016.