Entretien avec Hervé Rolland,
de Notre Dame de Chrétienté
Comment faut-il considérer le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel ? Pouvoir temporel et pouvoir spirituel : comment peut-on définir ces deux termes?
Commençons par nous rappeler la première phrase de la Bible, le fondement par excellence : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre ». Ce n’est pas pour rien que c’est la première phase de la Bible : toute notre vie est inscrite sous une double lumière, celle du Ciel celle de la terre. Confirmation dans la prière par excellence, celle que le Christ nous donne, le Notre Père, qui s’articule de la même façon : « que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. »
C’est fondamentalement la double lumière de notre vie, règle d’harmonie en nous. Du reste, nous savons bien, nous chrétiens, que notre programme de vie se résume au titre d’un ouvrage bien connu : “L’imitation de Jésus-Christ”.
Le Christ est vrai Dieu et vrai homme, les deux natures du Christ. Cette double nature s’applique aussi à nous, il y a notre vie naturelle et notre vie spirituelle, la vie de la grâce, en particulier la vie des sacrements qui fait que nous avons, nous aussi, une vie complète et harmonieuse.
Est-ce une référence au passage de l’Évangile où il nous est dit « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » ?
Il faut bien lire ce passage de l’Évangile à la lumière de la doctrine de l’Eglise qui est d’établir une distinction entre les deux ordres, celui de la nature (César) et celui de la grâce (Dieu).
C’est bien une distinction et non pas une séparation, comme on l’entend trop souvent, et malheureusement parfois dans les milieux chrétiens. Il ne peut pas y avoir de séparation : nous ne sommes pas comme des entités pures qui se couperaient en deux. Nous sommes un seul et même être vivant sous cette double lumière. Idem pour les groupes ou les sociétés.
L’une des illustrations bien connue, c’est quand nous prenons une décision. Nous le faisons sous une double lumière : la prudence et la conscience. Bien sûr, certaines décisions sont du pur domaine de César (le Code de la route, par exemple). Toutefois, bien des décisions politiques, en particulier dans le domaine moral, concernent César et Dieu. Ainsi l’avortement, ou les lois récentes contre le mariage, ou encore les risques de lois autorisant l’euthanasie. Il faut bien respecter la distinction entre Dieu et César, mais ne jamais oublier ce que César doit à Dieu.
Est-ce aussi référence à l’échange entre Jésus devant Pilate parlant du pouvoir ?
Exactement, car tout pouvoir vient de Dieu. Et le Christ dit à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut ». Mais la légitimité d’un pouvoir, c’est sa capacité à s’exercer en vue du bien commun. Sinon, il n’oblige pas.
Pilate pour nous restera invraisemblablement mystérieux puisque il pose la question inouïe au Christ : « Donc, tu es roi ? ». Le Christ lui répond : « Tu l’as dit, je suis roi, voilà pourquoi je suis né, pourquoi je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité. Quiconque est de la vérité entend ma voix. ». Comment un homme, un grand chef politique et militaire a-t-il pu manquer une telle phrase du Christ ? Le Christ lui disait tout : ‘les deux pouvoirs, la Vérité, tu les as devant toi’ !
Pilate représente le pouvoir temporel. Est-ce que c’est une bonne chose que justement, il y ait une séparation des pouvoirs ?
Faisons attention aux mots. Séparation des pouvoirs c’est effectivement le laïcisme qui est un extrême. Un autre extrême, c’est celui de l’islam qui est confusion du monde spirituel et du monde de la citoyenneté. En islam, on est un citoyen que si on est musulman. Sinon on est un demi-croyant, ce qu’on appelle un dhimmi.
Donc il y a deux extrêmes :
– confusion du spirituel et du temporel, cas de l’islam.
– séparation absolue, c’est le laïcisme.
L’harmonie entre les deux pouvoirs s’appelle la Chrétienté.
En fait, on a eu aussi un exemple récent dans l’interdiction des crèches ?
Oui et d’ailleurs, on s’aperçoit que la jurisprudence n’arrive pas à s’établir puisque vous avez un certain nombre de tribunaux qui ont dit que c’était parfaitement possible. C’est qu’il y a à la fois une tradition et un rappel du caractère chrétien de la France. L’interdiction des crèches c’est vraiment le laïcisme porté à son plus grand degré d’extrémisme. Il n’est dit nulle part, puisque justement il y a distinction, que l’on n’a pas le droit de manifester publiquement sa foi. Vouloir limiter la foi au domaine privé, c’est un extrémisme à combattre.
Le danger de la séparation entre spirituel et temporel, le danger du laïcisme, Chesterton, le poète et écrivain britannique, nous l’a déjà annoncé : « Si vous retirez le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel ». Ce qui reste, cela s ‘appelle la barbarie. Il n’y a qu’à voir les banlieues quand elles commencent à s’échauffer ou, dans un tout autre domaine, la délinquance en col blanc. On a vu l’invraisemblable nombre de responsables politiques qui trichent: entre beaucoup d’autres, un ministre du budget qui viole la loi, cache son argent et ment publiquement !
Notre première finalité n’est-elle pas de nous mettre au service du Christ Roi, qui doit régner sur les âmes et les nations ? Quel rôle doit jouer le pouvoir temporel ?
Le Christ Roi doit régner, comme l’enseigne l’encyclique « Quas Primas ». Il est roi de deux façons : par naissance, car il est le fils de Dieu et par conquête. Il nous a conquis, rachetés par le sacrifice de sa Passion : nous lui appartenons doublement.
L’autorité temporelle doit s’exercer en vue du bien commun, établir une juste hiérarchie des valeurs, juste hiérarchie des biens communs, jusqu’au bien commun ultime, la vision béatifique pour l’éternité. Ceci afin que chacun se développe selon ses dons, ses vocations. Faire de chacun un être complet, harmonieux entre Nature et Grâce, entre césar et Dieu, voilà le devoir du pouvoir temporel !
Bibliographie – Pour aller plus loin :
- – Immortale dei – Leon XIII – §16 et 17 – Editions Tequi
- – Divini redemptoris – Pie XI – § 73 et 77 – Editions Tequi
- – Deus Caritas Est – Benoît XVI – 25 décembre 2005 §28 a) – Editions Tequi
- – Catéchisme de l’Eglise Catholique n° 450 – 1899 – 1900 – 2242 Editions Mame –
- – Construire la civilisation de l’amour : synthèse de la doctrine sociale de l’Eglise Père Marc-Antoine Fontelle – Editions Téqui
- – Libéralisme – Socialisme. Deux frères ennemis face à la Doctrine Sociale de l’Eglise – Guillemaind (Benjamin, sous la direction de) – Editions Téqui