Entretien avec l’abbé Philippe Laguérie, prêtre de l’Institut du Bon Pasteur.
Qu’est-ce que la magnanimité?
Le mot est très beau : « magna anima » c’est quelqu’un qui a une grande âme.
C’est-à-dire d’être capable de concevoir des projets d’envergure pour sa vie et la vie éternelle.
Il faut bien distinguer deux vertus : la magnanimité puis la munificence.
La magnanimité, c’est par rapport à la fin. Qu’est-ce que je peux faire de grand ?
Est-ce que je vais partir en croisade ? Est-ce que je vais convertir le monde ? Ça, c’est la magnanimité mais il faut y mettre le prix. Beaucoup de gens sont magnanimes et ne sont pas munificents nous dit saint Thomas. Ils ne veulent pas y mettre les moyens, le prix.
Toute grand-chose demande à ce qu’on y mette le prix.
Par exemple, si vous avez une vocation, vous rentrez au séminaire et si vous ne pouvez pas vous lever à six heures du matin ou que vous refusez de faire des corvées, vous ne voulez pas y mettre le prix. Vous avez pourtant eu un projet considérable, dommage.
Les vertus annexes, magnanimité, munificence, sont des vertus annexes de la vertu de force.
Le monde peut nous faire peur, nous rétrécir sans arrêt, nous maintenir dans une espèce de peur, de crainte. Est magnanime celui qui dépasse tout ça. Dans les controverses politiques, religieuses, on a parfois l’impression d’être écrasé par le mal et d’être impuissant pour en sortir ou améliorer les choses. C’est là que la magnanimité intervient. On n’a pas le pouvoir de changer la société par un coup de baguette magique, mais dire qu’on ne peut rien faire et que ce n’est pas la peine de bouger, ça c’est la pusillanimité opposée à la magnanimité.
Soyons magnanimes, concevons de grandes choses et munificents pour y mettre le prix.
En quoi cette vertu de magnanimité est différente dans notre rapport à la confiance en Dieu ?
Parce que dans le domaine du royaume des Cieux ne pèse que ce qui est surnaturel.
Si vous avez un projet magnanime de créer une multinationale qui vous rapporte un maximum d’argent, c’est une magnanimité, mais tout à fait naturelle. Peut-être y mettrez-vous le prix et serez-vous capable de vous sacrifier pour faire ce projet, mais vous comprenez que ce n’est pas la magnanimité dans son sens le plus élevé. La magnanimité, vertu surnaturelle, annexe de la vertu de force, c’est celle qui construit le royaume des Cieux.
« Sans moi vous ne pouvez rien faire » a dit le Christ. Rien, pas un peu, pas beaucoup, pas bien, rien du tout, on ne peut rien faire.
Celui qui a un projet magnanime dans le domaine du royaume des Cieux, c’est du surnaturel, ne peut attendre de l’efficacité que de Dieu. Cela ne doit pas pour autant l’empêcher de faire tout ce qui est en son pouvoir pour collaborer à cette grâce de Dieu. « Aide-toi et le ciel t’aidera ».
Faut-il être nécessairement un saint pour être magnanime ?
Les saints étaient forcément magnanimes, vous pouvez les prendre tous, un par un, ils ont conçu de grandes choses :
– sainte Jeanne d’Arc, par exemple, à 17 ans, envisage de remettre le roi sur son trône, de bouter les anglais hors de France. Une jeune fille de 17 ans qui ne sait, dit-elle, ni A ni B alors qu’elle est d’une intelligence pétillante. Si çà ce n’est pas de la magnanimité ? Et elle a aussi pris les moyens.
Autres exemples :
- – saint Thomas d’Aquin, autre exemple, relit Aristote et refait toute la métaphysique et abat une somme de travail gigantesque.
- – Saint Jérôme que la liturgie appelle le « Doctor maximus », le docteur suprême de l’Écriture Sainte, apprend cinq ou six langues et pas des plus faciles : du syriaque, du copte, de l’araméen, de l’hébreu, pour être à la hauteur de sa tâche. Il arrête tout pendant un an pour aller apprendre le syriaque, pour pouvoir utiliser la version syriaque de l’Écriture Sainte et enfin traduire la bible en latin appelée la Vulgate et donner le meilleur.
- – Le roi saint Louis, pourtant heureux en France, part deux fois en croisade et y meurt.
Toutes ces saints étaient magnanimes et munificents, non seulement ils concevaient de grandes choses,mais ils mettaient aussi le prix.Quelle différence existe-t-il entre la magnanimité et l’ambition ?la magnanimité est à l’ambition ce que le royaume des Cieux est à ce monde.Pensons à des personnages vraiment étonnants comme Henri le Germanique qui gouverne 40 ans le Saint Empire Romain Germanique avec une sainteté éclatante, et qui finalement abdique, et finit ses jours dans un monastère.Comme Charles Quint d’ailleurs aussi. On peut discuter des décisions politiques de Charles Quint dans le détail, n’empêche que c’étaient des géants de sainteté. Malgré leurs très hautes fonctions, on peut aussi rajouter saint Édouard d’Angleterre et notre grand saint Louis : ces monarques avaient placé la magnanimité vraiment au niveau surnaturel, c’est-à-dire qu’ils n’avaient aucune ambition, parce que quelqu’un qui a de l’ambition n’abdique pas son pouvoir, surtout quand il est roi d’Angleterre ou roi de France ou encore empereur du Saint Empire Germanique.Il existe bien deux optiques complètement différentes entre la magnanimité et l’ambition.
Bibliographie – Pour aller plus loin :
– « Sommaire théologique de saint Thomas d’Aquin» (p 203 à 208) R.P. Raphaël Sineux – Éditions Pierre Téqui.
– « Somme théologique de saint Thomas d’Aquin » (IIa-IIae, qu.129) – (p 760 à 778) Éditions du Cerf.
– « Catéchisme de l’Église Catholique » – Éditions Mame/Plon