Chers amis,
Même e,n clôture, le sol semble parfois se dérober sous vos pieds. Le 16 juillet dernier, le motu proprio par lequel le Saint-Père recadrait sévèrement l’usage du missel traditionnel nous a d’abord atterrées.
Un peu d’histoire éclairera l’actualité. En 1988, Jean-Paul II créait la Commission « Ecclesia Dei » pour « garantir le respect des justes aspirations » des fidèles attachés aux formes liturgiques et disciplinaires en vigueur jusqu’au Concile Vatican II. Nous lui serons à jamais reconnaissants d’avoir travaillés efficacement à l’unité en nous insérant au coeur de l’Eglise. Jean-Paul II nous a donné sa parole, nous l’avons reçue en confiance. De notre côté, nous avons tissé de nombreux liens avec des évêques, des prêtres, des communautés religieuses, des associations et des laïcs. Les différences étaient au rendez-vous, elle n’empêchaient aucunement l’unité, fondée sur la foi.
En 2007, Benoît XVI a précisé la mission des catholiques traditionnels : être la mémoire vivante des « richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise », car « l’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture ». Son pontificat a permis à d’innombrables catholiques de découvrir ou d’approfondir l’esprit de la liturgie, et de puise dans la prière de l’Eglise la joie de Dieu.
En 2019, le pape François supprimait la Commission « Ecclesia Dei », constatant que « les instituts et les communautés religieuses qui célèbrent habituellement dans la forme extraordinaire ont trouvé aujourd’hui leur stabilité en nombre et leur stabilité de vie ». Un bilan positif en somme. De fait depuis 1988, les rapports entre les instituts » traditionalistes » étaient empreints de sollicitude paternelle comme de gratitude filiale.
Deux ans après, le 16 juillet 2021, coup de tonnerre ! Le Souverain pontife prend « la ferme décision d’abroger toutes les normes, instructions, concessions et coutumes antérieures » à son motu proprio. Il entend empêcher progressivement l’accès à la messe dite « de saint Pie V ». Soit à la liturgie qui a déterminé la fondation des communautés traditionnelles et qui demeure leur assise. Nous tous qui aimons l’ancien rite, nous sommes accusés d’utiliser la libéralité de Jean-Paul II et Benoît XVI pour « augmenter les distances, durcir les différences, construire des oppositions qui blessent l’Eglise et entravent la progression, en l’exposant au risque des divisions ». Accusés de « rejet de l’Eglise et de ses institutions ».
Que s’est-il donc passé ? Pourquoi ce retournement de situation ? Non seulement nous n’avons fait l’objet d’aucun avertissement, d’aucune condamnation antérieure, mais jusqu’ici nous n’avions reçu de Rome que des encouragements !
Malgré tout nous restons en paix. Au Barroux, nous vivons au rythme de la liturgie qui a nourri et sanctifié des millions de saints et de pécheurs. La plupart de nos soeurs (abbesse comprise) n’ont pas toujours connu la messe traditionnelle. Sa découverte a été un éblouissement, comme une attente enfin comblée. Et quand Dieu a fait entendre son appel, nous avons tout naturellement choisi un monastère où l’office divin et le Saint-Sacrifice étaient célébrés selon l’usage millénaire de l’Eglise. Notre attachement à ce trésor n’est nullement idéologique. L’antique liturgie nous introduit dans un monde très réel ! Elle nous élève des réalités visibles aux réalités invisibles, dans un univers où tout est grâce et vérité. Là, nous respirons à pleins poumons le bon air surnaturel qui nous vivifie et nous permet d’affronter avec courage les difficultés et les ténèbres actuelles.
Oui, chanter la gloire de Dieu et implorer sa miséricorde pour le monde par la célébration de la liturgie traditionnelle est notre mission spécifique, consignée dans nos Constitutions, lesquelles ont été approuvées définitivement par le Saint-Siège en 2009 – c’est récent. Que Dieu nous fasse la grâce d’être fidèles à notre vocation !
Jour après jour, l’Eglise se sert de nos communautés pour abreuver à la source, toujours neuve, les âmes assoiffées du Salut. Il n’est pas rare que jeunes et moins jeunes y retrouvent la foi, percevant la transcendance de Dieu. Ils comprennent qu’un évènement sacré se produit : par le ministère du prêtre est rendu présent le Sacrifice rédempteur du Christ, afin que les fruits en soient appliqués aux âmes.
Chers amis qui souffrez du motu proprio, nous avons compassion de vous. Nous vous invitons à écrire au Saint Père : faites-lui connaître les raisons pour lesquelles vous êtes attachés à la messe de toujours et à l’Eglise d’aujourd’hui. Pourquoi devriez-vous choisir entre ces deux dons que nous a faits Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Pourquoi ne pourrions nous pas conserver l’un et l’autre ?
Restons tous unis, prions pour le pape et pour la Sainte Eglise. Prions plus que jamais les uns pour les autres : entraidons-nous à gravir les versants plus abrupts de notre existence. La terre n’est pas le Ciel ! La terre est un temps d’épreuve qui nous prépare au Ciel en nous permettant de grandir dans la charité. Confions tout à la Vierge Marie, qui nous a recommandé à Pontmain, il y a 150 ans : « Mais priez, mes enfants, Dieu vous exaucera en peu de temps, mon Fils se laisse toucher ».
Soeur Placide O.S.B, abbesse – La Font de Pertus – Lettre des moniales – 15 octobre 2021