Frères pèlerins,
Notre époque n’est pas sans présenter quelque ressemblance avec celle que vivaient les premiers chrétiens. Oh, certes, nous ne sommes pas encore persécutés dans notre chair, on ne nous empêche pas d’aller et venir librement, nous ne sommes pas conduits devant le juge pour choisir entre le reniement et la fidélité qui conduit au martyre, nous ne sommes pas jetés dans les arènes et livrés aux bêtes, la guillotine non plus ne nous menace pas… Pourtant, autour de nous montent un nouveau paganisme, une culture de mort, des mœurs de barbarie, qui nous rendent de plus en plus étrangers à ce monde et insupportables à tous ceux que le vivant témoignage de notre foi dérange !
Nous ne savons pas de quoi l’avenir sera fait, mais une chose est certaine, après la lumière des siècles de chrétienté, nous sommes à une époque de ténèbres : la nuit s’installe sur le monde; il faut veiller, dans l’ombre, pour que la flamme de notre foi, de notre espérance et de notre charité ne s’éteigne pas. Il faut veiller pour ne pas devenir captifs des ténèbres ; il faut être vigilant pour ne pas être entraînés par le monde et ses mirages, ses vaines séductions… Ce serait tellement plus simple de vivre « comme tout le monde ». Mais non, le chrétien n’est pas du monde, même s’il vit dans le monde. Il est pèlerin. Il marche vers la vraie patrie, le ciel. Là, il n’y aura plus d’obscurité, de ténèbres, mais seulement la lumière de Dieu.
Nous sommes en chemin, et le monde dresse ses pièges autour de nous. « Soyez sobres, veillez. Car votre adversaire, le Diable, comme un lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi » (1 Pierre 5, 8-9). Résistons à tout ce qui pourrait salir nos âmes, gardons-nous des mœurs qui règnent autour de nous… « Le monde moderne avilit la cité, avilit l’homme, avilit l’amour, avilit la femme, avilit la race, avilit l’enfant, avilit la famille, il a réussi à avilir ce qu’il y a peut-être de plus difficile à avilir au monde: il avilit la mort ». Ces paroles de Charles Péguy ont presque un siècle, elles paraissent prophétiques tant elles se réalisent aujourd’hui.
Avilissement de la cité : Dieu a été rejeté hors de la cité, les lois ne sont plus chrétiennes ; on a prétendu séparer le temporel et le spirituel, mais rien n’est jamais neutre, et le nouveau souffle qui anime les lois, la nouvelle religion qui dicte l’organisation de la cité, s’appellent maçonnerie. Nos lois sont écrites dans les loges avant d’être adoptées dans nos parlements. La neutralité laïque est une hypocrisie qui sert à installer la nouvelle religion maçonnique sur la cité.
Avilissement de l’homme : que reste-t-il de l’homme coupé de son principe qui est Dieu? Du rang de créature à l’image et à la ressemblance de Dieu, il régresse en dessous du rang des bêtes : il nie sa propre nature, l’union civile légalisée des homosexuels signe cette déchéance.
Avilissement de l’amour : l’amour n’est plus le don mais la seule jouissance ; l’amour ne relève plus de l’être mais de l’avoir ; l’amour est commercialisé comme un produit… l’amour est profané.
Avilissement de la race : que reste-t-il des vertus françaises, des vertus sociales, de la politesse, de l’honneur, de cette générosité qui brûlait dans l’âme de nos fiers jeunes gens qui étaient prêts à dix-huit ans à mourir dans une tranchée pour sauver la patrie ?
Avilissement de l’enfant : les enfants sont les premières victimes de la pourriture ambiante, à l’âge de dix ans, un petit français sur deux a déjà vu son innocence violée par un spectacle pornographique, au meurtre physique de l’enfant à naître (avortement) s’ajoute ainsi l’assassinat spirituel des âmes les plus fragiles.
Avilissement de la famille : les lois libérales ont entraîné la famille dans un long cortège de malheurs: que de foyers brisés par le divorce ! Quant aux familles qui résistent et tiennent bon, on ne fait rien pour leur faciliter l’existence, et chaque année, on rogne un peu plus sur les allocations familiales.
Avilissement de la mort : l’euthanasie, pour l’instant cachée, est déjà pratiquée dans bien des hôpitaux et cliniques par des médecins peu scrupuleux… après nous avoir dépouillés de tout ce qui faisait en nous l’humain c’est fort logiquement qu’on nous volera bientôt notre mort ! Dans ce contexte de paganisation de la société, on peut choisir pour règle de conduite ces paroles du cardinal Newman : « Nous devons non seulement croire, mais veiller; non seulement aimer, mais veiller ; non seulement obéir, mais veiller (…) Il est possible que la vigilance soit l’épreuve même où l’on reconnaît le chrétien ».
Cette vigilance passe bien sûr par une intensification de notre vie intérieure : « Veillez et priez afin de ne pas entrer en tentation », dit Notre-Seigneur. Mais cette vigilance passe aussi par une pratique résolue des vertus, en particulier la prudence, la force, la tempérance.
La prudence tout d’abord : pour ne pas tomber, tête baissée, dans les pièges qui nous sont tendus, il nous faut prévoir et délibérer avant d’agir. Il nous faut examiner les situations auxquelles nous allons être exposés, et ne pas nous précipiter nous-mêmes dans la tentation, par nos fréquentations, nos conversations, nos spectacles, nos loisirs. Il nous faut prévoir les occasions de chute et les fuir, avec une grande conscience de notre faiblesse. Méfions-nous des ravages que les images et les bruits peuvent produire dans notre imagination, et de là, dans nos pensées, puis nos actions. Examinons l’usage que nous faisons de la télévision, de la radio… n’en soyons pas esclaves : c’est en grande partie à cause de leur diktat que se vérifie le mot de Bernanos : « le monde moderne est une conspiration contre toute forme de vie intérieure ».
La force ensuite : pour ne pas imiter les mœurs du monde, mais accepter d’être par notre vie « une pierre de contradiction », il faut de la force d’âme. Notre-Seigneur nous a avertis : seuls les violents emportent le royaume des cieux. Les mous, les tièdes, ceux qui suivent le sens du courant, la voie de la médiocrité, ne peuvent pas avoir de part dans la société des saints. Gare donc au respect humain : si nous rougissons de Notre-Seigneur et de notre foi devant les hommes, Jésus aussi rougira de nous devant son Père au jour du jugement. Préférons toujours faire honte à notre prochain de sa médiocrité par notre comportement plutôt que de faire honte au Christ par notre lâcheté. Ne portons pas en vain le nom de chrétiens: faisons honneur à Celui qui nous a rachetés par son sang. Si nous sommes faibles par nous-mêmes, soyons forts dans le Christ. Implorons et exerçons la vertu de Force.
La tempérance enfin : de beaucoup de créatures bonnes en elles- mêmes, il convient de savoir user avec raison ; il faut user des créatures autant qu’elles nous conduisent vers Dieu et servent à l’accomplissement de notre vocation, et nous en détourner autant qu’elles nous détournent de Dieu. Tout est bon dans la création mise à sa juste place ; dans l’homme, c’est l’esprit qui doit commander à la chair, et non la chair à l’esprit. S’il le faut, profitons du pèlerinage pour remettre ici un peu d’ordre. Sachons nous mortifier et mettre notre corps à sa juste place ; puisqu’il est le temple de notre âme, faisons-lui l’honneur d’entrer dans notre prière, et pour cela, aimons en particulier prier à genoux, joindre les mains, faire des signes de croix, user de l’eau bénite, etc… Sur notre route de Chartres, notre corps participe à notre prière : au lieu d’être une prison, il sert à notre élévation : pendant trois jours, c’est par les pieds que vont rentrer en nous les vertus de Foi, d’Espérance et de Charité ! Merveilleuse aventure !
Prière, prudence, force, tempérance… telles sont pour nous les armes de la vigilance face aux tentations du monde. Ajoutons-y une grande humilité, la conscience de notre faiblesse, la componction du cœur, le souvenir de nos fautes passées, la crainte d’offenser Dieu et une grande confiance en sa miséricorde et sa providence, l’esprit de pénitence enfin. Nous serons alors revêtus de ce que saint Paul nomme « l’armure de Dieu » et nous pourrons agir comme de fiers soldats du Christ pour bâtir un troisième millénaire où règne l’Evangile de la vie.
Abbé Ribeton FSSP