« De toutes les nations qui sont sous le ciel » étaient venues les foules réunies à Jérusalem au matin de la première Pentecôte : Parthes, Mèdes, Juifs, Crétois, Arabes et d’autres encore (Act. 2,5). « Avec Marie, mère de Jésus », les Apôtres étaient en prière, quand ils furent remplis de l’Esprit Saint qui les envoyait évangéliser ces foules et porter la foi « à toutes les nations » (Mt. 28,19).
Mais nous, pèlerins toujours en marche car chrétiens habités du désir de suivre le Christ, ne faisons-nous pas encore partie de ces foules que la fête appelle à Jérusalem ? Nous venons de toutes les provinces de France, d’autres pays d’Europe et d’horizons plus lointains encore. Comme les foules de la première Pentecôte, chacun de nous porte dans son cœur le désir de l’unité annoncée par le psaume XXI :« La terre entière se souviendra et reviendra vers le Seigneur Yahvé ; toutes les familles des nations se prosterneront devant lui ». Tandis que des empires fondés sur l’idéologie totalitaire et prétendant mettre en échec la royauté du Christ semblent frappés à mort, nos frères chrétiens de l’Est nous ont offert le témoignage du renouveau de la foi dont l’Europe a tant besoin. Nous autres, leurs frères d’Occident, n’aurons-nous à leur offrir que le « marché commun » de la médiocrité dans l’abondance matérielle ? A Dieu ne plaise !
L’Europe s’est choisi un drapeau portant douze étoiles d’or. C’était le 8 décembre 1955. Malgré eux pour une part sans doute, les instigateurs de ce choix ont rendu hommage à celle que saint Jean, dans l’Apocalypse, voit couronnée de douze étoiles. L’Europe que nous désirons ne retrouvera son unité que dans l’unique foi, l’unique baptême, l’unique Seigneur Jésus-Christ, l’unique Dieu et Père de tous (cf. Eph. 4,5-6). L’Europe ne retrouvera son unité que dans la communion de toutes les nations au même héritage chrétien et marial reçu par chacun en dot au jour historique de son baptême. De cet héritage surnaturel et donc vraiment humain, nous entendons ne pas démériter. Loin de regarder nostalgiquement vers le passé, nous sommes tendus vers l’avant de tout notre être, comme l’Apôtre (Phil. 3,13) ; mais nous n’oublions pas qu’un arbre doit son épanouissement en frondaisons opulentes et fraîches aux racines qu’il jette vers les eaux vives. L’avenir et la tradition se donnent la main et se renforcent par leur communion en profondeur.
Sur notre vieille terre d’Europe s’est levé, il y a cette année neuf siècles, un homme que tourmentait l’amour de sa Dame, que tourmentait aussi le désir de réconcilier la Chrétienté avec elle-même : Bernard de Clairvaux, prophète à la parole de feu, prédicateur de la Croisade. Dans le sillage de notre Bienheureux Père saint Benoît, Père et Patron de l’Europe, saint Bernard œuvra magnifiquement en faveur de la paix : paix à l’intérieur des nations, paix entre les nations, paix au sein de l’Eglise. Quoique destiné par son état monastique à la stabilité et à une vie retirée, la vocation spéciale qu’il reçut de Dieu le lança sur les chemins d’une nouvelle évangélisation. Sur ces chemins, au XXe siècle, il nous entraîne encore, ce fils de France, ce grand pèlerin. Héraut de Notre-Dame, c’est lui qui dirige vers elle notre prière : O clemens, O pia, O dulcis Virgo Maria.
Comme au temps de saint Bernard, c’est à des saints qu’il revient de bâtir aujourd’hui l’Europe de la foi. Et depuis l’effusion merveilleuse de la première Pentecôte, c’est l’Esprit-Saint qui donne les saints à la terre. Notre vocation à la sainteté découle de notre baptême, l’Eglise ne se lasse pas de nous le rappeler de sa voix maternelle. Tout récemment encore, l’appel a retenti depuis la Mer Occidentale, depuis les rivages de Messire saint Jacques : « N’ayez pas peur d’être des saints ! ».
Il faut bien cela pour réaliser une œuvre qui dépasse nos pauvres ressources humaines : l’Europe de la foi. Il faut le Saint Esprit et l’abondance de ses dons, en particulier ceux de Force et de Sagesse. Le Don de Force nous armera contre les idéologies mensongères. Le Don de Sagesse fera de nous des artisans de vérité et de beauté, les artisans de cet ordre chrétien qu’il faut ramener sans cesse à la pureté du dessein de Dieu : « jeune ensemble qu’éternel », eût dit le cher Péguy.
Alors, faisons nôtre la prière que saint Jean-Paul II a adressée à l’Esprit-Saint pour la Journée mondiale des vocations : « Esprit de vérité, qui êtes venu à nous le jour de Pentecôte pour nous former l’école du Verbe divin, remplissez en nous la mission pour laquelle le Fils vous a envoyé. Remplissez tous les cœurs et suscitez chez de nombreux jeunes l’aspiration à ce qui est authentiquement grand et beau dans la vie, le désir de la perfection évangélique, la passion pour le salut des âmes. Soutenez les ouvriers de la moisson et donnez la fécondité spirituelle à leurs efforts pour accomplir le bien. Rendez nos cœurs parfaitement libres et purs, et aidez-nous à vivre en plénitude la marche à la suite du Christ, pour goûter, comme le don ultime venant de vous, la joie qui n’aura pas de fin. »
Nous le voyons aujourd’hui, la Chrétienté de demain s’ébranle de toutes parts sur les chemins qui conduisent chez notre Dame. L’Esprit de Pentecôte fera pour vous comme jadis pour les Apôtres : Il nous armera chevaliers de croisades toujours nouvelles, sous les bannières de l’Immaculée, pour que « tous entendent publier les merveilles de Dieu » (Act. 2,11) et y donnent l’« Amen » de leur cœur et de leur vie.
fr. Antoine Forgeot, abbé de Notre-Dame de Fontgombault
fr. Eric de Lesquen, abbé de Notre-Dame de Randol
fr. Gérard Calvet, abbé de Sainte-Madeleine du Barroux