O reine voici donc après la longue route,
Avant de repartir par ce même chemin,
Le seul asile ouvert au creux de votre main,
Et le jardin secret où l’âme s’ouvre toute.
Voici le lourd pilier et la montante voûte;
Et l’oubli pour hier, et l’oubli pour demain;
Et l’inutilité de tout calcul humain;
Et plus que le péché, la sagesse en déroute.
Voici le lieu du monde où tout devient facile,
Le regret, le départ, même l’événement,
Et l’adieu temporaire et le détournement,
Le seul coin de la terre où tout devient docile,
Et même ce vieux cœur qui faisait le rebelle;
Et cette vieille tête et ses raisonnements;
Et ces deux bras raidis dans les casernements;
Et cette jeune enfant qui faisait trop la belle.
Voici le lieu du monde où tout est reconnu,
Et cette vieille tête et la source des larmes;
Et ces deux bras raidis dans le métier des armes;
Le seul coin de la terre où tout soit contenu.
Voici le lieu du monde où tout est revenu
Après tant de départs, après tant d’arrivés.
Voici le lieu du monde où tout est pauvre et nu
Après tant de hasard, après tant de corvées
Voici le lieu du monde et la seule retraite,
Et l’unique retour et le recueillement,
Et la feuille et le fruit et le défeuillement,
Et les rameaux cueillis pour cette unique fête.
Voici le lieu du monde où tout rentre et se tait,
Et le silence et l’ombre et la charnelle absence,
Et le commencement d’éternelle présence,
Le seul réduit où l’âme est tout ce qu’elle était.
Charles Péguy