Nous ne demandons pas que le grain sous la meule
Soit jamais replacé dans le cœur de l’épi, Nous ne
demandons pas que l’âme errante et seule Soit
jamais reposée en un jardin fleuri.
Nous ne demandons pas que la grappe écrasée
Soit jamais replacée au fronton de la treille, Et
que le lourd frelon et que la jeune abeille Y
reviennent jamais se gorger de rosée.
Nous ne demandons pas que la rose vermeille
Soit jamais replacée aux cerceaux du rosier, Et
que le paneton et la lourde corbeille Retourne
vers le fleuve et redevienne osier.
Nous ne demandons pas que le rameau broyé
Reverdisse jamais au livre de la grâce, Et que
le lourd surgeon et que la jeune race
Rejaillisse jamais de l’arbre foudroyé.
Nous ne demandons pas que la branche effeuillée
Se tourne jamais plus vers un jeune printemps, Et
que la lourde sève et que le jeune temps Sauve une
cime au moins dans la forêt noyée.
Régente de la mer et de l’illustre port Nous ne
demandons rien de ces amendements Reine
que de garder sous vos commandements Une
fidélité plus forte que la mort.
Charles Péguy