Le pèlerin de Chrétienté s’avance de Notre-Dame de Paris à Notre-Dame de Chartres chapelet à la main et l’Ave Maria sur les lèvres. Le chant du Rosaire rythme sa marche. Certains s’en étonnent : pourquoi accorder une telle place au chapelet ? N’est-ce pas une prière monotone ? N’est- elle pas trop compliquée ? Mais la voix de l’Eglise vient nous répondre, rejoignant ce que des milliers de pèlerins ont déjà expérimenté. « Elle est bien admirable, disait Pie XI en citant Léon XIII70, cette couronne formée de la salutation angélique et de l’oraison dominicale unies à la méditation ; elle forme la plus excellente méthode de prière« . Léon XIII en était si convaincu qu’il ne consacra pas moins de douze encycliques pour recommander la prière du Rosaire. Les papes n’ont cessé, depuis, d’y inviter avec force les chrétiens. Et, aujourd’hui, le chapelet n’est-il pas le cadeau que le Saint- Père offre à tous ceux qui viennent lui rendre visite ?
Voilà un argument d’autorité qui porte, pour un fils de l’Eglise. Mais il convient de rechercher pourquoi l’Eglise nous présente le Rosaire comme la plus excellente méthode de prière, et d’où proviennent ses richesses, en un mot quel est son secret. Nous le ferons en regardant ce qu’est le Rosaire à partir de ses origines, puis en examinant quels sont ses fruits.
I) CE QU’EST LE ROSAIRE
A) – Les origines du Rosaire : un don de Marie à l’Eglise
La nature du Rosaire se révèle à nous d’abord dans ses origines. Nous y voyons comment il récapitule en lui toute l’expérience de la tradition chrétienne de la prière71.
1) Alain de la Roche (1428-1475) et les origines du Rosaire
Ce Frère Prêcheur, vénéré comme un bienheureux dans son Ordre, est un personnage clé dans l’histoire de la dévotion du Rosaire. Alors que cette dévotion prend sa forme définitive, c’est lui qui va lui assurer un grand développement par sa prédication et surtout en créant la première « confrérie du Rosaire et de saint Dominique » (Douai, 1470), dont la principale obligation consiste dans la récitation du Psautier de la Bienheureuse Vierge Marie. Au lendemain de sa mort, ces confréries
vont connaître un succès extraordinaire -encouragées par de nombreux privilèges spirituels accordés par les papes- et c’est par centaines de milliers que les fidèles s’y feront inscrire, ce qui atteste que le Rosaire était déjà une prière fort répandue.
Alain de la Roche a influencé sur un autre point l’histoire du Rosaire. Pour propager cette dévotion, il expliqua qu’il avait appris par révélation que le Rosaire avait été donné par la sainte Vierge à saint Dominique pour triompher de l’hérésie des Albigeois. Cette explication devait être reprise au cours des siècles, y compris par les papes jusqu’à Pie XI. Cependant, s’il est certain que
saint Dominique avait une grande dévotion à la sainte Vierge et y encourageait ses fils, aucun des textes du XIIIème siècle qui nous parlent de sa vie -et ils ne manquent pas- ne font allusion à ce fait. Comment est donc apparue la dévotion du Rosaire ? En fait, elle nous apparaît comme le fruit d’un lent développement qui bénéficie des richesses de l’expérience des siècles de prière chrétienne.
70 Pie XI : Lettre encyclique Ingravescentibus malis, 29 septembre 1937.
71 Sur les origines du Rosaire et les controverses historiques qui y sont liées, voir André Duval, o.p., article « Rosaire » dans
Dictionnaire de Spiritualité, t. 13, 1988, col. 937-980.
2) Les racines médiévales jusqu’au XVème siècle
Le Rosaire s’inscrit dans la tradition de répétition d’une même prière, apparue en Orient. Un des témoins de cette tradition de prière de louange ou de supplications répétitives est le célèbre hymne acathiste. Pensons également à la prière de Jésus récitée inlassablement72. De même, on répéta les paroles de l’Ange à la Vierge Marie que rapporte saint Luc (1, 26-38).
En Occident, la répétition d’Ave Maria, dans sa première partie tirée de l’Evangile, est attestée dès le XIème siècle et devient courante au XIIème siècle. Elle rencontre la coutume de la récitation comptée de Pater, pour s’unir à la psalmodie de l’Office divin, par ceux qui ne comprenaient pas le latin. Et ainsi, comme le psautier biblique comporte 150 psaumes, on prit l’habitude de compter 150 Ave pour former le Psautier de la bienheureuse Vierge Marie. Cette récitation s’accompagnait souvent de génuflexions ou de prostrations devant une image ou un autel de la Vierge. On offrait à la Vierge la louange de l’Ave comme une rose et l’ensemble de ces fleurs formait une couronne ou une coiffure de fleurs, d’où le nom de rosaire et de chapelet (sorte de petit chapeau). Une cordelette aidait à compter les Ave.
Un élément essentiel s’adjoignit au psautier marial afin qu’il devienne notre Rosaire. C’est la méditation des mystères de la vie de notre Sauveur unie à la récitation des Ave. Elle fut favorisée par l’usage des clausules ajoutées à la suite du nom de Jésus73. Les clausules, en rappelant tous les événements de la vie du Christ et ses enseignements, aident à maintenir l’esprit dans le
recueillement nécessaire pour faire du Rosaire une méditation. Il y avait une grande liberté quant au choix des mystères à méditer. Cependant s’établit la coutume de les répartir en cinq mystères joyeux, cinq douloureux et cinq glorieux, pour contempler l’incarnation, la passion et la glorification du Sauveur. Ainsi, c’est toute l’économie des mystères du salut qui était méditée.
72 » Seigneur Jésus, Fils de Dieu vivant, Sauveur, ayez pitié de moi pécheur ! »
73 Par exemple : Je vous salue, Marie… et Jésus, né à Bethléem,… présenté dans le Temple,… flagellé à cause de mes
péchés,… ressuscité des morts le troisième jour,… est béni. La clausule peut varier pour chaque Ave ou demeurer la même
pour toute la dizaine. Voir Joseph Eyquem o.p., Aujourd’hui le Rosaire, Cerf (Foi Vivante), 1991, qui aida à une
redécouverte de l’utilisation des clausules.
3) Du XVème siècle à nos jours
Le Rosaire avait ainsi acquis sa forme définitive. Le bienheureux Alain de la Roche, par la création des confréries du Rosaire, travailla à répandre sa pratique. Il fit surtout des milliers de dévots au Rosaire de Notre-Dame, une armée dont les membres s’unissaient par un lien spirituel. Cette armée confiée à la direction des fils de saint Dominique obtenait par le Rosaire de nombreuses grâces.
Un événement allait révéler sa puissance pour le bien de la chrétienté. C’est la célèbre victoire de Lépante. La coalition des forces navales chrétiennes parvint à détruire presque complètement la flotte turque le 7 octobre 1571. C’était le premier dimanche du mois, jour où les membres des confréries du Rosaire faisaient une procession. Saint Pie V vit dans cette victoire inespérée un miracle de Notre-Dame obtenu par la prière du Rosaire et institua, en action de grâces, au premier
dimanche d’octobre la fête de Notre-Dame de la Victoire. Le premier titre de Notre-Dame du Rosaire fut celui de Notre-Dame des Victoires ! De nouvelles victoires des armées chrétiennes face au danger turc (délivrance de Vienne en 1683 et les victoires d’août 1776) devaient amener les papes à faire de la solennité du Rosaire une fête de l’Eglise universelle.
Dans ce survol de l’histoire de la dévotion du Rosaire, il faut évoquer l’action de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Il renouvela la foi et l’espérance des chrétiens de l’Ouest de la France en leur communiquant son amour du Rosaire
Aux XIXème et XXème siècles, après la tourmente révolutionnaire, le Rosaire connut un renouveau, encouragé par la voix des Papes et surtout par… Notre-Dame elle-même. A Lourdes, elle apprend à Bernadette à réciter son chapelet. Elle se présente à Fatima comme Notre-Dame du Rosaire et montre aux trois pastoureaux, en trois visions, les mystères joyeux, douloureux et
glorieux. A chacune des six apparitions et toujours dans les mêmes termes, elle demande : « Récitez le chapelet tous les jours ». « Le chapelet, dira soeur Lucie, est pour la plus grande partie des âmes qui vivent dans le monde comme le pain spirituel de chaque jour« .
B) – Une école de prière
L’histoire nous a montré comment le Rosaire s’est formé en utilisant l’expérience de siècles de prière. Regardons maintenant les éléments qui le composent et qui font de lui une merveilleuse école de prière pour tous.
1) Le Rosaire est composé des plus belles prières
- Le Pater : la prière que Jésus lui-même nous enseigna (Mt 6, 9-13). Il nous apprend à demander d’abord ce qui est le plus important : la gloire de Dieu et la venue de son Règne sur la terre comme au ciel ; puis ce qui est second et que Dieu veut que nous lui demandions également : ce dont nous avons besoin pour accomplir sa volonté. Notons le caractère communautaire de cette prière. Le chrétien n’est pas isolé, il appartient à un peuple, le Peuple de Dieu, il fait partie d’un corps, le Corps Mystique du
Christ ; aussi prie-t-il au nom de tous et pour tous. - L’Ave Maria : composé d’une série de louanges et de supplications adressées à la Très Sainte Vierge-Marie. La beauté du Je vous salue Marie provient d’abord de ce que nous honorons la Vierge avec les paroles mêmes dont se servit l’archange Gabriel pour la
saluer au nom de Dieu : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous (Lc 1, 28). Quelles paroles pourraient l’émouvoir davantage ? Nous lui rappelons qu’elle est la pleine de grâce, celle qui est comblée de la faveur divine, la tout aimée de Dieu. Et nous ajoutons les paroles que prononça sainte Elisabeth lors de la Visitation : Vous êtes bénie entre toutes les femmes et béni le fruit de vos entrailles (Lc 1, 42), proclamant la place exceptionnelle de Marie dans l’histoire du salut. Nous y ajoutons le saint Nom de Jésus. Remarquons la valeur que prend la récitation des Ave rien que par la répétition des noms bénis de Marie et de Jésus. La seconde partie apparut à la fin du Moyen Age. Elle est une grande supplication adressée à Notre-Dame sainte Marie sous son titre de gloire qui définit sa vocation : Mère de Dieu. Puisqu’elle est la Mère du Verbe incarné Jésus, elle est vraiment Mère de Dieu ;
elle peut donc tout nous obtenir ; aussi nous lui demandons de prier pour nous aujourd’hui et à l’instant qui déterminera notre éternité, l’instant de notre mort. - Le Gloria Patri : comme les psaumes sont suivis dans l’Office divin de la doxologie du Gloria Patri, ainsi chaque dizaine de notre chapelet se termine par la glorification de la Trinité Sainte. Elle rappelle que le Rosaire est « un enchaînement d’amour de Marie à la Trinité » (Père Vayssière).
- Le Credo : il résume les vérités de foi qui vont être méditées dans les mystères du Rosaire.
2) La méditation des mystères
Le propre du Rosaire est d’unir la récitation litanique des Ave et la méditation des mystères de la vie du Seigneur. Pour cette ascension de l’âme vers Dieu qu’est la prière, le Rosaire prend appui sur les scènes de la vie du Christ. A l’imitation de Marie qui conservait et méditait dans son cœur toutes les circonstances de la vie de Jésus (Cf. Lc 2, 19 et 51), le Rosaire nous conduit à nous rappeler d’abord, puis à approfondir dans notre cœur avec Marie les actions de Jésus. La foi nous en fait découvrir toutes les richesses de grâces contenues dans chacune de ces actions et nous fait demander d’en recevoir les fruits maintenant. En méditant, par exemple, la résurrection de Notre Seigneur, nous nous remémorons sa victoire sur la mort, signe de sa victoire sur le péché, et nous demandons de vivre la vie de ressuscité que nous avons reçue au baptême. Car chacune des actions du Christ est toujours une source de grâces pour nous aujourd’hui. En effet, Jésus conserve en lui les dispositions de son âme qui l’ont conduit à accomplir ces actions pour notre salut, dispositions que l’on a appelées les « états de Jésus ». Dans le Rosaire, nous méditons et communions aux états de Jésus.
3) Une école de contemplation
La prière connaît normalement des transformations pour tendre vers une union de plus en plus simple et profonde avec Dieu. Le Rosaire conduit merveilleusement vers les sommets de cette union à Dieu. Le premier stade de l’oraison réside dans la méditation. Le Rosaire nous apprend à méditer la vie de Jésus avec Marie, et à orienter notre vie en conséquence. Puis la prière
méditative devient une oraison, surtout d’adoration et d’action de grâces pour Jésus accomplissant notre salut par Marie. Enfin, elle se transforme en une contemplation très simple sous l’influence des dons du Saint-Esprit. « La prière de demande, chez celui qui récite (le Rosaire), se transforme pour ainsi dire en prière contemplative », notait Paul VI (8 octobre 1969). Le Rosaire
favorise cette contemplation parce qu’il offre une vue globale des vérités de notre foi, mais à travers des événements à la fois très simples, concrets, prenants, et en même temps profonds parce qu’inépuisables.
4) Une prière pour tous
Le Rosaire est riche de tout le mystère du Christ qu’il nous fait contempler et pourtant il demeure une prière toute simple : simple, parce que composée des prières que tout chrétien connaît ; simple aussi, parce qu’il laisse une grande liberté dans la méditation tout en soutenant la prière par la récitation des Ave. C’est pourquoi le Rosaire est une prière pour tous. Les papes depuis un siècle ont insisté sur ce point74. Oui, le Rosaire s’adresse aux simples comme aux savants, aux jeunes comme aux adultes et aux personnes âgées, aux débutants dans la vie spirituelle comme aux grands contemplatifs et aux saints. Par lui, tous peuvent tendre vers une profonde contemplation. « J’ai connu de pauvres gens très ignorants qui disaient le Rosaire d’une façon sublime, disait Mgr d’Hulst. (Car il est) l’initiation aisée des mystères qui nous montrent en action le Dieu vivant« 75.
Léon XIII explique pourquoi le Rosaire est à la portée de tous :
« Ce ne sont pas des dogmes, des articles de foi, que le Rosaire propose à méditer, mais plutôt des faits à contempler de ses yeux et à se remémorer, et ces faits présentés dans leurs circonstances de lieux, de temps et de personnes s’impriment d’autant mieux dans l’âme et l’émeuvent plus utilement. Lorsque, dès l’enfance, l’âme s’en est pénétrée et imprégnée, il suffit dès lors d’énoncer les mystères ; quiconque a vraiment le goût de la prière peut, sans aucun effort d’imagination, par le jeu naturel des facultés de l’esprit et des sentiments, passer de l’un à l’autre et n’a plus qu’à recueillir la rosée des grâces célestes que verse généreusement Marie« 76.
74 Voir le discours de Pie XII du 16 octobre 1940 dans Le Rosaire dans l’enseignement des Papes par les moines de
Solesmes, ch. 4, p. 111 sv. (Solesmes, 1984) et Jean XXIII, Lettre apostolique du 29 septembre 1961 dans Les
enseignements pontificaux : Le saint Rosaire, présentés par les moines de Solesmes, Desclée, 1966, n° 377.
75 Cité par Marc Trémeau, o.p., dans son beau livre : Le mystère du Rosaire (C. L. D., 1982).
76 Lettre encyclique Jucunda semper, 8 septembre 1894, cité dans Le Rosaire dans l’enseignement des Papes p. 63.
5) Vers une prière continuelle
Jésus nous enseigne « la nécessité de toujours prier sans jamais se lasser » (Lc 18, 1). « Veillez donc et priez en tout temps » (Lc 21, 36). Le Rosaire nous conduit sur cette voie. Il peut être récité non seulement dans un temps d’oraison plus intense, mais aussi au milieu des multiples activités qui remplissent nos journées. Il correspond à l’enseignement des Pères du désert qui invitent à répéter le plus souvent possible des oraisons jaculatoires, c’est-à-dire de courtes prières qui s’élèvent comme des flèches (jacula veut dire flèche en latin) vers le ciel. Réparties au cours de nos activités, les dizaines de notre chapelet sanctifieront toutes nos journées. Mais, objectera-t-on, n’y a-t-il pas un risque de lassitude produite par la répétition monotone d’une prière toujours la même ? Nous l’avons vu, cette prière inlassablement répétée, celle du Pater et de l’Ave, est d’une infime richesse. Lacordaire a pu écrire à son propos : « Le rationaliste sourit en voyant passer des files de gens qui redisent une même parole : celui qui est éclairé d’une meilleure lumière comprend que l’amour n’a qu’un mot, et qu’en le disant toujours il ne le répète jamais »77. De plus, la méditation des mystères joyeux, douloureux et glorieux offre une grande variété de sujets de contemplation. Le Rosaire est à l’image de l’année liturgique qui nous fait revivre tous les ans Noël et Pâques, sans que ce soit deux fois pareil. Enfin, lorsque l’esprit est trop fatigué pour fixer son attention sur une scène évangélique, il pourra simplement répéter l’Ave comme une suite de louanges et de supplications à Notre-Dame. « Voyez mes enfants, disait le Père Calmel, le chapelet, c’est surtout un moment que l’âme vient passer avec Elle« 78.
77 Vie de saint Dominique, p. 97, éd. Nouvelle Aurore, Paris, 1975.
78 Cité par Luce Quenette dans Itinéraires n° 206, p. 18.
A)- Le Rosaire nous fait vivre de la vie divine par le Christ en Marie
1) Adhérer au mystère du Christ
Vivre en chrétien, c’est vivre du Christ en adhérant à lui. Le Rosaire nous unit intimement à lui. Il nous fait contempler le Christ en tant qu’il est la Vérité. Chacun des mystères de sa vie terrestre et glorieuse nous éclaire des trésors de sagesse et de science qu’il est venu nous donner. Jésus s’y révèle comme le Dieu incarné, le Dieu rédempteur, comme le Dieu glorifié et glorifiant. Tout le mystère du Christ s’y dévoile.
Jésus est la Voie. Le Rosaire nous fait méditer le chemin vers son Père qu’il nous a tracé par sa propre vie : ad lucem per crucem, à la gloire par la Croix. Et il nous donne la force de marcher à sa suite car il est aussi la Vie. Chacune des actions du Christ, chacun des « états » de Jésus, est porteur d’une grâce spéciale qui nous donne de l’imiter. Par le Rosaire nous entrons en contact avec lui, nous nous disposons à recevoir ces grâces qu’il veut nous donner par ses mystères.
2) Grandir dans la vie chrétienne
Notre vie d’enfant de Dieu grandit en proportion où se développent en nous les vertus théologales qui nous font entrer dans le mystère de Dieu, et les vertus morales qui nous donnent de mener notre vie terrestre selon la volonté de Dieu. Or, le Rosaire enracine et favorise l’épanouissement de toutes ces vertus en nous.
D’abord de la foi, fondement de toute notre vie chrétienne. Le Rosaire met devant nos yeux les mystères du Christ, centre de notre foi, et cela, sans limiter notre méditation à un seul des aspects des mystères du salut. Paul VI, à la suite de ses prédécesseurs, y voyait un « résumé de tout l’Évangile« 79. C’est « le Credo tourné en prière » (Newman), par lequel toute notre foi s’enracine et se fortifie. D’où les nombreux encouragements des papes : « C’est un procédé facile et commode mis à la
disposition du chrétien qui veut nourrir sa foi et la protéger de l’ignorance ou du danger de l’erreur » (Léon XIII, 5 sept. 1891). « Avant tout, le Rosaire alimente la foi catholique qui refleurit facilement dans l’utile méditation des saints mystères et élève l’esprit jusqu’aux vérités révélées par Dieu » (Pie XI, 29 sept. 1937)80. « C ‘est pourquoi, ajoutait Léon XIII -et ceci importe grandement en notre temps où la foi est si menacée- on peut affirmer sans exagération que chez les personnes, dans les familles et parmi les peuples, où la pratique du Rosaire est restée en honneur comme autrefois, il n’y a pas à craindre que l’ignorance et les erreurs empoisonnées détruisent la foi« 81.
Le Rosaire ranime et fortifie l’espérance, cette vertu qui soulève notre vie chrétienne et lui donne son dynamisme. La considération fréquente des mystères glorieux fait lever les yeux vers la patrie céleste ; les mystères joyeux et douloureux montrent à l’homme qu’il n’est pas abandonné à son mauvais sort, mais qu’il est poursuivi par l’amour indéfectible d’un Sauveur dont la grâce suffit pour être toujours plus que vainqueur dans les combats contre le mal.
Enfin, le Rosaire aide à l’épanouissement de la charité que rien ne stimule autant que la contemplation de l’amour de Dieu manifesté dans l’œuvre de notre rédemption.
« Puisque la charité de beaucoup s’alanguit et se refroidit, comment les souffrances et la mort de notre Rédempteur, la compassion et les angoisses de sa Mère revécues selon la méthode proposée par le Rosaire, dans l’affliction du cœur, ne provoqueraient-elles pas à rendre amour pour amour ? Enfin, de cette charité envers Dieu, ne peut pas, de toute nécessité, ne pas rejaillir un amour du prochain plus intense si l’on considère les peines et les souffrances endurées par le Christ Notre Seigneur pour nous réintégrer tous dans
l’héritage perdu des fils de Dieu » (Pie XI)82.
Le Rosaire aide à acquérir toutes les autres vertus qui forment le chrétien. Selon la belle expression de saint Pie X, le fidèle y « contracte la sainte habitude du Christ« 83. Les mystères du Rosaire nous montrent toutes les vertus pratiquées par Jésus et par Marie qui nous entraînent à les imiter et nous donnent la grâce de le faire. Notons que, grâce au Rosaire, nous pratiquons l’humilité, la patience, la mortification, la piété, la chasteté, etc…, non pas d’abord pour notre propre perfection morale, mais en vue d’imiter Jésus et Marie ; en un mot, c’est l’amour qui est le moteur.
Comment s’étonner alors que les Papes aient souligné les bienfaits du Rosaire pour la société elle même ? Les vertus chrétiennes exercent leur bienfaisante influence sur les familles, les métiers et l’ensemble de la société84.
79 Exhortation apostolique Marialis cultus, 2 février 1974, cité dans Le Rosaire dans l’enseignement des Papes, p. 22.
80 Encyclique Ingravescentibus malis, cité dans Les enseignements pontificaux : Le saint Rosaire, n° 257.
81 Encyclique Magnae Dei Matris, 7 septembre 1892, cité dans Les enseignements pontificaux : Le saint Rosaire, n° 100.
82 Encyclique Ingravescentibus malis, 29 septembre 1937.
83 Cité par Benoît Thierry d’Argenlieu, o.p., « La théologie du Rosaire » dans Maria, études sur La sainte Vierge, t. 5, p.
Nous nous sommes inspirés de cet article pour cette partie de notre exposé.
84 Léon XIII y a vu particulièrement le remède pour sauver la société de trois causes de désordre : « l ‘aversion pour la vie humble et laborieuse », qui trouve son remède dans la contemplation de la vie de la sainte Famille dans les mystères joyeux ; « l ‘horreur de tout ce qui fait souffrir », vaincue par la méditation des souffrances du Christ et de sa Mère ; « l’oubli des biens futurs, objet de l’espérance », remplacée par le désir immodéré des biens terrestres, conjuré par la méditation des mystères glorieux (Lettre encyclique Laetitiae sanctae, 8 septembre 1893)
3) … par Marie
C’est là le secret du Rosaire. Il nous fait bénéficier de la médiation maternelle de Notre-Dame. Dieu a voulu que Marie soit la Mère de Jésus, son associée dans l’œuvre de la rédemption. Elle est la Mère de la Tête et aussi des membres de l’Eglise. Elle est donc notre Mère. Aussi, c’est par elle que nous irons au Christ : loin de nous détourner de son Fils, « il n’est route plus sûre ni plus facile que Marie par où les hommes puissent arriver jusqu’à Jésus-Christ » (saint Pie X)85. C’est de ses mains que nous recevrons toute grâce : « On peut affirmer que par la volonté de Dieu, de cet immense trésor de toute grâce que nous a apporté le Seigneur, rien ne nous est donné sans Marie : si bien que, comme personne ne peut arriver au Père souverain sinon par le Fils, de même personne ne peut accéder au Christ que par sa Mère » 86.
Le Rosaire nous fait méditer les étapes de la maternité de grâce de Marie : l’incarnation, la nativité, la croix, la pentecôte, son assomption et son couronnement, afin de nous mettre ainsi sous son influence. Elle peut alors exercer son rôle maternel à notre égard. Elle peut nous éduquer en nous apprenant à vivre de Jésus, avec et comme Jésus. Comme une mère pleine de tendresse, elle tourne nos joies, nos tristesses et nos espoirs vers les joies, les douleurs et les triomphes de son Fils.
Enfin, c’est grâce à l’intercession de Marie que le Rosaire est si puissant pour l’avancée du règne de Dieu. C’est ce qu’il nous reste à considérer.
85 Encyclique Ad diem illud, 1904, cité par Benoît Thierry d’Argenlieu o.p., « La théologie du Rosaire » dans Maria, études sur la sainte Vierge, t. 5, p. 733.
86 Léon XIII, Lettre encyclique Octobri mense, 22 mai 1891, cité dans Le Rosaire dans l’enseignement des Papes, p. 42.
B) – Les victoires de Notre-Dame par le Rosaire
Le Rosaire n’est pas seulement une prière contemplative qui favorise l’union à Dieu et notre identification au Christ par Marie. Il est une prière de supplication d’une extraordinaire efficacité. Innombrables sont les grâces obtenues par le Rosaire pour notre sanctification personnelle comme pour la société chrétienne. La victoire de Lépante en est le plus éclatant témoignage : Notre-Dame du Rosaire, c’est Notre-Dame des Victoires ! Les Papes et les saints nous l’attestent. « Par le Rosaire, on peut tout obtenir…
C’est une longue chaîne qui relie le ciel à la terre, une des extrémités est entre nos mains, et l’autre dans celles de la Sainte Vierge. Tant que le Rosaire sera récité, Dieu ne pourra abandonner le monde, car cette prière est toute puissante sur son cœur » (sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus).
Quelles sont les raisons de cette puissance du Rosaire sur le cœur de Dieu et sur celui de Notre Dame ? Répondons d’abord que le Rosaire possède les qualités requises pour une prière efficace, car il nous fait demander avec persévérance, confiance et humilité. Il se prête aussi à une récitation communautaire, spécialement au sein de la famille ; or Jésus nous a promis qu’il exaucerait ce que nous nous accorderions à lui demander. De plus, nous rappelons à Jésus et à la sainte Vierge ce qu’ils ont
accomplis pour notre salut. Ce sont autant de titres pour notre prière à être exaucée. La répétition de l’Ave émeut le Cœur de Marie87 qui est le cœur de notre Mère. Et surtout, cette prière fait appel à l’intercession de Marie qui est toute puissante sur le Cœur de son Fils. Elle est toute-puissante auprès du Tout-Puissant. On a pu l’appeler : la toute-puissance suppliante.
C’est alors de la plénitude de grâce de Marie que nous recevons les bienfaits. « Lorsque dans la prière nous cherchons refuge en Marie, c’est en la Mère de Miséricorde que nous cherchons refuge ; en une Mère animée à notre endroit de tels sentiments que, quels que soient nos besoins, surtout s’ils se rapportent à notre salut, d’elle-même et avant même que nous l’invoquions, elle est toujours là pour ouvrir le trésor de cette grâce qui, dès l’origine, lui a été dispensée par Dieu en telle abondance qu’elle a fait d’elle une Mère digne de Lui« 88.
Avec quelle assurance ne devons-nous pas dire notre Rosaire ! « La Vierge du Rosaire n’a pas fini de remporter des victoires. Elle attend seulement pour cela, de notre part, une ferveur redoublée, une confiance plus filiale, un courage sans défaut » (Père Calmel). Saint Pie X nous laisse ce testament : « Donnez-moi une armée qui récite le chapelet et je ferai la conquête du monde. De toutes les prières, le Rosaire est la plus belle et la plus riche en grâce, celle qui plaît le plus à la Très Sainte Vierge Marie. Aimez donc le Rosaire et récitez-le avec piété tous les jours… «
87 « Lors donc que nous la saluons pleine de grâce par les paroles de l’ange et que nous tressons en couronne cette louange répétée, il est à peine possible de dire combien nous lui sommes agréables et nous lui plaisons… » (Léon XIII, lettre encyclique Magnae Dei Matris, 7 septembre 1892, cité dans Les enseignements pontificaux : Le saint Rosaire, n°94.) « Ames prédestinées, esclaves de Jésus en Marie, disait saint Louis-Marie de Montfort, apprenez que l’Ave Maria est la plus belle de toutes les prières après le Pater ; c ‘est le plus parfait compliment que vous puissiez faire à Marie, puisque c ‘est le compliment que le Très-Haut lui envoya faire par un archange pour gagner son cœur ; et il fut si puissant sur son cœur, par les charmes secrets dont il est plein, que Marie donna son consentement à l’Incarnation du Verbe, malgré sa profonde humilité. C ‘est par ce compliment aussi que vous gagnerez infailliblement son cœur, si vous le dites comme il faut. L’Ave Maria bien dit, c ‘est-à-dire avec attention, dévotion et modestie, est, selon les saints, l’ennemi du diable, qui le met en fuite, et le marteau qui l’écrase, la sanctification de l’âme, la joie des anges, la mélodie des prédestinés, le cantique du Nouveau Testament, le plaisir de Marie et la gloire de la Très Sainte Trinité«
(Traité de la vraie dévotion à la sainte Vierge, n° 252-253.)
88 Commentaire de l’Ave Maria ; Léon XIII, lettre encyclique Magnae Dei Matris, 7 septembre 1892, cité dans Les enseignements pontificaux : le saint Rosaire, n° 93. Léon XIII continue en citant saint Thomas d’Aquin : « C’est beaucoup pour un saint de posséder une quantité de grâce suffisante au salut d’un grand nombre : mais s’il en avait une quantité qui suffit au salut de tous les hommes du monde entier, ce serait la plénitude ; et c’est le cas du Christ et de la bienheureuse Vierge ». Saint Thomas ajoutait : « En tout péril, en effet, vous pouvez obtenir le salut de cette glorieuse Vierge » (Commentaire de l’Ave, n°9 ; Le Pater et l’Ave, introduction et traduction par un moine de Fontgombault, NEL, Paris,
1967, p. 169).