En guise d’accroche / lancement
1er tableau : des servants de messe arrivent devant l’autel… font leur génuflexion, tombant à moitié… se bousculent et se relèvent encore plus vite, avant de se diriger vers la sacristie.
2nd tableau : un peu après… arrive tout doucement une personne âgée toute courbée. Elle salue le Saint-Sacrement, non pas d’une génuflexion – qu’elle ne peut plus faire –, mais d’une inclination lente, grave, pleine de respect et qui vous touche : l’attitude de son âme vient de transparaître dans ce geste d’adoration.
Nous pressentons en effet que, dans le domaine liturgique surtout, nous avons besoin de certains signes expressifs et vrais. Ils témoignent du sens du sacré, qualité essentielle de toute liturgie. Essayons donc de creuser ce besoin pour mieux le comprendre et mieux y répondre, avec intelligence et bonne volonté.
Idées majeures
• À propos de participation active en liturgie…
• L’essentiel pour bien « participer » : adorer avant toute chose.
• Mettre à genoux et le cœur et le corps.
• Des gestes pour montrer et aider notre adoration.
Une participation active ?
On nous l’a dit et répété : on ne vient pas à la messe comme au spectacle. Il nous faut donc participer, et participer activement.
Mais cette participation active n’est pas réduite à l’extérieur, au superficiel (bouger, lever et battre des mains…). Il faut de la mesure dans ces manifestations extérieures, et puis nous avons besoin de quelque chose de plus…
Ce qui est essentiel à toute participation liturgique
Vous vous souvenez des paroles du renard au Petit Prince ? « L’essentiel ne se voit bien qu’avec le cœur. » Dans la liturgie, expression de notre foi, notre cœur doit rester bien éveillé, afin de voir l’essentiel, malgré la nuit de la foi.
Il s’agit donc d’abord de participer avec notre cœur, pour nous unir à l’action centrale de la messe : l’offrande de Jésus à son Père sur la Croix. Participer avec notre cœur pour croire et adorer.
Participer d’abord par l’adoration
L’adoration, voilà bien le grand mot de la véritable participation, cet acte par lequel nous acceptons de reconnaître notre dépendance et notre soumission envers notre Dieu, et lui témoigner respect et amour.
Est-ce que je prends conscience de tout ce que Dieu a fait et continue de faire pour moi : il est mon Créateur, mon Père, mon Sauveur… Et moi maintenant que vais-je faire pour lui ? Que puis-je faire pour vous, mon Dieu ? Adorer, remercier… Cette dépendance reconnue et acceptée n’est pas pour m’écraser ou faire de moi un esclave ! Elle est à mon profit, comme la plante dépend des caresses du soleil pour se fortifier et grandir !
Mettre à genoux, d’abord le cœur…
L’adoration, c’est donc d’abord un acte intérieur : j’accepte de ne pas voir avec mes yeux, de ne pas tout comprendre avec mon intelligence. J’adore et je choisis de faire confiance à Dieu, et de le lui dire. J’adore aussi pour détourner mon regard du mal, des tentations et des doutes, et le tourner du côté du bien ; mettre mon cœur à genoux devant celui qui m’aime infiniment, et qui me l’a prouvé jusqu’à la mort sur la Croix.
Mais le corps ne doit pas être en reste, parce que c’est tout mon être, corps et âme, qui a été racheté et qui est donc concerné.
Puis mettre à genoux le corps…
En 1916, l’ange apparu aux trois enfants de Fatima commence par les inviter à la prière. Il leur donne l’exemple en s’agenouillant à terre et en répétant trois fois la prière bien connue : « Mon Dieu, je crois, j’adore… » Voilà une belle leçon : cet ange, qui doit être dans le paradis de Dieu depuis pas mal d’années, la première chose qu’il fait avec des enfants, c’est de leur apprendre à adorer avec leur corps et avec des mots simples.
Ce n’est pas Dieu bien sûr qui aurait besoin de nos génuflexions… mais nous-mêmes ! L’âme et le corps sont étroitement liés : chacun a besoin de l’autre. Si donc l’adoration est d’abord une attitude intérieure, elle comprend des actes extérieurs. L’origine du mot « adoration » en est une première preuve :
• Le mot grec, proskynesis, signifie un geste extérieur de soumission, notamment la prosternation ou l’agenouillement. Dans l’Antiquité, c’est un geste de vénération envers les dieux et les empereurs. Le grec a aussi le mot latreia : il désigne le culte réservé à Dieu seul.
• Le mot latin, adoratio, tire son origine de deux petits mots : ad (vers) et os (bouche). Cela renvoie à l’usage antique de donner un baiser à une statue d’idole avec sa main. L’adoration implique une orientation (être tourné vers) et une dynamique (s’élancer vers) mêlée de tendresse et d’amour (le baiser).
Les gestes d’adoration : moyens et signes
Les actes d’adoration extérieurs sont donc :
• des moyens pour nous apprendre à adorer ;
• des signes qui nous permettent d’exprimer extérieurement une attitude intérieure.
Si l’adoration est d’abord un acte intérieur, elle a besoin d’un cadre extérieur propice pour s’épanouir. Et ces gestes extérieurs vivifiés de l’intérieur sont une aide aussi pour les autres : ils incarnent et rendent comme présent le sentiment du Sacré, notre foi en la présence de Dieu.
Les gestes d’adoration en particulier
Il existe de nombreuses manières de prier avec son corps : les unes sont laissées à notre spontanéité individuelle (pour la prière personnelle), d’autres, héritées de nos anciens, ont été fixées par l’Église dans sa liturgie. Voyons les quatre principaux gestes :
• Et d’abord le silence, condition sine qua non de toute prière. Silence du corps d’abord (des yeux, des oreilles…), en faisant taire tous les bruits extérieurs et en éteignant tous les écrans ! Mais silence intérieur surtout : celui des pensées étrangères, de nos projets, des distractions… Silence pour revenir à l’essentiel (notre Père du ciel qui est là dans le secret, nous a dit Jésus) et écouter avec le cœur.
• La génuflexion et l’agenouillement : c’est le geste le plus naturel de l’adoration ; le premier réflexe de l’âme, saisie par la présence de son Seigneur, qui s’incarne. On le retrouve dans toutes les traditions reli- gieuses et à toutes les époques. C’est un acte d’humilité par lequel je me fais petit et je reconnais ma faiblesse, ma misère ; parce que je suis et serai toujours un mendiant de la grâce, et parce que la vie que Dieu veut me donner se reçoit à genoux (comme à la communion), elle ne se prend pas.
• Le signe de croix : c’est une profession de foi, un oui public et visible à celui qui m’a aimé jusqu’au bout ; un acte d’espérance en celui qui seul peut me sauver, malgré son absence et son impuissance appa- rentes. Il importe de le faire avec gravité et une certaine lenteur pour se plonger en esprit (c’est le sens littéral du mot baptiser) dans le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
• Le baiser : c’est un signe d’accueil, un geste d’amitié, parce que la religion n’est pas d’abord un règlement, mais une rencontre et une vie avec celui qui nous aime infiniment. Avec le baiser de l’autel ou de l’évangile (par le prêtre), nous disons : « Voilà la source vive, voilà ma nourriture : vous seul, Seigneur ! ».
Conclusion
La liturgie se vit d’abord de l’intérieur, avec le cœur, en présence d’une personne vivante. Tous nos gestes ont besoin d’être vécus avec cette conviction de foi. Pour entrer dans la prière liturgique et se laisser transformer, il nous faut donc réapprendre chaque jour à faire prier notre corps, à faire concorder notre esprit aux paroles de la prière, et à mettre notre cœur dans les paroles et les gestes de la prière.
Certes, on ne peut pas toujours y mettre toute l’intensité souhaitée. Mais qu’il y ait du moins toujours le désir de faire de beaux gestes, sans forcément beaucoup de paroles intérieures : un simple regard d’amour intérieur.
Et souvenons-nous de la fin de la prière de l’ange à Fatima : « Mon Dieu… Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas… » Une suppléance et une réparation sont donc possibles pour réparer les outrages des pécheurs, pour compenser l’absence ou la passivité de beaucoup, pour vaincre le mal et toutes ses tentations. Car nous allons à la messe non pas en consommateurs et uniquement pour nous, mais pour et avec toute l’Église (sans oublier les âmes du purgatoire), pour nous laisser transformer et diviniser !
Bibliographie
• Catéchisme de l’Église catholique, n°1141, 2096, 2097, 2502, 2628…
• L’esprit de la liturgie, Cardinal Joseph Ratzinger, éditions Ad Solem, 2001.
• Découvrir la messe, Un moine bénédictin, éditions Sainte Madeleine, Le Barroux, 1996.
• Le poème de la sainte liturgie, Abbé Maurice Zundel, éditions Desclée de Brouwer, 1954.
• Dictionnaire de spiritualité, art. Adoration et Génuflexions, éditions Beauchesne, 1967.
• Notre cœur contre l’athéisme, Père Jérôme, éditions Ad Sole.