Origine de la Messe
Depuis le début des temps, il est un fait manifeste que les hommes ont, comme naturellement, éprouvé au plus profond d’eux-mêmes le besoin de rendre un culte à leur Créateur. Le premier commandement de notre décalogue (ces 10 commandements appelés aussi loi « naturelle » tant ils correspondent à la nature profonde de l’homme), nous demande de rendre un culte à Dieu. C’est également l’objet de la première demande du Notre Père sur lequel nous méditions l’année dernière : « que votre nom soit sanctifié ». Culte intérieur tout d’abord (« en esprit et en vérité » comme le dira Jésus à la Samaritaine), il n’en reste pas moins que l’homme, composé d’un corps et d’une âme, se devait de manifester extérieurement ce culte à rendre à son Dieu. C’est ainsi que l’Histoire Sainte nous parle dès son début (Genèse) avant même la loi mosaïque, du sacrifice de Caïn et d’Abel ou encore de celui de Noé à sa sortie de l’arche. La loi écrite, avec Moïse, viendra confirmer ce que la nature avait inspiré, en ordonnant et réglementant ces sacrifices. On en distinguait alors différentes formes dont en particulier :
– les holocaustes, ou la victime était entièrement détruite, ce qui exprimait l’adoration dans son geste total et sans réserve.
– les hosties pacifiques destinées à rendre grâces à Dieu (consommées en signe de communion par le prêtre et les fidèles) ;
– les hosties pour le péché qui étaient souvent jointes à l’holocauste et destinées à l’expiation de nos fautes (que seul, le prêtre, pouvait consommer).
Mais tous ces sacrifices, même ordonnés par la loi divine, humains par leur origine et leur auteur, ne pouvaient pas de soi, n’ayant aucune force ou vertu propre, être agréables (c’est à dire agréés par) à Dieu. C’est uniquement parce que les justes (Abraham, Job, Abel …) vivaient dans l’attente du Messie, c’est par leur foi dans le Messie à venir, que ces sacrifices purent être acceptés de Dieu. C’est en tant qu’images du sacrifice à venir dont ils étaient la figure, qu’ils purent plaire à Dieu.
Pascal pouvait écrire :
Jésus-Christ, que les deux testaments regardent. L’ancien comme son attente, le nouveau comme son modèle. Les deux comme son centre ».
Oui, c’est donc à la lumière de Notre Seigneur qu’il faut lire notre Ancien Testament et qu’il faut considérer ces anciens sacrifices. Ainsi, l’on comprendra mieux par exemple Melchisédech, le grand prêtre sans génération qui offrit du pain et du vin, image de Notre Seigneur, grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech (Heb). On saisira mieux l’agneau pascal, mangé avec des pains azymes, immolé et dont le sang (devant être mis sur le linteau des portes) protégeait les fils d’Israël (image de la Sainte Eucharistie). On verra à travers le sacrifice d’Isaac, fils unique d’Abraham portant lui-même le bois de son bûcher sur la montagne, le sacrifice de Notre Sauveur. On comprendra mieux pourquoi les prêtres prenaient des animaux sans tache et sans défaut si ce n’était pour annoncer, comme le dit saint Augustin, « l’immolation de Celui seul qui a été exempt de toute tache et de péché». Toutes ces victimes donc, de l’Ancien Testament, comme ces sacrifices innombrables, n’étaient que l’anticipation de La Victime et Du Sacrifice.
Elles ne peuvent être comprises qu’à cette lumière. Il fallait donc, pour qu’ils prennent leur valeur, le Sacrifice unique de Notre Seigneur, Sacrifice de la Croix qui sera renouvelé («faites ceci en mémoire de moi») de manière non sanglante sur nos autels.
N’est-ce pas aussi ce qu’avaient prédit les prophètes : « mon affection n’est pas en vous, dit le Seigneur Dieu des Armées ; et je ne recevrai point de présent de votre main ; car depuis le lever du soleil jusqu’au coucher, on me sacrifie en tout lieu, et l’on offre en mon nom une oblation toute pure ; parce que mon nom est grand dans toutes les nations » (Malachie). Pour mieux attester le fait que ces sacrifices anciens n’étaient que de pâles images du Sacrifice à venir, ceux-ci s’effaceront, comme le fait l’ombre devant le jour, après l’institution du Sacrifice de la Messe. Le sang grossier des boucs et des taureaux cédera la place au Sang divin de Notre Rédempteur. « L’homme, comme créature, » disait le St Curé d’Ars, doit à Dieu l’hommage de tout son être, et comme pécheur, il lui doit une victime d’expiation ; c’est pourquoi dans l’ancienne loi on offrait à Dieu tous les jours des multitudes de victimes dans le temple. Mais ces victimes ne pouvaient pas satisfaire entièrement à Dieu pour nos péchés ; il en fallait une autre plus sainte et plus pure, qui devait s’immoler jusqu’à la fin du monde et qui fut capable de payer ce que nous devons à Dieu. Cette Sainte Victime, c’est Jésus-Christ lui-même, qui est Dieu comme son Père et homme comme nous. Il s’offre tous les jours sur les autels comme autrefois sur le calvaire ».
Le Saint Sacrifice de la Messe
Comme le rappelle le Catéchisme Romain, « le Concile de Trente ne laisse aucun doute sur l’institution de ce sacrifice ; il déclare formellement que Jésus-Christ l’institua dans sa dernière Cène». Nous trouvons le récit de celle-ci dans les trois évangiles synoptiques (saints Marc, Matthieu et Luc) comme dans le 11ème chapitre de l’épître aux Corinthiens. Ce même catéchisme ajoute que «Notre Seigneur Jésus-Christ a institué l’Eucharistie pour deux raisons : d’abord afin qu’elle fut pour notre âme un aliment céleste qui put soutenir et conserver en elle la vie spirituelle ; ensuite afin que l’Eglise posséda un sacrifice perpétuel qui pût expier nos péchés et au moyen duquel notre Père céleste, trop souvent offensé d’une manière grave par nos iniquités, pût être ramené du courroux à la miséricorde et des justes rigueurs du châtiment à la clémence ».
Le Saint Sacrifice de la Messe est, comme on l’apprenait dans les bons vieux catéchismes, « le renouvellement de manière non sanglante du sacrifice de la croix ». C’est donc l’œuvre de la Rédemption qui s’accomplit. Il s’agit du même sacrifice que celui de la Croix, parce que c’est le même prêtre qui continue de s’offrir actuellement par ses ministres ; c’est la même victime, réellement présente sur l’autel, qui est réellement offerte. Seule ici la manière de l’offrir diffère ; immolation sanglante sur la croix, elle est désormais sacramentelle sur l’autel (Père Garrigou Lagrange). St Jean Chrysostome écrivait :
« Lorsque vous voyez à l’autel le ministre sacré élevant vers le ciel la Sainte Hostie, n’allez pas croire que cet homme soit le prêtre véritable, mais élevant vos pensées au-dessus de ce que frappe les sens, considérez la main de Jésus-Christ invisiblement étendue ».
L’essentiel du Sacrifice consiste dans l’offrande. Le Père Garrigou Lagrange disait de l’oblation qu’elle était l’âme du sacrifice. Cette oblation toujours vivante du Christ, est la continuation de celle par laquelle Jésus s’offrit comme victime en entrant en ce monde. Cette oblation, méritoire sur la croix, se poursuit sous forme d’adoration réparatrice et de supplication pour nous appliquer ces mêmes mérites de la croix. « Une Messe vaut autant que le salut de la croix » disait St Jean Chrysostome et St Odon dira quant à lui que « la Messe est l’œuvre à laquelle est attaché le salut du monde ».
Les fins du Saint Sacrifice
Les fins du Saint Sacrifice de la Messe, puisque renouvellement de celui de la croix, seront les mêmes que ceux de l’immolation au calvaire, du Dieu fait homme.
Par rapport à Dieu, nous trouvons :
– l’adoration
– l’action de grâces.
Relativement à nous :
– la propitiation
– l’impétration.
Les effets de la Messe relatifs à Dieu, contrairement à ceux qui nous sont relatifs, se produisent infailliblement, quel que soit le ministre, du moment que la Messe soit valide.
« Si le ministre n’est pas toujours ce qu’il devrait être, le prêtre principal est infiniment saint ; si le ministre, même lorsqu’il est très bon peut être légèrement distrait ou occupé des cérémonies extérieures du sacrifice, sans en pénétrer le sens intime, il y a au-dessus de lui quelqu’un qui n’est pas distrait et qui offre à Dieu en pleine connaissance de cause une adoration réparatrice d’une valeur infinie, une supplication et une action de grâces d’une portée sans limite ».
Garrigou Lagrange
A chaque Messe donc, en raison de la dignité de la Victime qui s’offre, s’élève vers le Père une adoration et action de grâces infinies.
« Cette oblation plaît plus à Dieu que tous les péchés ne peuvent lui déplaire »
St Thomas, IIIa, q48, a2
Sacrifice d’adoration donc, comme l’étaient les holocaustes de l’Ancien Testament où la victime était consommée tout entière pour rendre hommage au souverain domaine de Dieu. C’est ici le Fils de Dieu lui-même qui s’offre à son Père.
» Une seule Messe glorifie plus Dieu que ne le ferait le martyre de tous les hommes uni aux louanges de tous les anges et de tous les saints « .
Père de Foucauld
Glorification et adoration rendues à Dieu le Père, donc, mais également action de grâces puisque la Sainte Messe a été instituée par Notre Seigneur en rendant grâce au Père de tous les dons reçus pour l’Église. Quelle meilleure marque de reconnaissance peut-on donner à Dieu le Père que son propre Fils, don le plus excellent. Le « Gratias agamus Domino Deo nostro », précédant le Canon, continué par la Préface, ne sont-ils pas encore dans le rite de la Messe des manifestations de cette action de grâces ? « Quid retribuam Domino pro omnibus quae retribuit mihi » (que rendrai-je au Seigneur pour tout ce qu’il m’a donné) demande le psalmiste et demandera le prêtre, dans le rite traditionnel, juste avant de Communier au Précieux Sang. Et il ajoutera : » Calicem salutaris accipiam et nomen Domini invocabo » (Je prendrai le calice du salut et j’invoquerai le nom du Seigneur). Qui ne verrait dans les paroles de ce psaume l’annonce du Sacrifice de la Messe comme Sacrifice d’action de grâces ?
Les deux premières fins du Saint Sacrifice sont donc pour Dieu. Elles sont les premières.
« Toute l’essence du sacrifice consiste dans l’offrande » du Fils de Dieu à son Père dira le Catéchisme Romain, offrande qui sera particulièrement signifiée dans les admirables prières et gestes, si expressifs, de l’offertoire de la Messe selon le rite ancien.
Ayant bien compris cela, l’orientation, à la Messe, du prêtre vers l’autel semble également aller de soi ; le prêtre, « alter Christus », qui tient la place du Christ et qui donc s’offre au Père, se tourne naturellement vers lui. « Le Concile, ajoute le catéchisme du Concile de Trente, n’a pas non plus oublié de rappeler que le sacrifice ne s’offre qu’à Dieu ».
Sacrifice satisfactoire et propitiatoire : les effets du Saint Sacrifice, quant à nous, ne serons accordés que dans la mesure de nos dispositions.
Comme sacrifice propitiatoire, la contrition de nos péchés nous conduisant à regretter nos fautes et à aller nous confesser ne sera donnée qu’à ceux qui ne mettent pas d’obstacle à cette grâce actuelle. Les Rites mêmes de la Messe (sagesse de l’Église !) aideront le pécheur que nous sommes à faire nôtres ces dispositions requises ou à les acquérir : tout est ici pour nous rappeler cette condition de pécheur qui est la nôtre, reconnaissance qui est le premier pas pour pouvoir bénéficier de la miséricorde divine (toutes les prières au bas de l’autel qui sont comme une préparation avant d’oser accéder à l’autel du sacrifice, le confiteor, le Kyrie eleison, l’Agnus Dei, les Domine non sum dignus… sans oublier pour le prêtre les multiples références à son indignité et à sa condition de pécheur, les prières avant la communion, les inclinations ou frappement de poitrine …).
« Notre Seigneur pendant la Ste Messe lance des rayons de lumière dans le cœur des pauvres pécheurs pour leur faire connaître leurs misères et les aider à se convertir s’ils sont fidèles à la grâce ».
Saint Curé d’Ars
Comme satisfactoire, la Sainte Messe remet aussi infailliblement aux pécheurs repentants une partie au moins de la peine temporelle due au péché, et cela encore, en proportion des dispositions plus ou moins parfaites avec lesquelles ils assistent au Saint Sacrifice. C’est pour cela, dit le Concile de Trente, que la Sainte Messe peut-être offerte pour la délivrance des âmes du purgatoire.
Enfin, comme sacrifice Impétratoire (de demande ou supplication), la Messe nous obtient toutes les grâces dont nous avons besoin pour nous sanctifier. Ici encore, en proportion de notre disposition. Il est pourtant possible d’y obtenir tout ce dont nous avons besoin. De même que le soleil éclairant et réchauffant une place donnera autant de lumière et de chaleur à une personne qu’à mille, la Sainte Messe, dans son ordre particulier, ne connaît pas non plus de limite dans l’effusion de ses grâces, autres que celles que nous posons nous-mêmes par nos dispositions.
La Sainte Messe dans ma vie
La Sainte Messe est donc au cœur de notre vie chrétienne puisqu’elle est selon le mot de Saint Odon, « l’œuvre à laquelle est attaché le salut du monde ». L’œuvre de la Rédemption n’est facultative pour personne… nous ne pouvons pas être sauvés sans bénéficier du Sacrifice du Fils de Dieu qui a payé le prix de notre rachat et nous a ainsi ouvert les portes du ciel (« sans effusion de sang, il n’y pas de rémission» dira Saint Paul). C’est ce même sacrifice, de manière cette fois non sanglante, qui est offert sur nos autels. Si nous sommes en état de grâce (ou voulons l’être), c’est au Sacrifice de Notre Seigneur que nous le devons (ou devrons). « Vous puiserez avec joie aux sources du Sauveur » disait le prophète Isaïe. Oui, c’est avec joie que nous devrions courir à cette fontaine de vie et faire de la Messe le véritable cœur, l’âme de nos journées.
« Si l’homme connaissait bien ce mystère, il mourrait d’amour. Dieu nous ménage à cause de notre faiblesse ».
Saint Curé d’Ars
Toute la vie chrétienne consiste à s’offrir à Dieu. Comprenons par la foi qu’il n’y a pas de meilleur moyen de s’offrir à Dieu que celui d’assister, avec les sentiments requis, au Saint Sacrifice de la Messe ; d’y avoir cet esprit contrit et pénitent du publicain de l’évangile pendant les prières au bas de l’autel ; d’y méditer les enseignements des saintes écritures avant que de s’offrir, comme le Bon Larron le fit au calvaire, sur la patène élevée par le prêtre pendant l’offertoire et de se mêler, comme la goutte d’eau, au vin du calice ; de rentrer avec toute la ferveur intérieure de notre âme et de notre cœur dans la grande prière silencieuse et mystérieuse du Canon et de se préparer comme le centurion par les prières avant la Sainte Communion à la venue de notre Rédempteur en notre âme, avant de rendre grâce comme Zachée. Action de grâces pouvant se prolonger tout au long de la journée où nous désirons continuer à vivre de cette présence de Dieu dans notre âme.
Ecoutons encore le Saint Curé d’Ars :
« S’il n’y avait dans le monde qu’une seule église ou l’on célébrât l’auguste mystère de nos autels, ou l’on consacrât, nous porterions sans doute une sainte envie à ceux qui seraient aux portes de cette église. Or, nous sommes ce peuple choisi, nous sommes à la porte de ce lieu si saint, si pur, où Dieu s’immole chaque jour. Pour gagner cinq ou six francs, vous feriez trois ou quatre lieues, et vous ne feriez pas seulement trente pas pour entendre une messe les jours de semaine ! Où est votre foi ? »
Il nous faudrait vivre, selon l’expression du Père Sevin, « en état de Messe ». C’est à dire dans les dispositions d’une offrande permanente à Dieu.
En méditant sur les grandeurs du mystère de la Messe que nous n’arriverons qu’à peine à percevoir (« Si le prêtre comprenait ce qu’est la Messe, disait le St Curé d’Ars encore, il mourrait »), prenons la résolution de profiter de ces grâces que Dieu veut nous donner pour parvenir «par sa passion et par sa croix à la gloire de sa résurrection ». Les apôtres dormaient au jardin des oliviers et rares étaient ceux aux pieds de la Croix. Que Saint Jean et Notre Dame, témoins du Sacrifice du calvaire, nous fassent comprendre la grandeur de la Messe et nous aident à nous laisser attirer par Jésus nous souvenant de ses paroles toujours actuelles : « Quand je serai élevé de terre, j’attirerai tout à moi ».
FRATERNITE SAINT PIERRE