Une chrétienté, c’est un pays qui s’efforce d’être saint en tant même que Patrie. C’est un pays qui, dans ses institutions et ses mœurs, imite le Christ. C’est un pays qui puise l’inspiration de ses lois et de ses actes publics dans l’Evangile.
Ce sont là des vérités qui se sont tellement effacées de la conscience des Français qu’on parait ridicule de les énoncer simplement. Et pourtant, le Christ est le Roi des peuples comme des âmes. Le Christ est Roi de France, et c’est un Roi qui règne et qui doit gouverner. Des millions de Français, dans les temps, l’ont cru, ont vécu sous cette légitimité surnaturelle, sont morts pour cette suzeraineté transcendante.
L’ancienne France puisait sa vigueur secrète la plus profonde dans une mystique temporelle chrétienne. Je pense qu’il n’y a pas d’équivoque possible. Je parle ici de chrétienté et du destin temporel de mon Pays. Je ne parle plus de l’Eglise et de la vie éternelle. Pour un catholique, il est trop clair que l’Eglise est inaccessible à la mort et qu’elle accomplira jusqu’au bout la mission à elle seule confiée, de sauvegarder sans mélange le dépôt de la révélation et de la légitimité sacramentelle. Mais cette sauvegarde n’a besoin ni d’un large espace ni de beaucoup de fidèles. Elle s’est parfaitement assurée dans les catacombes et il importe peu, du point de vue de sa nature, que l’Eglise ait une puissante et vaste assise visible. Comme une immense pyramide
renversée, elle peut ne toucher terre que par une pointe étroite.
Il n’en est pas de même d’une chrétienté. Une chrétienté, c’est une entreprise de rénovation et d’organisation temporelles, inspirée par les principes de l’Evangile. Ces principes sont alors considérés, non seulement comme des germes de vie divine et surnaturelle, féconds pour le salut éternel des âmes, mais surtout comme des règles d’édification d’une cité charnelle, comme des idées-forces politiques, comme l’instrument total du salut immédiat des peuples, dans l’ordre même du savoir-vivre terrestre et par rapport aux nécessités pratiques de la vie mortelle, individuelle et collective. Cette rénovation et organisation temporelles chrétiennes, les curés comme tels n’en ont pas la charge — une chrétienté n’est pas forcément une théocratie —, c’est le Royaume temporel de Dieu, dont la charge incombe à tous les hommes de bonne volonté, pour autant qu’ils ont une mission temporelle à remplir. Sous peine de n’être qu’un rêve ou une épure sur le papier, comme la République de Platon, une chrétienté exige un espace social concret, occupé solidement par une mystique chrétienne, de profondes fondations charnelles.
Une chrétienté ne s’accommode pas des catacombes, elle ne vit qu’à ciel ouvert, c’est un arbre de plein vent et de larges espaces; il lui faut une multitude d’hommes réels, en chair et en os et en muscles aussi, imprégnés de l’esprit de l’Evangile, décidés coûte que coûte d’y conformer non seulement leur conduite personnelle, mais les affaires dont ils ont charge et le destin de leur pays. Des hommes qui prétendent engager l’honneur du Christ dans le comportement
politique de leur patrie.