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Homélie du lundi de Pentecôte
Lundi de Pentecôte, 12 mai 2008,
en la cathédrale Notre-Dame de Chartres.
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Monseigneur, mes chers amis,
Au terme de notre marche, consacrée à la méditation des vertus, voici que l’Immaculée nous apparaît : elle est la Mère qui donne la vie, la Femme qui répand la douceur, l’Enfant qui ranime l’espérance.
I. L’Immaculée donne la vie, parce qu’elle est Mère. Si la Mère de Dieu a été préservée, dès sa conception, de toute atteinte du péché, c’est pour être le canal translucide de la naissance de Dieu en ce monde : Marie est Immaculée, parce qu’elle est la femme revêtue du Soleil de justice (cf. Ap 12, 1), qui est le Christ, elle est toute entière relative au Christ, elle nous renvoie sans cesse à lui, elle forme en nous ses vertus. Marie est l’icône incandescente de la vie morale, elle lui donne son vrai sens : être le rayonnement du mystère du Christ en nous ! C’est elle qui nous revêt du Christ par sa médiation maternelle. Or le Christ, l’Homme-Dieu, est le seul qui puisse nous faire vivre de la vraie justice, qui est le droit des autres, reconnu et respecté par nos devoirs. En une époque marquée par un égocentricisme souvent délirant, le Christ nous donne la clé de la vie sociale : « fais à autrui ce que tu désires qu’il te fasse » (cf. Mt 7, 12). Et cette attention à l’autre, qui suppose le renoncement, voire l’héroïsme, n’est cependant pas une frustration, mais un épanouissement : car le droit fondamental de chacun n’est pas une déclaration abstraite, mais un devoir, attaché à la possibilité concrète de respecter autrui et de faire grandir son humanité. Eh bien, l’Immaculée, qui est Mère, donc source et protectrice de vie, diffuse « le climat de la grâce » (Péguy), où le devoir est accompli de façon heureuse et vivante, comme un exercice de piété filiale. Marie a porté Dieu-Enfant en son sein (Notre Dame de Guadalupe nous y renvoie), Marie a assisté avec Jésus les derniers instants de saint Joseph (la vision de la Sainte Famille à Fatima nous le rappelle), Marie enfin a offert au Père la mort de son Fils : l’Immaculée a ainsi fait du respect de la vie, de sa conception à sa fin naturelle, l’élément fondamental de toute existence épanouie, ouverte sur sa finalité qui est Dieu. Aussi nous invite-t-elle, au-delà de l’égoïsme institutionnalisé qui enferme l’homme dans l’amertume d’une revendication permanente, a bâtir une Cité de la piété filiale, où nous aiderons toutes les mères à recevoir le miracle de la vie comme une nouvelle aventure de l’histoire du Christ total ; où nous accompagnerons toutes les souffrances des fins de vie, comme rayonnantes pour le salut de tous, en union avec la Passion de Jésus.
II. L’Immaculée répand la douceur, parce qu’elle est Vierge et Epouse. Elle est la femme éternelle : « C’est par Marie que le mystère métaphysique de la femme se dévoile. Le dogme de l’Immaculée conception plonge dans la splendeur de l’aurore de la création » (Gertrud von Le Fort). L’Immaculée est celle qui met de « l’ordre dans l’amour ». L’amour entre les hommes, à cause du péché, est menacé par la domination et la concupiscence. L’Immaculée structure l’amour humain dans la force et la tempérance, elle le met dans l’ordre : reposant dans l’amour de Dieu, animé par la charité du Christ reçue dans l’Esprit, ordonné aux joies éternelles. L’Immaculée est Vierge, c’est-à-dire femme passionnée de l’amour de son Créateur, à tel point qu’il est la source vive de toutes ses autres dilections ; elle est Epouse du Saint-Esprit, qui la transforme dans l’esprit des Béatitudes du Christ, condensé dans le Magnificat ; enfin elle est épouse de saint Joseph, et elle place ce bel amour humain dans le nimbe de la douceur divine. En un temps flétri par la violence et la sexualité désordonnée, où les pornocrates dégradent la femme en objet de consommation, nos cœurs ont la nostalgie de la pudeur, de l’onction, de la douceur féminines. La femme doit être par sa distinction, par sa réserve, par sa beauté sans séduction, la « sentinelle de l’invisible » (Jean-Paul II), afin que l’homme puisse – soutenu par sa compagne – être le soldat des combats de ce monde visible. Eh bien, l’Immaculée, la Vierge-Epouse, nous aidera à reconstruire une Cité du respect de la femme. « C’est le catholicisme qui a énoncé sur la femme les propositions les plus fortes qui aient jamais été prononcées » (Gertrud von Le Fort). Loin du modèle repoussant de l’érotisme des sociétés occidentales, loin de la dégradation révoltante de la condition de la femme en islam, l’Immaculée fera refleurir la discrétion, les modes et le langage qui sont ceux de mères, d’épouses et de sœurs chrétiennes, conscientes de leur immense influence sur leurs compagnons masculins. L’Immaculée nous donnera de vivre les combats du courage et de la belle chasteté, dans une courtoisie qui est fleur de charité, et dans le charme d’une douceur qui vient d’un autre monde.
III. L’Immaculée ranime l’espérance, car elle est l’Enfant par excellence. Elle celle dont tout l’être, dès le premier instant de la conception, est un don de grâce. Au moment même où elle est créée, le baiser du Verbe éternel la touche si intimement qu’elle est rachetée « d’une façon plus admirable encore » (Bx Pie IX) : elle est d’un seul coup pleinement réussie, tant dans l’ordre de la nature que dans celui de la grâce, elle est bellement et simplement enfant de Dieu. Elle est celle qui sort en riant, comme une aurore tout de suite brillante, des mains du Créateur, celle qui charme son cœur, telle une enfant gracieuse qui réjouit ses parents. C’est pourquoi elle nous rafraîchit dans l’espérance, comme le font tous les enfants. Le simple fait de la regarder, ou plutôt de nous laisser regarder par elle, nous rassérène et nous dynamise. « Le regard de la Vierge est le seul regard vraiment enfantin, le seul regard d’enfant qui se soit levé sur notre honte et notre malheur », nous dit Bernanos. Et ce regard transmet, de façon appropriée à notre timidité, le pardon du Christ, il fait refleurir en nous la petite sœur espérance : « Ce regard est celui de la tendre compassion, de la surprise douloureuse, d’on ne sait quel sentiment encore, inconcevable, inexprimable, qui la fait plus jeune que le péché, plus jeune que la race dont elle est issue et, bien que Mère par la grâce, Mère des grâces, la cadette du genre humain. » Nous sentir regardés par elle, qui est totalement, comme personne créée, de notre côté, cela infuse en nous la certitude d’être aimés, tels des enfants blessés, du Dieu dont elle est l’Enfant toute innocente. Ce regard enfantin se porte sur tout être humain, si handicapé, si douloureux et contradictoire qu’il soit. Il nous rappelle la dignité incommensurable de la personne humaine, dont la nature a été créée à l’image de son Fils, et qui est personnellement appelée à l’Alliance éternelle. Quelles que soient ses misères, l’homme a une certitude épanouissante, transmise par le beau regard d’une Enfant : il est aimé d’un mystérieux amour, éternel comme Dieu, et fidèle comme le Christ. En un temps de relativisme, de fausse prudence, de domination matérialiste de l’argent, quel trésor à communiquer à tous que cette certitude ! L’Immaculée nous aidera, par delà les tristes cités de la désespérance, bornées par l’injustice, l’absurde et la mort, à construire, comme lieu de l’amitié politique et de la prudence qui conduit vers le Ciel, une Cité de l’admiration. Une société, non plus obnubilée par la construction utopique du « meilleur des mondes », mais responsable du prochain concret, et ouverte sur l’éternel. Une cité attentive à s’étonner, à remercier, à combattre certes le mystère d’iniquité, mais en s’extasiant d’abord du mystère de bonté, dont l’Immaculée est le reflet le plus pur. Une cité, non plus affairée autour du seul rendement matériel et de l’efficacité à tout prix, mais qui prend son temps pour la vie de l’esprit, pour l’art, et pour l’étonnement (car une société où plus rien n’étonne serait le parvis de l’enfer). Une cité qui sait que le réel est plus grand que nous, et qui fait de la recherche du vrai le premier des droits, en respectant les cheminements de chacun et le mystère des libertés. Une cité de l’espérance, où l’enfant et le jeune sont heureux, parce que, au lieu de se voir enfermés dans leur narcissisme, ils aperçoivent un but qui les dépasse : aimés sans être adulés, ils sont encouragés et sanctionnés, et reçoivent les repères de la loi naturelle et de la loi du Christ, conditions de leur liberté. Une cité de l’admiration est une cité où l’éducation est la première charité, car elle prépare des « amants de la beauté spirituelle » (S. Augustin), à l’image de Celle qui gardait sans cesse, au milieu des plus humbles tâches, le regard de son cœur sur la Beauté souffrante et transfigurée du Christ (cf. Lc 2, 19 et 51).
Conclusion.
Mes chers amis, l’Immaculée, notre vie, notre douceur et notre espérance, nous demande d’être les apôtres des vertus qu’elle met sous nos yeux de façon si enthousiasmante. Après ces trois jours si riches, que faire ? Si ce n’est donner aux autres la joie de ce trésor ! La chrétienté est précisément une Cité de la piété filiale, du respect de la femme et de l’admiration, dont l’Immaculée nous révèle la splendeur et le rayonnement apostolique. L’Immaculée nous a donné à Fatima un grand moyen pour faire rayonner sur les autres le bonheur de connaître le Christ, et ainsi obtenir la conversion de nos nations et la paix : c’est la communion réparatrice des cinq premiers samedis du mois. Une croisade de pèlerins sanctifiant les premiers samedis, en l’honneur du Cœur immaculé, s’associant massivement aux Rosaires pour la vie dans nos Cathédrales, en accord avec les pasteurs, produira des fruits immenses de sainteté. Pourquoi négliger ce pacifique moyen, qui serait aussi un puissant témoignage d’unité spirituelle de tous ceux qui – dans la communion de l’Eglise – sont attachés aux pédagogies traditionnelles de la foi ? Amis pèlerins, en ce cent-cinquantième anniversaire de Lourdes, l’heure est favorable ! Le monde fatigué, issu des fausses Lumières, se fissure, et ne diffuse plus qu’impuissance à aimer et angoisse de l’âme. Ceux qui gémissent sous la dictature du relativisme, sous la tyrannie de l’hédonisme, ou sous le joug mental de l’islam, attendent que vous les meniez, par la grâce de la communion réparatrice, à l’Immaculée. Pour eux aussi, la tristesse du vieux monde doit s’effacer devant la joie de l’Immaculée, notre vie, notre douceur et notre espérance.
fr. Louis-Marie de Blignières
Note: La messe du Lundi de Pentecôte à Chartres a été célébrée par le père de Blignières, supérieur de la Fraternité Saint Vincent Ferrier, dans le rit dominicain traditionnel. Pour plus d'informations sur ce rit, cliquez ici.