LA TRADITION - RP Louis-Marie de Blignières
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Au point de vue des sources de la révélation, la tradition, pour résumer, peut être tout ce qui nous est transmis depuis les apôtres par un moyen qui n'est pas l’ écriture Sainte, c'està- dire : la prédication, la foi de l'Eglise, les pratiques officielles. Voilà le sens maximal de la tradition, avec un grand « T » et Vatican II a rappelé dans le texte sur la révélation une vérité tout à fait traditionnelle, à savoir que la tradition est enrichie par la contemplation des fidèles et leur méditation des choses sacrées.
Le concile précise qu’à cause de son importance pour comprendre tout ce que Notre Seigneur nous a dit, y compris l’écriture, la tradition doit être respectée et vénérée, autant que l'Ecriture Sainte. Evidemment, le pèlerinage de Chartres est né dans un contexte de protestantisation, disons, ou d'influence protestante à l’intérieur de l'Eglise qui rendait particulièrement opportun le fait de rappeler l'importance de la tradition comme source de la Révélation. Mais ce que je voudrais développer avec vous maintenant, c’est l’idée suivante : en fait, le pèlerinage, on l'a vu, c’est une oeuvre de laïcs. Elle a été suscitée par des laïcs, on est d’ailleurs très heureux d'avoir eu aujourd'hui parmi nous les fondateurs, elle est dirigée par eux. je pense que du fait de cette vérité même traditionnelle que la contemplation des laïcs, leur action dans la mouvance du Saint Esprit est un des éléments du développement disons homogène de la tradition. En développant cette idée, je dirais que le pèlerinage de Chartres a voulu être comme ce que les théologiens appellent, un terme un peu technique mais facile à comprendre, un organe secondaire de la tradition. Les organes primaires, ce sont le Pape et les évêques, et sous la direction du Pape et des évêques, les fidèles en communion avec eux sont également dans leur agir sanctifiés, des organes la tradition. Et pour le cas du pèlerinage de Chartres évidemment, on descend dans un domaine beaucoup moins abstrait, beaucoup moins général, il s'agit d'avoir voulu les forces du pèlerinage et être un témoin incarné, vivant, authentique de la tradition avec une double note : d’une part, l'amour de nos patries charnelles qui sont le cadre où nous avons reçu la foi et vous savez que Jean-Paul II a beaucoup insisté sur la foi et les racines historiques de la foi - il y même eu un pèlerinage où nous avons particulièrement développé cela - et d’autre part, ce que Jean Madiran dans un très bel article, qui doit être connu au moins des séminaristes mais aussi de beaucoup d’autres, «La civilisation dans la perspective de la piété » (c'est l'itinéraire numéro 67), appelle la piété filiale à l'égard de l'être historique de l'Eglise, c'est-à-dire, non seulement le fait de reconnaître qu’il n’y a pas que l’écriture Sainte mais d’avoir un certain amour pour les différentes formes qui, au cours de l'histoire, nous ont véhiculé la vérité de la Révélation. Donc dans le sens où nous en parlons, je pourrais dire que la tradition avec un petit « t », comme application de l’incarnation de la tradition avec un grand « T », c’est partir d'une mémoire pleine de gratitude. On a dit beaucoup de mercis aujourd'hui c'est très bien, c'est une transmission à partir de la mémoire et dans le but de servir, évidemment servir les générations qui viennent, les générations actuelles. Alors on va s’arrêter seulement à deux facettes, deux caractéristiques de cette tradition en tant qu'elle constitue l'un des trois fondamentaux puisque aujourd’hui, on emploi le terme au substantif au pluriel, un des trois fondamentaux du pèlerinage : Chrétienté - Tradition – Mission.
La tradition est émouvante, on va commencer par là, sans tomber dans l’émotionalisme, mais enfin ! La tradition est émouvante parce qu’elle nous prend tout entier, cela ne plane pas dans des sphères néo-platoniciennes évoquées pendant le sermon de ce matin. Elle nous prend tout entier, c’est émouvant. La tradition est intelligente, çà St Paul nous le dit. La tradition est intelligente parce qu’elle nous ouvre à l’universel. J’ai été frappé, en parcourant une revue récemment, de trouver ce sous-titre dans une communication de Don Luigi Luchiani qui est le fondateur de « communione elevatione » en Italie : « la tradition pour rentrer dans la totalité du rêve ». Voilà nos deux aspects : La Tradition nous prend tout entier, donc c'est émouvant et efficace, la Tradition est intelligente, elle nous conduit à l'universel. Rapidement, comment la tradition avec un petit « t », telle qu’on la vit à Chartres, elle nous prend. Elle nous prend dans nos racines, elle nous prend dans nos corps et notre dimension sociale et elle nous prend avec nos péchés. C’est le pack complet, on a tout.
La tradition nous prend avec nos racines historiques lorsque l’on fait le pèlerinage, d'une merveille d’architecture à Paris à une autre merveille d’architecture à Chartres, et on marche, c’est important, on l’a rappelé, j’ai beaucoup apprécié cela, à la suite des pèlerinages étudiants depuis Peguy. Il y a donc à la fois une grande tradition depuis plusieurs siècles d’art et de beauté, mais on marche aussi à la suite de Peguy et des grands convertis du XXe siècle, spécialement les Charlier, puisque c’est le Centre Henri et André Charlier qui a fondé le pèlerinage. Vous voyez, c’est un petit peu réactionnaire. Souvent les choses humaines commencent par une réaction je dirai. Il y a une réaction contre l'interruption de la transmission : ma génération et celle d’au dessus, les gens qui avaient 20 ans en 68 ou plus vieux, qui ont arrêté de transmettre, et ont fabriqué des crétins en série, enfin plus ou moins.
Le pélé de Chartres, c’est donc le refus. Il y a d’abord une certaine négation, on le verra c’est pour le positif. C'est un apostolat de la mémoire et un apostolat qui se fonde sur une grande vérité de l'enracinement, Simone Weil l’a rappelé, Simone Weil la philosophe bien sûr. La condition de la liberté s’enracine pour faire pousser des feuilles dans le ciel. C’est un bel apostolat de la mémoire. Ensuite, il y a nos racines culturelles : nous marchons d’un chef d’oeuvre gothique à un autre, en chantant des chants qui sont plus ou moins heureusement inspirés de la tradition française, et autres. Nous avons aussi des bannières de nos saints. Il ne suffit pas de bannières, le Cardinal l’a bien dit, mais ce sont nos saints, nos origines, ce sont un peu comme les saints des corporations. On prie avec les prières de la tradition liturgique latine : il y a une autre réaction, pacifique, mais quand même musclée, face à la démission culturelle et liturgique. On pourrait dire que Chartres est un apostolat de la beauté, un apostolat de la mémoire. Le cardinal Ratzinger rappelait que justement le sens des fidèles, le sens de la foi des fidèles (il le disait dans son livre « appelés à la communion ») certainement, il n’est pas laissé à lui tout seul infaillible, mais il a du flair et il sait discerner entre ce qui est développement du souvenir et ce qui est la destruction du souvenir. Je crois que le contexte historique de notre naissance dans la crise de la société de l'Eglise est précisément un discernement dans le sens de la foi contre les falsifications liturgiques et mentales de la modernité, spécialement dans les 40 ou 50 dernières années.
Donc il y a nos racines qui sont présentes, c'est émouvant. Et puis il y a nos corps : par nos corps, nous nous inscrivons dans une grande tradition qui remonte à Jésus allant à Jérusalem au fêtes juives et puis dans les pèlerinages chrétiens à Rome, à Compostelle, à Jérusalem aussi. C'est une démarche tout à fait réaliste qui incarne notre marche vers le ciel et qui la symbolise. Le Cardinal nous en a dit quelques mots hier soir de son importance, dans la petite réunion avec les responsables. C’est une démonstration visible de ce qu'est la marche du chrétien par la Croix vers le ciel. Et c’est donc une oeuvre de chrétienté au sens tout à fait expérimental parce qu’elle serait impossible sans la collaboration des laïcs et des clercs et sans une juste harmonisation des compétences, (là je tire à nouveau mon chapeau, enfin je n’en ai pas). Je redis mon affection et ma reconnaissances aux laïcs et aux prêtres qui collaborent dans un bel exemple d’harmonie qui est une application concrète de la théologie catholique du temporel et du spirituel. Il y a un apostolat de l’harmonie, un apostolat de l'enracinement, un apostolat de la beauté (le redémarrage du pèlerinage, surtout lorsque l’on est bien situé pour voir toute la colonne, c’est splendide). Et puis un apostolat de la solidarité.
A Chartres, nous marchons avec nos racines historiques et culturelles, nous marchons avec nos corps et notre dimension sociale puisque c'est une petite société. C’est une démonstration par les faits qu'une chrétienté est possible au moins pendant trois jours, disons sans doute plus. N’oublions pas nos péchés, la démarche de pénitence pour nos péchés, d’expiation et je dirais, surtout, de réparation pour les péchés des autres, dans l’esprit du Sacré Coeur, de Lourdes et de Fatima, auxquels on a consacré des pèlerinages. Je crois que c’est très en situation pour répondre aux divers matérialistes de la modernité. Il y a un côté extrêmement émouvant que nous avons-nous les prêtres et vous les responsable des fioretti innombrables de pèlerins, de personnes touchées par cette beauté, par cette harmonie et cette solidarité qui se manifeste dans cette impressionnante démarche de trois jours mais préparée pendant 18 mois. Donc voilà le premier aspect de la tradition, c’est émouvant parce qu’elle nous prend tout entier. C’est un très bon un moyen d'apostolat catholique, (puisque le catholicisme, c’est l’Incarnation) et thomiste puisque saint Thomas le souligne de façon éminente.
Maintenant, deuxième aspect, du fait qu’elle est émouvante , la tradition est un peu une pompe aspirante parce que les gens retrouvent leurs racines. Nous avons plusieurs exemples de personnes, de latinistes en particulier qui reviennent à la messe. Un professeur de grec est venu donner une session chez nous. Il a quitté l'Eglise, enfin, la pratique depuis 40-45 ans, je crois qu’il va revenir parce qu’il va retrouver cette richesse. Récemment dans le Paris- Chartres, je discutais avec une juive très cultivée qui me disait, « j’espère que vous avait bien la liturgie en latin, n’est-ce pas quand vous regardez le rituel ». Elle était admirative du fait que l'Eglise garde toute une tradition à la fois de rituel et aussi une philosophie. C'est important de se rendre compte - le Cardinal nous l’a très bien dit - l’impact du pèlerinage est plus grand que nous le pensons. J’ai des souvenirs aussi en faculté, un professeur d’esthétique me disant : « mais pourquoi est-ce que l'Eglise : j’ai assisté à un baptême récemment ; a si mauvais goût ? » Je lui ai dit : « écoutez, nuançons, cela dépend du rituel que l’on suit. » C’est amusant de voir des intellectuels qui se disent…, les intellectuels aussi ont une âme, il faut aussi s’en occuper et les ramener, car ils peuvent aussi enseigner des gens. Je signale au passage pour les anti-intello…
Deuxième point, la tradition est aussi intelligente. C’est très important. Il y a une phrase célèbre qui dit que « la vraie tradition est critique ». Elle nous ouvre au réel. Alors trois aspects : la tradition est catholique, la tradition est actuelle, la tradition est apostolique.
La tradition est catholique : je crois que c’est important, surtout à la suite du motu proprio, de revenir sur cet aspect de la tradition même avec un petit « t », c’est-à-dire celle qui s’appuie sur les pédagogies traditionnelles, telles qu’elles ont été pratiquées, jusqu’à il y a environ 40 ans ou 50 ans. Je crois qu’au coeur de çà, (les membres des instituts ne me démentiront pas), on part d’un attachement à la philosophie réaliste, ce qui fait que l’intelligence atteint le réel. Par rapport à la grande rupture de la modernité intellectuelle, c’est capital. Un prêtre formé à une philosophie réaliste est un autre type d’homme qu’un type qui n'a jamais entendu parler que de Descartes et de Kant, ou pire de Nietzsche. Donc il y a ce noyau de confiance fondamentale d'optimisme, d'optimisme fondamental dans l’intelligence, et puis de formation à l’école de saint Thomas. Je crois que çà, c’est un aspect très important, c’est le noyau. Autour de ce noyau, rayonnent les différents éléments relevés par le motu proprio Eccclesia Dei, lequel n’est pas abrogé contrairement à ce qu’on a dit.
Ce qui est abrogé, ce sont les conditions restrictives de l’application de la messe. Au contraire la commission continue sa mission et dans cette mission, il y a la protection de cette identité traditionnelle dont elle énumère différents aspects : la liturgie, l'apostolat, la spiritualité, la discipline, cela fait tout un ensemble. Et un ensemble dont vous éprouvez vous-même, dont j’éprouve moi, puisque notre évêque nous a demandé d’assurer quelques ministères avec des prêtres diocésains qui sont très dévoués, etc.. Mais, je sens bien que pour la catéchèse, pour la façon de s'exprimer, pour le contenu du sermon, pour la façon de se présenter…
Il y a dans les pédagogies traditionnelles une cohérence qui est extrêmement importante de soulever de soutenir, sans dire que c’est quelque chose de dogmatique… On nous embête quelquefois en nous disant : êtes vous bien en communion, êtes vous bien pleinement en communion, en pleine communion, etc… parce que par exemple, vous ne dites pas le nouveau rite ? Je prends cet exemple pas tout à fait au hasard. Oui, je ne dis pas le nouveau rite comme les byzantins ne disent pas non plus le rite latin, ils sont en pleine communion. Mais les gens qui me disent cela, ils n’ont pas ouvert leur code de droit canon, parce que dans le code de droit canon, il est demandé d’étudier latin, d’étudier saint Thomas d'Aquin et quand on est religieux, de porter l’habit. Souvent le type qui vous dit çà ne parle pas un mot de latin mais il peut apprendre avec l’Assimil, (cela fait gagner du temps, c’est ce que j’ai fait lorsque j’ai pris la filière cléricale). Il faut l’aider et puis Saint Thomas, il sait comment çà s’écrit, à la différence des gens, lorsque l’on dicte notre adresse, auxquels il faut dicter d’Aquin…Mais là le gars, il sait comment cela s’écrit mais il ne sait pas grand-chose de plus. Alors ce gars là, est-ce qu’il est vraiment plus en communion, plus que moi ? Ces trois choses là sont obligatoires d’après le droit. Je signale, je ne dirais pas que cela m’agace, … c’est un peu trivial mais enfin si quand même: Je crois que le droit, ce n'est pas qu’un impératif ancien. Cà exprime la théologie, ainsi la communion est exprimée par le droit.
Donc ? je crois que c'est important de se souvenir. Ce n’est pas un archéologisme sympathique ou un folklore. C’est un élément de la véritable ecclésiologie de communion sur laquelle on a insisté peut-être à juste titre mais en la poussant un peu depuis Vatican II. L'identité est condition de la communion. J’ai une identité claire, (je m’en rends compte dans les déplacements, vous le voyez vous-mêmes), tous les prêtres qui sont en soutane. On est souvent abordé par des juifs, des musulmans, des francs-maçons, des incroyants même.
Il y a des gens qui vous demandent de confesser. Et ayant une identité claire, tant le matin la messe qu’a dit saint Thomas d'Aquin, le Cardinal l’a rappelé une messe qui dans son noyau dur a un millénaire et demi d’existence. Je suis d’autant plus libre pour aller inventer des choses parce que la tradition est inventrice et trouve des moyens d'application, çà c’est mon deuxième point.
La tradition est actuelle, elle est très actuelle, elle est intelligente. Je suis dans l’admiration des réunions, du grand nombre de réunions que font les responsables laïcs pour mettre au point l'instrument. Ils n’arrêtent pas de vérifier si ça marche. On ne répète pas comme à des perroquets des trucs, on essaye de voir les erreurs qui ont été faites. C’est très actuel et actualisant. Je pense que cette formule là, qui n’est pas la seule, je l’ai dit en terminant, elle est très actuelle parce que nous sommes en face, - déjà le Cardinal Ratzinger le soulignait dans un entretien avec le Monde je crois en novembre 92- d'un nihilisme croissant de nos sociétés modernes qui est extrêmement inquiétant. Après l’effondrement d’une partie des grands totalitarismes, il y a ce vide et ce vide est une opportunité extraordinaire. Le Pape l’a insinué, il nous le met dans la dernière encyclique pour proposer la synthèse vivante de la raison et de la foi qui est celle qui est véhiculée par le catholicisme.
Je dirai encore de façon plus claire, dans sa forme traditionnelle avec un petit « t ». Il y a une synthèse vivante, l’attachement par exemple, Jean Madiran rappelle « Aeterni patris » qui est l’encyclique de Léon XIII qui a relancé Saint Thomas, la première encyclique sociale. C’est vrai que dans cette famille de pensée il y a une insistance là-dessus, et je crois que c’est très important. Parce que devant le vide actuel, il y une possibilité extraordinaire qui va nous éviter des écueils. Parce que dans le vide, il y a toujours des dangers, des dangers de fidéisme, des dangers d’activisme, et on le voit dans certains des mouvements frères, nous avons beaucoup de rapports avec tel et tel mouvement et d’autres mouvements dans l’Eglise, qui ont des valeurs considérables. Et souvent je crois que l’on peut se mettre à leur école pour leur gentillesse, leur esprit apostolique ou leur rigueur enfin selon qu’ils sont charismatiques ou néo-jésuites, etc... Il y a beaucoup de choses très positives, il faut bien le dire. On collabore très volontiers avec ces groupes mais il est vrai, nous le voyons nousmêmes et eux-mêmes le sentent, que l’enracinement dans une tradition concrète même quand une partie n’est pas absolu mais quelque chose qui est respectable, cela donne une force inouïe. Entre la philosophie saint Thomas d'Aquin et puis celle des penseurs à la mode, les penseurs de la pensée zéro, entre le rituel traditionnel latin ou byzantin, (on n’est pas les seuls a avoir une forme traditionnelle dans l’Eglise romaine catholique) et puis ce qui a été réalisé comme réforme liturgique, vais-je dire de façon un peu triviale qu’il n’y a pas photo !
Je vais peut-être le dire. Le jour où on me donne quelqu'un qui est mieux que saint Thomas d'Aquin, je n’aurai aucun problème pour l’adopter mais je n’ai pas beaucoup de souci pour l’instant pour çà. Donc c’est important, cela nous garde du fidéisme et de l’activisme. Cela nous garde du fidéisme spiritualisme qui se moque de l’incarnation temporelle aussi bien du côté un peu super spi que du côté progressiste, ‘l’Abbé Pozetto l’a rappelé), je ne dis pas que c’est obscène, c’est mal vu. Je ne résiste pas au plaisir de vous citer un passage du Père Calmel, un père dominicain qui a beaucoup contribué à la revue itinéraire, et qui a été un des premiers qui a réagi contre la réforme liturgique :
« On peut dire sans doute que l'acrimonie, la hargne d’un certain nombre de clercs contre la civilisation chrétienne, procède d'une rude ignorance théologique, d’une conception rétrécie des rapports de la nature et de la grâce et une absence de docilité aux vastes leçons sociales et politiques du souverain pontife. »
L’enracinement dans ces traditions nous garde de mépriser le temporel et de tomber dans la pur spi, (qui est un peu la tentation des générations qui suivent la mienne, un petit peu) ou l’activisme progressiste d'un côté ou de l'autre qui instrumentalise l'église, pour des fins parfois honorables parfois subversives, mais même quand elles sont honorables, elles sont secondaires. Alors voyez cet aspect que la tradition est actuelle. Je le caractériserais ou je le terminerais avec une nouvelle citation de Dom Luigi Luchiani : Le phénomène éducatif se joue dans l’instant. L’éducation, c'est une transmission, il faut bien qu’il y ait un présent, la première condition et le premier facteur fondamental de l'éducation est la richesse d’une tradition. Donc nous en avons une qui a ses limites et ses grandeurs, et vraiment ce serait dommage de ne pas les mettre à profit.
Troisième aspect, la tradition est apostolique au sens de l'annonce de l'Évangile. Toutes les formes que j'ai évoquées ; la liturgie, la catéchèse, la spiritualité, la discipline, sont au service de la charité. Et spécialement la plus haute des charités qui consiste à amener les gens à Dieu . Saint-Thomas dit : « La plus haute forme de charité c'est d’amener les âmes à la contemplation. » Et de fait, les âmes ont soif de çà.
Donc ceux qui découvrent, (il y en a d’innombrables, qui ont découvert dans les dizaines de milliers qui ont fait le pèlerinage), la force, la richesse insoupçonnées des pédagogies traditionnelles, (je préfère ce mot à plutôt isoler tel ou tel aspect ce sont des pédagogies traditionnelles), éprouvent une double réaction face à cette découverte qui les éblouit parfois, souvent. Premièrement, ils sont surpris ! Mais pourquoi on ne m’en a pas parlé avant ? Il y a une surprise qui est parfois teintée d'amertume. Là, il faut dépasser l’amertume. Mais enfin on se dit pourquoi monsieur le curé, pourquoi mon prof, mes chefs ne m’ont pas parlé de çà alors que c’est merveilleux. Cette surprise, c’est la première chose qui frappe et la deuxième, c’est ce qui doit dominer et le rester, c’est le désir de donner. Ce que j'ai trouvé il faut le donner aux autres pour éviter la souffrance que j’ai eue et d’être moi-même errant dans une société qui est de plus en plus solitaire. On le voit en se déplaçant. Cette société est prise dans la glace de l'indifférence, de la solitude et là quand on découvre le pèlerinage avec cette solidarité actuelle et cette solidarité temporelle, et bien on se dit, je veux le donner sinon on a rien compris, on a tout raté.
Et là-dessus, on va donc passer à la conclusion. Donc nous avons dit : premièrement la tradition, au sens où je l'ai expliqué comme incarnation concrète de la grande tradition de l'Eglise, elle est émouvante parce qu’elle nous prend tout entier. C’est quelque chose de magnifique, elle est très belle, - c’est une pédagogie de l’incarnation sublime - et puis elle est intelligente, elle est critique au vrai sens du terme. Elle nous ouvre à l’universel, elle nous fait trouver d’autres trucs. Il y a des gens qui, à partir du pèlerinage, vont faire d’autres choses.
C’est très bien. Ils ont trouvé d'autres choses. L’Eglise a toujours fonctionné comme çà. Il ne faut pas les censurer parce qu’ils ne font pas exactement comme nous. Mais nous, il faut nous motiver pour relever les cadres, spécialement dans la logistique. Cela manque et on ne pourra pas continuer si les générations de jeunes que j’ai un peu apostrophés la dernière fois, gentiment quand même, mais enfin, il faudrait qu’elles se réveillent un peu plus. La conclusion : deux éléments , cela permet de terminer en disant ni çà ni çà mais un truc au sommet entre les deux, c’est classique mais c’est vrai, je crois. Il y a deux dangers dont je crois ces pédagogies nous tiennent à l’écart, dont nous devons être attentifs dans notre coeur, dans notre oraison à rester distance :
le premier, c’est l’irénisme. Il y a une crise de l'église ou dans l'église, pardon, je préfère ce mot là. Le cardinal Ratzinger en parlait dans la citation que j'ai faite. Il en a reparlé juste avant son élection. Il y a une crise dans la société, elle n’est pas terminée. Certainement, il y a eu des progrès extraordinaires. Moi quand le Motu Proprio est arrivé, l’élection de Benoit XVI, j’ai pleuré. Le Motu Proprio comme beaucoup on a sablé le champagne, heureusement il y avait quelques bouteilles qui étaient en réserve. C’est des choses extraordinaires, c'est incroyable. Surtout pour les gens comme nous qui avons fait 38 ans, pas de hangar mais, je suis passé un petit peu au rite byzantin, mais on a quand même été dans des choses un peu marginales. Je ne dis pas que le rite byzantin est marginal. Pas d’irénisme qui ne verrait plus la réalité de cette crise ou ses dangers pour nous. Il y a une crise mais nous on est des gars, des gars très bien et donc la crise c’est bien pour des jeunes adolescents mais moi çà va. Je suis très bien formé, etc…Je ne suis pas séduit par … La crise, (on baigne dedans), tant que nous n’avons un nombre suffisant de prélats qui relayent les grandes intuitions pontificales, cela commence doucement à venir, et aussi de facultés catholiques et de séminaires. C’est pourquoi le motu proprio est une étape, on nous redonne cet accès à la messe. Il faut aussi des prêtres formés pour la dire avec l’ensemble des pédagogies me semble-t-il à côté des autres. J’ai souligné çà hier soir au cardinal. Donc pas d’irénisme. Je crois que c’est très important, il ne faut pas être agressif mais faut garder le tonus parce que sinon on va s’embourgeoiser et après on le constate un petit peu pour certains.
Et puis, pas de morgue, pas de superbe, on n’est pas les sauveurs de l’Eglise. Cà serait pharisaïque, embêtant pour notre Salut éternel et puis ce serait puéril quoi. On ne va pas sucer notre pouce en disant : « on est les plus beaux et on va sauver l’Eglise. » Ce n’est pas vrai. On est un des éléments, et il faut savoir ce qu’il faut. Aristote dit que les formes poétiques sont toutes très diverses mais il ne faut pas les mélanger. Et moi, je vous avouerai que je ne suis pas partisan de mélanger parce que tout en s’inspirant, tout en collaborant, il y a une harmonie dans le rite latin tel que nous l’avons évidemment dans toutes les pédagogies catéchétiques, nous actualisons les choses. Nous parlons en français actuel. Si vous assistez à un cours de caté vous vous rendrez compte. Même pour les soeurs de Pontcallec il ne vaut mieux pas qu’elles viennent parce qu’après elles me grondent parce que mon langage n’est pas assez académique, ce en quoi elles ont raison. Mais enfin on actualise quoi. Mais c’est quand même quelque chose de merveilleux.
Moi je ne vois pas de nécessité de mélanger notre rite avec celui d’un autre, cela fait un Pape de Pise, un troisième rite, personne ne voudra de ça. Enfin, il faut que ce rite, cette richesse extraordinaire - le cardinal nous disait hier soir que c’est quand même chaque mot du canon romain - a été médité pendant des siècles par les théologiens. Quand je dis la messe, cela m’émeut énormément. Sur ces mots coulent le sang et la pensée des saints qui l’ont dite. Vous savez cela vous tient debout pendant une journée. Après, on peut aller à Nanterre, discuter avec n’importe qui dans le métro, c’est bon. A Nanterre ou ailleurs. Je ne sais pas où on va. Là où vous allez tous, dans des lieux plus difficiles sans doute que moi, comme çà, comme on est, ce n’est pas la peine de se cacher. Si on ne se cache pas, je crois que l’on rend un grand service en particulier aux musulmans. Cela m’arrive assez fréquemment qu’ils viennent parler : « c’est bien, parce que Dieu, il est où ici. Il est où dans votre société Dieu. Toi au moins tu mets Dieu quelque part » peut-être me coupera t-il la tête un peu après mais au moins je lui ai rendu la charité de manifester que chez les chrétiens aussi Dieu est force, ce qui est un élément d’identité important.
Donc pas d’irénisme et pas de pharisaïsme, et avec ces deux éléments là, eh bien, nous remercions tous ceux qui ont maintenu vivante cette identité traditionnelle. Pour ma génération, je pense à différents aspects, à tous ceux qui m’ont formé, à l’évêque qui m’a ordonné, aux prêtres, aux supérieurs religieux qui ont reçu mes professions religieuses, à Jean Ousset, à Jean Madiran, à Bernard Antony le fondateur du Centre, tous ceux qui nous ont transmis, qui sont les gens d’une période où nous étions les pèlerins du pèlerinage que je faisais, on était 200. Donc, çà quand même progressé. Remercions ceux qui ont maintenu vivant cette identité traditionnelle qui est pour nous et qui doit être pour beaucoup sans impérialisme, une forme concrète de la communion. Notre forme de la communion c’est l’identité, ce que je vous ai dit est un tremplin efficace de la mission pour le Salut des âmes, avec de surcroît des bienfaits de la chrétienté. Je termine en citant le Saint Père dans sa dernière encyclique : « En tant que chrétien, nous ne devrions jamais nous demander seulement comment puis-je me sauver moi-même ? Nous devrions aussi nous demander : que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgissent aussi pour les autres l’étoile de l’espérance. Alors j’aurai fait le maximum pour mon Salut personnel. » Je vous remercie.
RP Louis-Marie de Blignières
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