1. Nos cœurs sont agités. Plus que jamais dans l'histoire des hommes, nous sommes surchargés, troublés, inconstants. Une culture dont tous les organes transpirent le vertige du nihilisme nous déstabilise. Assaillis par une masse croissante d'informations, pressés par les rythmes de la rentabilité moderne, sollicités par les obsessions de la publicité, nous voici submergés par les émotions synchronisées des médias.
Le coup de tonnerre de la descente de l'Esprit nous ramène à l'essentiel : Dieu existe, et il est entré dans la famille humaine ! Les Apôtres, à l'audition de la grande Voix qui résonne sur le Cénacle, sont marqués au fer incandescent de la communion de l'Esprit, « partout présent et remplissant toutes choses » (2), et ils saisissent de l'intérieur le mystère de l'Incarnation. Après les faciès de haine qui ont grimacé lors de la Passion, ils voient le visage serein de la Mère de Dieu, doucement penché vers son Eglise naissante. Dans l'Icône de la Vierge de tendresse (l'Eleoussa des Orientaux), nous contemplons ce qu'est Marie pour les baptisés. Comme elle était inclinée, douce et grave, sur le visage du Sauveur Enfant, elle est penchée sur chacun de nous et nous presse contre sa joue. « Elle regarde l'Etre véritable de toute la force de son esprit » (3). En fixant l'Immaculée, le regard de notre foi est porté vers le Dieu incarné qu'elle a mis au monde. La beauté de « celle qui illumine l'esprit des croyants » (4) nous rends attentifs à l'essentiel : « Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils » (5) ! Si le souffle de l'Esprit Saint chasse le bruit de fond parasite qui rend nos âmes sourdes, si sa grâce transforme l'intime de nos cœurs par l'absolution sacramentelle et la marche pénitente, alors une paix que le monde ne peut comprendre s'infiltrera en nous.
2. Nos cœurs sont vides. Comment serait-ils pleins ? L'homme est fait pour Dieu, et rien de ce qui est en dessous de lui ne peut le combler. Mais nous vivons une étrange éclipse de Dieu. A l'école comme à l'Université, il est défendu de parler de lui, nos philosophes ont proclamé sa mort ou son
silence définitif, nos politiques le bannissent de l'espace public et prétendent le chasser de l'histoire de l'Europe qu'il a façonnée. Une catéchèse subjectiviste et le discours de certains Pasteurs évoquent davantage la solidarité humaine que la Création, la Trinité ou la Rédemption. Nous voici donc, alors que nous sommes bourrés de technique et de virtuel, sevrés de la vraie sagesse, la science du réel et des choses de Dieu.
Qui va combler ce vide ? L'Esprit Saint que donne l'Eglise ! Tombant en flammes chaudes et éclairantes sur les Apôtres qui entourent Notre Dame, il les remplit d'une connaissance cordiale du mystère du Christ. Il les fait entrer dans l'insurpassable charité du Père manifestée dans la Passion et les illumine de la grâce plénière de Jésus siégeant à la droite de Dieu. Tout prend sens à la lumière de l'Amour crucifié écrasant le péché et dépouillant l'enfer. Tout l'absurde est évacué, le vide du monde est comblé, la grâce de la Trinité, tel un invisible cristal, abrite ceux qui sont baptisés, pour qu'ils mettent dans le temps la joie même de Dieu. Jusqu'à la fin du monde, sous la conduite des successeurs de Pierre « à qui Notre Seigneur laissa les clés de cette admirable joie » (6), les saints déploieront les splendeurs de la divine révélation : « Dieu s'est fait homme pour que nous soyons fait Dieu » (7) ! Quelle richesse inépuisable, quelle plénitude ! Regardons la Vierge « qui retient toutes ces choses dans son cœur » (8). Marie, celle qui montre le Chemin (l'Hodigitria des Orientaux), nous présente l'Enfant-Roi sur ses genoux tendant les bras vers le monde. En elle, l'Esprit nous entraîne vers la vérité toute entière qui est le Christ. Allons vers le trésor de Sagesse que nous présente l'Eglise, interrogeons-nous sérieusement sous le regard de la Mère de Dieu : qu'est-ce que nous en connaissons ? Qu'est-ce qu'il nous fait faire pour y puiser davantage ?
3. Nos cœurs sont égoïstes. Il n'est pas facile pour l'homme déchu de respecter tout homme et de l'aimer comme son frère. Notre modernité, traversée d'un nombre infini d'informations, est un univers d'îles humaines où les individus émettent des signaux qui se perdent dans le vide, parce que plus personne ne sait écouter. Renfermé comme un autiste sur ses émotions, cherchant dans des techniques et des jouissances le secret du bonheur, l'homme sans vie intérieure est incapable d'échange, parce qu'il ne veut plus prendre le risque d'aimer. Donner la vie, oeuvrer pour le bien commun, se sacrifier pour l'autre, voilà qui est devenu impensable. Les deux cités qui s'affrontent
depuis la chute d'Adam sont aujourd'hui arrivées au point où le choix est clair (9). Il faut avec le Christ perdre sa vie dans l'amour de Dieu, ou se replier sur un égocentrisme forcené, dans la haine de tout ce qui n'est pas soi ; la transparence de Marie et des Apôtres, ou l'opacité du refus satanique !
En regardant au Cénacle la Mère du Christ, les Apôtres voyait le visage de son Fils. Elle les éduquait à l'apostolat en leur redisant : « Faites tout ce qu'il vous dira » (10). Lorsque l'Esprit Saint est descendu leur suggérer de nouveau tout l'Evangile, ils ont compris en profondeur la prédiction de Jésus : « vous serez mes témoins jusqu'aux extrémités de la terre » (11). Ils ont chanté avec Marie dans le Magnificat la grande miséricorde de Dieu, l'Incarnation rédemptrice, et l'ont répercutée jusqu'à la fin des temps. Malgré les faiblesses humaines, les apôtres et leurs successeurs ont été fidèles et transparents au message du Christ ! Un grand signe se dresse depuis deux millénaires sous les yeux des nations, c'est l'Eglise qui, « par son admirable propagation, son éminente sainteté et son inépuisable fécondité en toutes sortes de biens, est par elle-même une preuve irréfragable de sa mission divine » (12).
Par l'ascendant de leur conviction, par leur amour brûlant pour le salut éternel des hommes, joints aux miracles qui les accréditent, les apôtres et les saints ont touché les cœurs et les ont ouverts à l'Amour. Leur enthousiasme communicatif, leur attention aux faibles et aux rebuts de la société, ont provoqué par osmose la transparence des cœurs : désormais, tous peuvent communier au plus profond de leur être dans la lumière du Christ. Quel dégel : la glaciation de la haine et les désespérantes solitudes ont fondu sous la chaleur de l'Esprit ! Tout baptisé tournant les yeux vers Marie, cette « transparence qui repose dans la lumière de la Trinité » (13), se sent responsable du salut de tous les hommes. Comment supporter l'idée que des êtres fait à l'image de Dieu et appelés à la communion trinitaire, n'aiment pas leur propre grandeur, s'isolent dans le désespoir et périssent misérablement pour l'éternité ? Aurons nous du repos tant que nos frères se damnent et que nous ne les aurons pas persuadés de la vie éternelle ? Comment ne pas vouloir être les apôtres de la joie divine (14), cette joie qui rayonne sur la misère du monde à partir du soleil mystérieux de l'Eucharistie ?
Marie, Mère de l'Eglise, vous êtes « le vêtement de ceux qui sont sans espérance. » (15) Pour le monde assis dans les ténèbres de la mort de Dieu, vous êtes l'ultime port du salut. Que votre Cœur immaculé nous attire, nous et tous ceux qui mendient la lumière, à la sérénité, à la densité et à la transparence de l'Esprit de Jésus.
Fr. Louis-Marie de Blignières
Prieur de la fraternité Saint-Vincent-Ferrier
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