Je voudrais ici leur rendre hommage, afin de saluer les bons et fidèles serviteurs qu’ils furent. Car toute leur vie, à leur niveau de responsabilité, ils ont œuvré chacun à la défense et à la promotion des valeurs qui firent la grandeur et la beauté de la chrétienté. Parents, grands-parents et arrières grands-parents comblés, ils ont également su, ce qui n’est pas toujours évident, transmettre à leur famille l’amour de Dieu, de la France et de son histoire.
Hervé Pinoteau s’engagea très jeune dans l’étude, la transmission mais aussi l’actualisation de ces valeurs. Sa forte personnalité et son érudition considérable étaient reconnues, admirées et parfois redoutées. Hervé Pinoteau était une sommité incontournable dans les domaines de l’héraldique (il fut vice-président de l’Académie internationale d’héraldique durant de nombreuses années, spécialiste incontesté des armes de France…), de la phaléristique (étude des ordres de chevalerie et des décorations), de la vexillologie (étude des drapeaux et étendards, science qu’il contribua à créer), et de la généalogie. Par son œuvre scientifique considérable, il restera comme l’un des plus grands spécialistes de l’étude « des insignes du pouvoir ». Son livre, « Le chaos français », est considéré comme une somme et une référence sur le sujet.
Mais au-delà de son œuvre et de ses travaux scientifiques, le grand engagement de sa vie, et pour lequel il était peut-être davantage connu du grand public, fut le combat pour la défense des droits de l’aîné des Bourbons, ce que l’on appelle le légitimisme. Etre baron de l’Empire et porter, parmi ses prénoms, celui de Napoléon, sans jamais renier son histoire familiale, ne l’empêcha pas d’y consacrer sa vie et d’y sacrifier carrière, moyens, réputation et parfois même vie de famille. Cet engagement total fut motivé par le souci de penser, de dire, et d’écrire la vérité, au service de Dieu et de la France.
En 1940, alors qu’il est encore jeune-homme, il assiste à l’écroulement de notre pays, puis à son occupation et à sa libération, avec les excès qui s’ensuivirent. Il en fut dégoûté à jamais des fastes républicains et enquêta alors pour savoir s’il y avait une solution politique aux maux de la France. Sa conclusion, qui fut la grande conviction de son existence, fut que seule la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ pouvait concourir au bien des nations et que, par conséquent, la monarchie était véritablement le meilleur des gouvernements. Il adhéra ainsi, par sa propre réflexion et par ses recherches, à la certitude que la royauté très chrétienne était la gloire de la civilisation tout court.
Adhérer à des thèses ou croire à l’excellence d’une tradition est une chose. Désirer leur actualisation était, pour lui, beaucoup plus important et même vital. Il s’engagea donc avec énergie, passion et désintéressement pour la cause royale. Mais, si la royauté était bonne en tant que telle, qui pouvait-en être le roi ? L’étude approfondie et scrupuleuse des lois fondamentales du royaume lui apporta la révélation que tous les juristes omettaient de s’interroger sur la validité des renonciations. Il ne suffisait pas, en effet, qu’un prétendant ou un monarque renonce à ses droits, pour lui ou pour ses descendants, pour que cela soit légitime. Et le droit désignait, pour être roi légitime de France, l’aîné des Capétiens !
Au début des années 50, cet héritier légitime n’était autre qu’un prince espagnol quasi sourd-muet et divorcé. C’est dire, comme il l’écrivait : « que l’adhésion à cette cause ne pouvait guère soulever l’enthousiasme ». Il alla avec trois amis, en 1954, rencontrer ce prince, le Duc d’Anjou et de Ségovie (Jacques-Henri VI), pour l’encourager dans ses droits et se mettre à son service. Il devint son chancelier, charge qu’il conserva aussi auprès de son fils, Alphonse II dont il fut le confident et l’ami, et de son petit-fils, Louis XX. Et ce jusqu’à sa mort.
Au fil des années, Hervé Pinoteau devint la mémoire du légitimisme en même temps que sa « conscience », selon l’expression de Daniel de Montplaisir. En 1973, il prit part à la fondation de l’Institut de la Maison de Bourbon (IMB).
A l’occasion de son rappel à Dieu, le Prince Louis, Duc d’Anjou et aîné des Capétiens, s’est dit très affecté et a salué vivement sa mémoire et témoigné de sa profonde reconnaissance pour celui qui « avait tant œuvré comme serviteur de Dieu, de la France et de la légitimité, au service de son grand-père, de son père » et au sien.
Toute son œuvre, évoquée ici trop brièvement, n’aurait pu voir le jour sans le soutien et le travail discret de son épouse. Il le reconnaissait d’ailleurs lui-même et l’écrivit souvent. Ensemble, ils furent très engagés, et très tôt, dans le combat pour la messe et la Tradition. Mariés par Dom Edouard Guillou, ils furent parmi les premiers soutiens et fidèles de Dom Gérard et de son monastère de Bédoin puis du Barroux.
Ils firent également partie des premiers fidèles de la Fraternité Saint-Pierre, dont ils étaient paroissiens à Versailles, et furent particulièrement liés à l’un de ses fondateurs, le cher abbé Denis Coiffet. C’est grâce à ce dernier qu’ils firent la connaissance de l’abbé Christian-Philippe Chanut, le mythique curé de Saulx-les-Chartreux, qui devint lui aussi un grand ami, ainsi que l’aumônier des Princes jusqu’à son rappel à Dieu en 2013.
Logiquement ils soutinrent, dès le début, la magnifique aventure du pèlerinage de chrétienté entre Paris et Chartres. Chacun à leur niveau, ils donnèrent de leur temps et de leur engagement à notre « Czestochowa national ». Hervé Pinoteau n’avait pourtant pas attendu 1983 pour pèleriner dans les plaines de la Beauce. Dès 1948, avec les étudiants catholiques de la Sorbonne, et durant des années, il avait suivi les traces de Charles Péguy. Il avait su guider aussi, en 1988, le Prince Alphonse, duc d’Anjou, sur les routes de Chartres. Le Prince, qui avait fait ce pèlerinage incognito, avait été profondément marqué par cette marche de foi et y avait vu comme la lueur d’espoir que tout n’était pas fini… Hervé Pinoteau dédia au fils et à la belle-fille du Prince Alphonse le petit livre très instructif qu’il écrivit sur « Notre Dame de Chartres et de France ».
Enfin, conjuguant ses talents d’héraldiste et d’historien, et y alliant sa piété personnelle et sa fonction de chancelier du duc d’Anjou, il composa un symbole montrant l’union des Cœurs de Jésus et de Marie. Très convaincu par cette double dévotion, il avait su persuader le Prince Alphonse d’en sommer ses armoiries afin de répondre à la demande du Sacré Cœur de Jésus faite à Sainte Marguerite Marie. Voici ce qu’il écrivait pour décrire ce « symbole » : « Voici deux cœurs rayonnant dans un soleil d’or… d’abord le Sacré Cœur de Jésus, fournaise ardente de charité… et le cœur Immaculé de sa mère, la Très Sainte Vierge Marie… Ils régneront un jour sur notre France rénovée…, règne s’opérant par la royauté fleurdelisée des Capétiens au service du bien commun ».
Pendant plus de soixante-dix ans, Hervé Pinoteau, soutenu par sa chère épouse, travailla donc avec passion et pugnacité à faire connaître et aimer les signes, les insignes et la famille qui ont fait la grandeur et le prestige de la France. Ce travail considérable et difficile ne fut pas toujours gratifiant, ni reconnu à sa juste valeur. Mais qu’importe, les Pinoteau n’étaient pas des courtisans et leur amour de la vérité ainsi que leurs forts caractères leur valurent peut-être quelques inimitiés. Finalement, le plus important n’est-il pas la vérité sans compromis ? Et la vérité parfois fait mal ! L’œuvre remarquable du Baron Pinoteau aura été importante pour nous aider à mieux connaître notre histoire et sera peut-être un jour utile au renouveau de la France.
Et nous avons l’espérance que les sacrifices qu’ils auront consentis tous les deux, au service de la vérité, seront récompensés par le Roi des rois, lorsqu’Il leur dira : c’est bien, bons et fidèles serviteurs, entrez maintenant dans la joie de votre maître.
Abbé Brice Meissonnier