Au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.
Chers pèlerins,
qui avez parcouru invisiblement non seulement les 100 kilomètres qui séparent Paris de Chartres, mais aussi les 1472 kilomètres qui séparent Chartres de Rome, si du moins j’en crois les indications données par les instruments de calcul contemporains, soyez les bienvenus dans cette Basilique construite sur les lieux mêmes où Pierre, le prince des Apôtres, a rendu le témoignage suprême, le témoignage du sang, au terme de son propre pèlerinage, qui l’avait conduit d’une humble bourgade de Galilée jusqu’en la capitale de l’Empire romain.
Cette année, l’épreuve principale a consisté non pas dans la marche sous le soleil ou sur les aspérités de la route et des chemins, mais dans le sacrifice qu’il a fallu faire de trois journées exaltantes, au cours desquelles on voit se rapprocher progressivement les flèches de Notre-Dame de Chartres, cette cathédrale qui, selon la belle formule de Charles Péguy, est « maîtresse de sagesse et de silence et d’ombre » (Prière de report). On ne choisit pas ses épreuves. C’est le Seigneur qui nous les envoie, en les proportionnant toujours à ce que nous sommes capables de porter avec Lui.
Nous voici donc réunis, non pas sous les célèbres verrières de la cathédrale ou près de Notre-Dame de Sous-Terre, mais, grâce à la bienveillance de Son Éminence le Cardinal Angelo Comastri, Archiprêtre de Saint-Pierre, devant l’autel de Sainte Pétronille, qui, au milieu du VIIIe siècle, fut donnée comme patronne à la France par le Pape Étienne II au cours de son échange avec le roi Pépin le Bref, père de l’empereur Charlemagne. C’est ici même qu’est venu, en 1889, le premier pèlerinage ouvrier de France, sous la conduite du Cardinal Langénieux, Archevêque de Bordeaux, et c’est ici aussi qu’est célébrée tous les ans une messe pour la France, à la demande de l’Ambassade de France près le Saint-Siège.
Mais il y a bien plus que des souvenirs purement français à évoquer ici, puisque le pèlerinage de chrétienté rassemble des pèlerins venus des quatre coins de la terre. Vous aviez, chers pèlerins, un thème de réflexion qui invite à dilater son regard bien au-delà du monde visible, puisque vous avez invoqué nos saints Anges gardiens, des anges qui sont présents sur ce très beau tableau que vous apercevez et qui montre, dans un raccourci saisissant, la mise au tombeau de sainte Pétronille, en même temps que son entrée au ciel, où elle est reçue par le Christ ressuscité dans sa gloire, qui lui montre ses mains martyrisées sur la Croix et ouvertes avec la plus grande générosité que l’on puisse imaginer.
Sur terre, dix personnages sont représentés. Au ciel, neuf seulement, mais parmi eux, on distingue parfaitement sept anges, qui entourent Jésus et Pétronille. Leurs attitudes sont éloquentes : aucun d’eux ne nous regarde, mais tous ils travaillent pour nous : l’un s’apprête à couronner Pétronille, quatre autres soutiennent le Christ en gloire, à qui ils offrent le soutien de leur louange et de leurs services, tandis que les deux plus grands regardent le ciel, où ils voient le Père et l’Esprit Saint, qui demeurent totalement invisibles à nos yeux. Ce faisant, ils nous invitent nous aussi à dépasser le stade du visible et à nous souvenir que notre véritable habitation est dans les cieux, comme le dit saint Paul (Ph 3, 20).
Notre Saint-Père le Pape habite à quelques centaines de mètres d’ici. Il prie pour vous et il vous bénit tous. Très souvent, il célèbre la messe votive des saints anges et, tous les ans, le 2 octobre, en la fête des saints anges gardiens, il commente un texte tiré du livre de l’Exode qui parlera tout particulièrement aux pèlerins que vous êtes. Le Pape, en effet, cite ce texte – « je vais envoyer un ange devant toi pour te garder en chemin et te faire parvenir au lieu que je t’ai préparé » (Ex 23, 20), puis il rappelle que l’Église célèbre nos « compagnons de route, les protecteurs de notre chemin, les anges qui sont précisément avec nous, sur le chemin », parce que, ajoute-t-il, « c’est vrai, la vie est un chemin sur lequel se trouvent des pièges et des périls. Nous avons besoin d’une boussole, mais d’une boussole à dimension humaine. (…) L’ange gardien n’est pas seulement avec nous, mais il voit aussi le Père. Il est en relation avec Lui. Il est un pont, chaque jour, depuis l’heure où nous nous levons jusqu’à celle où nous nous couchons » (homélies du 2 octobre 2014 et du 2 octobre 2018).
Sur la route où nous avons marché, au moins en pensée, nous rencontrons des anges et des témoins, et, au terme, nous voici devant les textes que nous ont laissés les tout premiers disciples du Christ, saint Luc, dans les Actes, et saint Jean, dans son évangile. Ces joyaux sont à la fois au terme de votre pèlerinage et au point de départ de la suite. Saint Luc, dans les Actes, nous montre saint Pierre en train d’annoncer le Christ ressuscité à un groupe de Juifs qui le découvre. L’Esprit Saint intervient directement d’une manière extraordinaire, et tous demandent le baptême, qui les fait entrer définitivement dans l’Église. C’est effectivement un terme et un point de départ, exactement comme dans un pèlerinage : terme d’une vie dans l’ignorance du vrai sens de l’existence et dans l’obscurité de l’ignorance – ces païens menaient une vie sans but véritable -, mais c’est aussi un magnifique point de départ vers une vie d’union intense au Père, par Son Fils et dans l’Esprit. Ce qui s’est joué sur les bords de la Méditerranée, à Césarée, chez un centurion romain païen, de la cohorte Italique, nommé Corneille, c’est le passage de l’Évangile à tout ce monde païen qui n’était pas l’héritier des promesses d’Israël. Chacun d’entre nous est l’héritier de ce passage.
Avec saint Jean, dont Mgr Léonard nous disait l’année dernière qu’il avait résumé tout son Évangile dans cette phrase « Dieu a tant aimé le monde qu’Il lui a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu’il ait la vie éternelle » (Jn 3, 16), tout est dit, effectivement : au départ, un amour infini, celui de Dieu le Père pour le monde. Saint Jean insiste, dans sa première lettre : « Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est Lui qui nous a aimés » (1 Jn 4, 10). Au terme, l’amour infini encore, puisque la vie éternelle, c’est la contemplation sans fin de l’amour de Dieu qui a agi en nous, partout dans l’espace et toujours dans le temps, grâce à l’Esprit qui a « rempli l’univers » ainsi que nous l’avons chanté hier (cf. Sg 1, 7). Entre le principe et la fin, entre le point de départ et le point d’arrivée, l’amour encore nous soutient, mais là, nous sommes profondément impliqués. Le Seigneur nous demandera au cours du Jugement Dernier : comment m’as-tu aimé, comment as-tu aimé ton prochain ?
Aujourd’hui, chers frères et sœurs, en pensant à Notre-Dame de Chartres, en priant pour toutes nos familles, pour nos amis, mais aussi pour nos ennemis, décidons d’être, en compagnie de nos anges gardiens, des pèlerins de l’amour qui acceptent de recevoir leur vie comme un don à rendre au Père de toutes les miséricordes (cf. 2 Co 1, 3). Confions-nous à Notre-Dame de la Route, qui fait tout ce chemin avec nous et demandons-lui de nous inspirer de ne jamais abandonner notre vocation chrétienne. Laissons-nous saisir par le Christ pour être offerts par Lui au Père, dans le feu de l’Esprit saint.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.