Au nom du Père, et du Fils, et du St Esprit… et du St Esprit ! du St Esprit… mes biens chers frères, n’avons-nous pas trop souvent prononcé cette formule capitale -celle de la foi de notre baptême- sans bien y penser ?
Le Saint-Esprit… en cette solennité du Dimanche de Pentecôte, la liturgie nous invite à prendre conscience de ce don extraordinaire qui nous est fait. Don reçu par la grâce baptismale. Don qui nous a fortifiés à la Confirmation. Don divin qui peut être perdu, mais aussi retrouvé avec la grâce sanctifiante par le sacrement de pénitence.
Sept semaines après Pâques -une semaine de semaines- la Pentecôte était déjà fêtée dans l’ancienne Alliance. Le peuple de Dieu commémorait alors les tables de la Loi reçues par Moïse. Aujourd’hui, avec les apôtres au Cénacle, c’est la loi de l’Alliance nouvelle et éternelle qui est reçue dans l’Église naissante. Voici les dons du Saint-Esprit promis par le Christ, nous révélant la plénitude de la vie intime de Dieu, un et trine.
On oublie trop cette 3ème personne de la Sainte-Trinité agissant dans nos âmes. Il ne s’agit pas de tomber dans une sensiblerie charismatique, mais de vivre en présence de celui qui nous fait prier, qui nous fait oser dire à Dieu « Pater noster ». Avec cette messe, nous nous retrouvons au pied de la sainte Croix, derrière Notre Dame et le disciple bien-aimé. C’est encore une fois l’unique sacrifice rédempteur qui est rendu présent pour nous, ici et maintenant. Et comme l’évoquent les mots choisis par St Jean, le Seigneur en rendant son dernier souffle, en expirant, nous « remit l’esprit ». Le verbe ici employé signifie donner, remettre, livrer, transmettre. Le Seigneur répandit son Esprit…
Comme le Christ qui est la tête -le chef- de ce grand corps dont nous sommes les membres, on peut dire du Saint-Esprit qu’il est l’âme de l’Église. Il l’anime de son souffle vivant et divin, depuis la Pentecôte. Car le St Esprit n’a pas plus commencé à souffler dans l’Église à la fin du XXème siècle… qu’il n’a -depuis lors- abandonné sa barque ! Toute l’histoire de l’Église est animée du mystère de cette présence qui l’inspire. C’est l’âme de sa tradition, bien vivante, qui traverse les siècles. Tradition, transmission… dont ce magnifique pèlerinage à son tour témoigne depuis déjà plus d’un quart de siècle.
Permettez-moi un témoignage plus personnel, celui d’un jeune homme du service d’ordre en 1983 -quand les portes de la cathédrale nous étaient fermées à cause du rite de la messe-, devenu le prêtre qui vous parle en ce jour. Grâce à Dieu j’ai pu accomplir à pied chacun de ces pèlerinages depuis plus de 25 ans… et bien pourtant à chaque fois, c’est toujours nouveau ! Nulle habitude ne résiste à ce souffle de Pentecôte. « Ad Deum qui laetificat juventutem meam». La Chrétienté nous rajeunit. Il n’y a que le péché qui marque la vieillesse de l’âme. Frères pèlerins, secouons-nous, à nouveau, en reprenant cette route, enivrés de l’esprit de Pentecôte…
« Ô Esprit saint ,
Esprit invisible, impalpable,
Esprit qui n’êtes qu’esprit »
Nous avons naturellement bien du mal visiblement à nous représenter l’extraordinaire don qui nous est fait. Comment voir le St Esprit ? Comment imaginer corporellement ce souffle d’un Dieu qui n’est qu’Esprit ? Peut-être les images de l’ombre de la nuée ou de la gentille colombe nous abusent elles un peu… A la Pentecôte c’est le souffle d’un ouragan avec l’intensité de langues de feu qui enflamment les premiers chrétiens. On les croit même ivres ! Ivres de l’amour de Dieu… Sommes-nous aussi pleins de ce vin nouveau, qui fait craquer les vieilles outres ?
Laissons gonfler nos âmes à ce souffle de l’Esprit de Pentecôte. Avançant bannières au vent dans la plaine de Beauce, nos chapitres sont plus qu’une image, une parabole vivante, une petite Chrétienté où souffle pour nous l’Esprit.
Vous avez sûrement admiré ce matin le long déroulement de la colonne du pèlerinage, naviguant sur l’océan des blés en herbe, caressés par la houle du vent…En tête de chaque chapitre, comme les voiles gonflées de ces vaisseaux de chrétienté, les bannières de nos saints protecteurs Ils se sont laissés saisir eux aussi par le souffle de l’Esprit de Dieu. Ils nous précèdent et nous guident maintenant.
Mais il faut de la docilité pour s’en remettre à Dieu, pour se laisser guider par l’Esprit-Saint. Ouvrons nos cœurs à ses sept dons5 ! A la base de tout édifice spirituel il y a l’esprit de Crainte de Dieu, puis viennent la Science et la Piété, la Force et le Conseil pour agir sous influence divine. Il nous faut aussi recevoir -pour couronner le tout- les dons d’Intelligence et de Sagesse qui touchent à la contemplation.
Nous l’avons entendu tout à l’heure, avec le chant sublime -si simple et si beau- de la séquence : Veni Sancte Spiritus, « Ô lumière bienheureuse, venez remplir jusqu’à l’intime le cœur de tous vos fidèles… » : Lava quod est sórdidum, Lavez ce qui est souillé, et qui pollue notre cœur. Riga quod est áridum, baignez ce qui est aride, notre sécheresse trop habituelle.
Sana quod est sáucium, guérissez ce qui est blessé, ces plaies intimes que nous portons.
Flecte quod est rígidum, assouplissez ce qui est raide, ces vérités assenées sans charité.
Fove quod est frígidum, réchauffez ce qui est froid, la tiédeur de notre médiocre amour de Dieu, par dessus tout. Rege quod est dévium, rendez droit ce qui est faussé, dans nos complaisances avec l’erreur, si confortables.
Le thème du pèlerinage cette année nous invite à méditer sur les quatre vertus cardinales. Depuis ce matin nous nous examinons sur la charité exercée, par la vertu de Justice, celle qui fait « le juste » par excellence, celui qui – au sens biblique du terme- pratique la sainteté.
« La justice est la vertu morale qui consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû. La justice envers Dieu est appelée « vertu de religion » nous rappelle le Catéchisme Église Catholique. Elle est associée au don de Piété.
« Rendez à Dieu ce qui est à Dieu ». La justice nous fait «rendre à autrui ce qui lui est dû ». Rendre grâce à notre créateur relève donc bien de cette vertu de Justice ! Nous lui devons ces exercices de la vertu de religion. Non pas qu’Il en ait besoin -rien ne lui manque, bien-sûr- mais il a établi ce culte pour nous, qui avons besoin qu’on nous le rappelle…
C’est encore le St Esprit qui attise notre désir de Dieu par la prière, prière qui est en même temps comme le cri d’impuissance d’un petit enfant tourné vers son Père.
Rappelons-nous les trois premiers commandements de Dieu : ils concernent son culte ! De même nos trois premières demandes dans le Pater : « Dieu premier servi »… tout le reste nous sera donné par surcroît ! Et non seulement nous lui devons ces actes de religion « en esprit et en vérité » personnellement, mais nos sociétés elles-mêmes ont cette dette à l’égard de celui de qui provient toute autorité. C’est la Royauté sociale du Christ, que nos contemporains ont tendance à repousser comme « dépassée », empoisonnés que nous sommes par le relativisme dans l’air ambiant néo-moderniste.
Les attaques actuelles de Mamon (le dieu de l’Argent) contre le caractère sacré du Dimanche l’illustrent bien encore. Attention, ce jour unique de la semaine ne signifie pas seulement « temps libre », vide de son centre de gravité intérieur…Mais le dimanche est un temps où nous rendons à Dieu toute sa place, qui est centrale ! Un temps de « rencontre avec celui qui est notre origine et notre destination », l’Alpha et l’Oméga…
Par leur vie même les moines sont aux yeux du monde les témoins silencieux de cette primauté des droits de Dieu. Cela étonne souvent ceux qui visitent leurs abbayes comme des touristes. A l’entrée du monastère de Fontgombault, un petit écriteau le rappelle d’une simple phrase : « Merci de respecter ce lieu où, sept fois par jour, les moines viennent rendre à Dieu le culte qui lui est dû »… « le culte qui lui est dû » ! Voilà qui sonne étrangement à nos oreilles modernes, trop habituées à entendre revendiquer des droits de l’homme, mais jamais ceux de Dieu.
Dieu a droit à notre reconnaissance. On l’oublie trop. Par exemple, en toute justice, nous devrions remercier Dieu après un examen… au moins autant qu’on l’a prié pour obtenir son succès (même ne s’il s’agit pas tant de quantité que de la qualité de nos actes de religion) !
Qui pourrait mesurer tout ce que nous devons à l’Église, ce que nous avons reçu de Dieu par elle ? Là encore examinons loyalement ce que nous lui devons, en toute justice. Afin de rendre à notre mère un tant soit peu, dans le trésor de la communion des saints.
Justice envers Dieu, justice aussi envers le prochain. « On mesure le degré d’une civilisation au soin et à la protection qu’elle accorde aux plus faibles ». Que le St Esprit, reçu au jour du baptême et de notre confirmation nous donne ce don de force pour nous élever face au retour de la barbarie qui menace toute civilisation.
Il est une image familière aux nombreux scouts ici présents, mais qui parle aussi à tout âme droite et généreuse : c’est celle de la chevalerie. La Pentecôte était souvent un jour d’adoubement, comme c’était en France la grande solennité pour l’Ordre royal du St- Esprit.
Mais il ne s’agit pas de se payer de mots. Qu’est-ce que cela pour nous, aujourd’hui ? A toute époque le chevalier est celui qui a mis sa force au service du droit des plus faibles (« le pauvre, la veuve, et l’orphelin »). En toute justice. Cette vertu étant celle -par excellence- qu’on attendait du roi.
Les temps changent, mais quel est -à côté de nous- ce « plus faible » écrasé par l’égoïsme du monde moderne aujourd’hui ? La voix prophétique du pape Jean-Paul II s’est élevée dans l’encyclique Evangelium Vitæpour nous le rappeler : « De même qu’il y a un siècle, c’était la classe ouvrière qui était opprimée dans ses droits fondamentaux, et que l’Église prit sa défense avec un grand courage, en proclamant les droits sacrosaints de la personne du travailleur, de même, à présent, alors qu’une autre catégorie de personnes est opprimée dans son droit fondamental à la vie, l’Église sent qu’elle doit, avec un égal courage, donner une voix à celui qui n’a pas de voix. Elle reprend toujours le cri évangélique de la défense des pauvres du monde, de ceux qui sont menacés, méprisés et à qui l’on dénie les droits humains. »
Le Souverain Pontife élève sa voix au nom des enfants sans défense. Il nous a annoncé ce grand combat du XXIème siècle : « mors et vita duello » . Le devoir de justice élémentaire commence pour tout homme par le respect du droit à la vie de l’innocent.
« Il y a aujourd’hui une multitude d’êtres humains faibles et sans défense qui sont bafoués dans leur droit fondamental à la vie, comme le sont, en particulier, les enfants encore à naître. Si l’Église, à la fin du siècle dernier, n’avait pas le droit de se taire face aux injustices qui existaient alors, elle peut encore moins se taire aujourd’hui…»
Quelle responsabilité que de se taire par lâcheté ! Le péché par omission… Ouvrons les yeux sur nos participations silencieuses à ce crime contre l’humanité. Que faisons-nous pour défendre la vie des faibles qu’on écrase, sous couvert de notre confort et de jouissance égoïste ? Que faisons-nous pour aider l’enfant à naitre, les personnes handicapées, les malades oubliés, ou les personnes âgées ? Le Pape nous a déjà mis en garde, vingt ans après la législation française de ce qu’on a osé appeler l’IVG « On atteint ensuite le sommet de l’arbitraire et de l’injustice lorsque certaines personnes, médecins ou législateurs, s’arrogent le pouvoir de décider qui doit vivre et qui doit mourir. Cela reproduit la tentation de l’Eden : devenir comme Dieu (…) La vie du plus faible est alors mise entre les mains du plus fort ; dans la société, on perd le sens de la justice et l’on mine à sa racine la confiance mutuelle, fondement de tout rapport vrai entre les personnes. »
Il faut avoir le courage de le reconnaître loyalement aujourd’hui. Nous ne pourrons jamais donner notre assentiment à ces actes contre la vie humaine innocente.
« Cette coopération ne peut jamais être justifiée en invoquant le respect de la liberté d’autrui, ni en prenant appui sur le fait que la loi civile la prévoit et la requiert : pour les actes que chacun accomplit personnellement, il existe, en effet, une responsabilité morale à laquelle personne ne peut jamais se soustraire et sur laquelle chacun sera jugé par Dieu lui-même14. Refuser de participer à la perpétration d’une injustice est non seulement un devoir moral, mais aussi un droit humain élémentaire ».
Chers frères pèlerins, que l’Esprit-Saint saisisse nos âmes au feu de cet évangile de vie. Soyons généreux, sans souci des blessures, au service du Seigneur, des pauvres et des plus faibles.
Notre Dame nous précède sur cette route. « Miroir de Justice » Speculum Justitiae ora pro nobis… Notre Dame de Guadalupe, qui imprima son image sur le vêtement du Bienheureux Juan Diégo reflète le ciel à nos yeux ici-bas.
Elle est comme la pleine lune tout enveloppée du soleil de Justice, toute éclairée de la lumière divine. Qu’elle nous guide tout au long de ce pèlerinage terrestre, maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi-soit-il.