Messe de lancement du pèlerinage de Chartres
Mes B.A., êtes-vous prêts ? Nous allons marcher hardiment jusqu’à Chartres, la ville du voile de Marie et de la cathédrale sans défaut. Mais pourquoi tant de peines, alors que la voiture ou les transports en commun nous y emmèneraient bien plus rapidement, sans fatigue ni douleur ?
Saint Benoit Labre ne se posait pas cette question, lui, l’infatigable pèlerin, celui qui parcourût 30.000 kms en l’espace de quelques courtes années. Il avait compris une chose : « nous marchons vers le Ciel », ce que Saint Thomas d’Aquin (dont nous vénérons ici les saintes reliques) exprimât dans l’hymne merveilleux du Lauda Sion : « ô Dieu, Vous qui sur terre nous nourrissez, conduisez-nous au banquet du ciel, en compagnie de vos saints ».
Nous disions à voix basse, tout à l’heure, alors que le chant de l’introït nous faisait entrer dans le mystère de la Messe : introibo ad altare Dei…! « Je m’avancerai jusqu’à l’autel de Dieu, la joie de ma jeunesse ». Aux temps antiques de Saint Ambroise de Milan, les nouveaux baptisés de Pâques chantaient cette antienne à gorges déployées, sortis lavés par les eaux sacrées du baptême, et courant allègrement jusqu’au pied de l’autel pour recevoir la céleste nourriture, le Corps Sacré et le Sang Précieux de Jésus-Christ !
Lorsque, après une longue et belle procession, le prêtre célébrant s’est avancé vers l’autel, il s’est arrêté au bas des marches pour y faire acte de pénitence (1 il est pécheur), il a ensuite monté trois degrés (2 il est pèlerin) et il a enfin gagné l’Autel (3) pour s’unir à Dieu et célébrer in persona Christi le saint sacrifice du Calvaire. Dans de succulents entretiens, Dom Antoine Forgeot (abbé de Fontgombault, de sainte mémoire) rappelait qu’en chacune de ces trois étapes, le prêtre ne s’avance pas seul. Il tient la place du Christ et porte en lui, en son cœur, en son âme, en ses pas, en ses gestes et en ses paroles, chaque fidèle de l’assemblée priante, chacun d’entre vous.
- Au bas de l’autel, le prêtre est pécheur et vous avec lui.
Mes bien-aimés, « on ne passe pas sans transition des bruits de la rue à l’autel de Dieu ». Les prières de pénitence, dites au bas de l’autel, sont prévues pour nous introduire tous, l’âme purifiée, dans ce grand lieu qu’est le Saint des Saints. Le seul qui n’avait pas besoin de s’humilier était Jésus-Christ, Lui, le souverain-prêtre, parfait modèle. Tous les autres prêtres, pourtant configurés à Lui, sont pécheurs, et doivent se laisser habiter par ce double sentiment de tristesse et d’espérance, exprimé dans le psaume 42 du Judicame :
- une tristesse surnaturelle de voir en moi et en mes frères le Seigneur offensé : « de l’homme fourbe et pervers, délivrez-moi, ô mon Dieu ! »
- une joyeuse espérance, car : « c’est vous, ô mon Dieu, qui êtes ma force! Envoyez votre Lumière et votre Vérité !»
C’est ainsi ! Nous tous ici rassemblés ce matin à Saint-Sulpice, nombreux, prêts à nous élancer sur les routes d’Ile-de-France, du Val de Loire, de la Beauce et du pays chartrain, nous nous reconnaissons pécheurs. La didaché, un des premiers enseignements de l’Eglise primitive, nous invitait déjà à cela : « réunissez-vous, rompez le pain et rendez grâces, après avoir confessé vos péchés ». Dévêtons-nous alors sans tarder de nos incohérences, de notre orgueil, de nos concupiscences, de notre oubli de Dieu alors que nous sommes à Lui. Déchargeons notre sac. Implorons Dieu pour tous les membres de l’Eglise pèlerine qui meurtrissent avec nous le doux visage du Sauveur. Nous pourrons alors nous écrier avec le psalmiste : « mes yeux répandent des ruisseaux de larmes parce que, ô Dieu, on n’observe pas votre loi ».
En cette vigile de Pentecôte, prions. Venez, ô Saint Esprit, augmentez en nous au bas de cet autel la foi, faites-nous entrer, pauvres pécheurs, dans l’esprit du pèlerinage de la plus humble des manières. Alors nous pourrons nous avancer pleins de joie jusqu’à l’autel de Dieu.
- Gravissant l’autel, le prêtre devient pèlerin : vous avec lui.
Les trois degrés habituels qui séparent le sol du marchepied de l’autel représentent nos trois jours de marches. Ils symbolisent aussi l’ascension vers la Patrie céleste par l’exercice des trois vertus théologales et par la grâce des trois sacrements de l’initiation chrétienne. Elle est rude à gravir cette montagne, mais nous ne sommes pas seuls. GRATIA DEI MECUM !
Parmi nous, des anciens dont les cicatrices aux pieds des longues heures de marche de l’année dernière sont encore visibles. Parmi nous, des nouveaux convertis ou bien encore des novices qui se lancent en ce pèlerinage pour la première fois ! De Paris à Chartres, de Saint-Sulpice à Notre-Dame de la Verrière, de notre condition de pécheurs à la Gloire du Paradis, de notre peine à marcher, bon an mal an, à la joie des chants qui animeront nos pas vagabonds et résonneront dans la cathédrale de nos aspirations. De la Jérusalem terrestre à la Jérusalem céleste ! Voilà, mes enfants, le sens de notre pèlerinage ! Venez, ô Saint Esprit, emplissez le cœur de vos pèlerins, formez en nous l’espérance, afin que nous puissions persévérer dans la foi catholique jusqu’à notre mort !
- A l’Autel enfin, le prêtre s’unit à Dieu et vous tous avec lui.
Le célébrant arrive au sommet, à l’autel de Dieu, « le trône du Corps et du Sang du Christ », comme le définit Opta de Milève, ce trône dont la sainteté est plus redoutable que celle du « Saint des saints » du temple de Jérusalem.
Le prêtre embrasse l’Autel, symbole du Christ Epoux. C’est le signe de l’amour. C’est la caractéristique de l’union à Dieu par laquelle le cœur de l’Eglise et du chrétien est embrasé.
Un bel hymne pascal nous invite alors à une immense joie : « invités au banquet de l’Agneau, dans l’éclat de nos robes blanches, après avoir traversé la mer Rouge, chantons le Christ notre Roi. C’est lui dont le Corps très saint, broyé sur l’autel de la Croix, nous offre dans son sang vermeil, un aliment de vie divine ».
Voilà donc le prêtre qui offre le Christ au Père éternel, qui s’offre lui-même sur l’autel en union avec tous les fidèles. Vous voilà donc, vous aussi, unis au Christ et à son Père. Venez, ô Saint Esprit, allumez en nous le feu de votre Amour, formez en nous, en nos chapitres, en nos services, l’embrasement de la charité.
Conclusion – Mes bien aimés, nous devrions nous émerveiller sans cesse de la Puissance que peut exercer en nous le Saint Esprit. Et s’il est pour nous le grand Inconnu, sachez pourtant qu’Il est le céleste Auteur des sacrements qu’Il marque de sa fécondité. Purifiés par Lui dans les eaux du baptême qui nous donne la foi, marqués de son Sceau qui fait jaillir en nous l’espérance, nous serons conduits au parfait Esprit d’amour avec Jésus Eucharistie.
C’est Lui, le Saint Esprit, qui nous donne d’être chrétiens au milieu d’une France qui se déchristianise à grand pas, à grandes formules de mort, au milieu d’une confusion généralisée. Il y a quelques jours, alors que nous fêtions sainte Jeanne d’Arc, la Pucelle d’Orléans, nous entendions saint Michel Archange lui dire de notre pays : « il y a grande pitié au Royaume de France ». Dieu nous prépare à une grande mission en développant en nous ce qui n’est encore qu’un désir farouche. Souvenons-nous, comme disait Dom Jean Pateau que « ce ne sont pas les temps qui font les saints, mais bien les saints qui embrasent les temps ». Que l’appel à un engagement personnel et général en vue de la sanctification de nos terres chrétiennes résonne en nos cœurs pendant ces trois jours de marche et fasse lever de parmi nous des chefs, des âmes grandes et généreuses, au service de l’Eglise et de l’évangélisation. Ainsi soit-il !