Autorité et obéissance, voilà deux notions, aujourd’hui, très controversées. Et pourtant, elles sont essentielles en matière d’éducation, car l’éducation suppose un rapport de personne à personne.
L’éducateur est celui qui a autorité pour éduquer, c’est-à-dire pour élever, instruire, former moralement (le mot autorité, «auctoritas » en latin, vient du verbe latin « augere », qui veut dire augmenter, faire grandir).
Du côté de celui qui est éduqué, les qualités essentielles sont, d’abord, la docilité (disposition à recevoir intelligemment l’éducation) et ensuite l’obéissance (de « obaudire » qui signifié écouter, tendre l’oreille vers), qui fait exécuter l’ordre reçu du supérieur légitime dans la sphère de sa juridiction.
Pour illustrer ces deux définitions, je vous propose de partir de l’Évangile, du Recouvrement de Jésus au Temple, qui est aussi le 5ème Mystère joyeux de notre Rosaire. Jésus nous y donne à la fois un exemple étonnant d’obéissance, qui semble à la limite de la désobéissance, et aussi d’autorité, alors qu’il n’a encore que 12 ans. Et tout cela au cours d’un pèlerinage !
I. L’OBÉISSANCE AUX HOMMES EST SUBORDONNÉE À L’OBÉISSANCE À DIEU
- Prenons le récit de Saint Luc, au chapitre 2 versets 41 à 50 :
« Chaque année, les parents de Jésus se rendaient à Jérusalem pour la fête de Pâques. Quand il eut douze ans, ils y montèrent comme c’était la coutume pour la Fête. Et, comme au terme de la Fête, ils s’en retournaient, l’enfant Jésus resta à Jérusalem à l’insu de ses parents. Le croyant dans la caravane, ils firent une journée de chemin, puis ils se mirent à le chercher parmi leurs parents et connaissances. Mais, ne l’ayant pas trouvé, ils revinrent à Jérusalem, toujours à sa recherche.
Au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le Temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses.
À sa vue, ils furent saisis d’émotion et sa mère lui dit : « Mon enfant, pourquoi nous as-tu fais cela ? Vois ! Ton père et moi nous te cherchons angoissés ». Il leur répondit : « Et pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je me dois aux affaires de mon Père ? » Mais eux ne comprirent pas la parole qu’il venait de leur dire. Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et il leur était soumis. »
La lecture de ce texte appelle quelques observations :
Au bout de trois jours Jésus est retrouvé dans le Temple : on pense à l’agneau pascal immolé dans le Temple, au Christ « retrouvé » le troisième jour par Marie-Madeleine et les Apôtres, et on découvre que l’obéissance de Jésus à son Père tient la première place dans sa vie, avant même celle qui revient à ses parents : « je me dois aux affaires de mon Père ».
Dès « son entrée dans le monde », et « jusqu’à la mort de la croix », Jésus est venu « pour faire non sa volonté, mais la volonté de Celui qui l’a envoyé ». Sa vie est obéissance, c’est-à-dire adhésion à Dieu, à travers toutes sortes de personnes, d’événements, d’institutions. (Notons ici que, selon le dessein de Dieu, l’autorité des parents (« il leur était soumis ») est antérieure à celle du pouvoir politique.
Lors de sa Passion, Jésus pousse l’obéissance à son comble, se livrant sans résister à des pouvoirs inhumains et injustes. « Tout Fils qu’il était, il apprit, de ce qu’il souffrit, l’obéissance », faisant ainsi de sa mort « le sacrifice le plus précieux à Dieu, celui de l’obéissance ».
Jésus nous montre ainsi que l’obéissance tire son sens, sa justification, mais aussi ses limites, de ce qu’elle s’adresse en fin de compte à Dieu.
De même, parce qu’il n’obéit jamais que pour servir Dieu, le chrétien est capable s’il le faut, de braver un ordre injuste et « d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes ».
En contrepartie, celui qui détient l’autorité doit être « raisonnable » : il ne doit être ni arbitraire, ni laxiste.
II. TOUTE AUTORITÉ VIENT DE DIEU : POUR COMMANDER IL FAUT SAVOIR OBÉIR
Revenons à notre exemple : Que fait Jésus dans le Temple ? Il écoute, il interroge et il enseigne, avec une autorité stupéfiante, qui attire les cœurs vers le Bien et le Vrai comme le laisse entendre Saint Luc : « tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses ».
Cette autorité, Jésus la manifestera tout au long de son ministère public comme Saint Luc nous l’indique au chapitre 4, verset 32 « l’on était vivement frappé de son enseignement, car il parlait avec autorité ». C’est une autorité d’amour qui fait grandir tous ceux qui s’y soumettent.
Si Jésus a une telle autorité, c’est qu’il obéit lui-même au Père : nul ne peut exercer d’autorité s’il n’est obéissant. Devenu « le Seigneur » par son obéissance, revêtu de « tout pouvoir au ciel et sur la terre », Jésus-Christ a droit à l’obéissance de toute créature.
Ainsi, si l’on obéit au Christ, c’est au Père que l’on obéit. Si l’on prend « les armes de l’obéissance », ainsi que le dit saint Benoît, « le cœur se dilate, et l’on court dans la voie des commandements de Dieu, avec la douceur ineffable de l’amour ». On fait à la suite du Christ, mais en sens inverse, le chemin accompli par Adam : « Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste ».
En entrant dans le monde, Jésus a déclaré : « Voici, je viens pour faire ô Dieu ta volonté ».
Maintenant, c’est notre tour. Toute notre vie, au jour le jour, peut être vécue à la lumière de cette même parole ; le matin, au commencement d’une nouvelle journée, puis en allant à un rendez-vous, à une rencontre, en commençant un nouveau travail qu’on nous a confié : « Voici que je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté ». Nous ne savons pas ce que cette journée, cette rencontre, ce travail nous réservent ; nous ne savons avec certitude qu’une seul chose : c’est que nous voulons accomplir la volonté de Dieu. Nous ne savons pas ce que l’avenir réserve à chacun d’entre nous ; mais il est bon de s’acheminer vers lui avec sur les lèvres ces paroles : « Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta volonté ».
Il n’y a que l’homme libre qui sache obéir. Il accepte les ordres au nom de l’ordre, parce que tout désordre est une injustice, toute anarchie un asservissement. Il les prend dans sa pensée, les traduit dans ses actes, il s’en fait une initiative. L’ordre d’un seul s’achève en l’ordre de tous. Et tous, au bout de l’obéissance, retrouvent leur liberté grandie. L’obéissance est l’instrument indispensable de la coopération de tous en vue du bien commun ; elle est aussi un puissant moyen d’éducation à l’amour et à la communion.
Mais rappelons-nous, notre extrême difficulté à obéir nous-mêmes à la Volonté de Dieu. Nous sommes impatients. Or l’homme doit attendre, apprendre à demander, à tendre les mains comme un enfant, sans oublier de dire, s’il te plaît, merci. Il nous est impossible de nous donner à nous-mêmes la vie divine : nous ne pouvons que la recevoir avec un cœur de pauvre, car nous sommes des créatures.
Pour nous guérir de notre orgueilleuse impatience, Dieu envoie son Fils sur terre, partager notre condition. Il s’abandonne entre ses mains. Pour être sauvés, nous devons faire nôtre ce « oui » de Jésus à la volonté du Père. Comme le dit saint Ambroise, « il a reçu l’obéissance pour nous en faire une transfusion ».
Aussi lorsque nous répétons, sur cette route de Chartres, « Notre Père qui êtes aux cieux…, que votre volonté soit faite », nous ne le faisons pas seulement en imitant Jésus et selon son commandement, mais en participant à son Cœur de Fils, sous l’influence de l’Esprit qu’Il répand dans nos cœurs rebelles.
Chers pèlerins,
Marie a toujours « conservé fidèlement toutes ces choses en son cœur ». Elle a écouté la Parole de Dieu, elle l’a gardée et l’a mise en pratique. Marie est la première à avoir obéi au Christ, son Fils. Pourquoi ne pas marcher à sa suite, dès maintenant, sur cette route ? Poursuivons notre route avec Marie, en récitant avec elle notre chapelet.