Si ton cœur te condamne, Dieu est plus grand que ton cœur.
Saint jean
1ère Epitre III.20
Laissez-moi, mon Dieu, après m’être humilié profondément à vos pieds, laissez-moi déposer dans votre sein contre votre cœur paternel, ce fardeau écrasant d’imperfections, d’ignorances, de défauts, de faiblesses spirituelles et corporelles, de concupiscence, de misères de tout genre et de toute sorte. Seigneur indulgent et compatissant, ayez pitié de votre pauvre enfant ! Donnez-lui un grand désir de sa sanctification, un grand sentiment de dégoût et de mépris pour soi-même dans l’état où il est maintenant. Enlevez les voiles qui le cachent à lui-même. Découvrez-lui les taches qui souillent sa robe… Prenez-le par la main et conduisez-le où vous voulez qu’il arrive.
Abbé Perreyve (1831-1865)
« Ce n’est pas ceux qui se portent bien qui ont besoin du médecin, mais ceux qui se portent mal. Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. »
Saint Marc, II, 17
Je me lèverai et j’irai vers mon père. Celui qui dit ces paroles gisait à terre. Il prend conscience de sa chute, il se rend compte de sa ruine, il se voit enlisé dans le péché et il s’écrie : je me lèverai et j’irai vers mon père.
Et le père, à la vue de son fils, voile immédiatement sa faute. A son rôle de juge, il préfère celui de père…il donne un baiser au lieu d’un châtiment. La force de l’amour ne tient pas compte du péché, et c’est pourquoi le Père remet d’un baiser la faute de son fils, il le couvre par ses embrassements.
Saint Pierre Chrysologue
Homélie sur la pardon du Père
Oui je le sens, quand bien même j’aurais sur la conscience tous les péchés qui se peuvent commettre, j’irais le cœur brisé de repentir, me jeter dans les bras de Jésus, car je sais combien Il chérit l’enfant prodigue qui revient à lui.
Sainte Thérèse d’Avila
« Le père leur fit le partage de son bien » le texte grec porte : « il leur donna de quoi vivre ». En d’autres termes, il leur donna le libre arbitre ; il voulut que chacun puisse agir, non sous l’influence de la volonté divine, mais sous celle de sa propre détermination, non d’après les lois de la nécessité, mais suivant l’impulsion de sa volonté ; il donna à l’homme cette liberté, afin qu’il devint capable de vertu, afin qu’en faisant ce qu’il voulait, à l’exemple de Dieu, il se distinguât des autres animaux. Aussi, c’est avec une égale justice que le pécheur est condamné aux châtiments et que le juste reçoit sa récompense. (…)
Ce jeune homme se sépara de son père avec tout son bien et s’en alla dans un pays éloigné. C’est ainsi que Caïn, après s’être retiré de devant la face du Seigneur, alla demeurer dans la terre de Naïd, ou d’agitation. En effet, lorsqu’une âme s’éloigne de Dieu, elle est en proie à d’éternelles agitations et elle se voit exposée à toutes les tempêtes. Quand les hommes abandonnèrent, après le déluge, les contrées de l’Orient, et s’éloignèrent de la véritable lumière, dans les efforts de leur impiété, ils élevèrent une tour contre Dieu ; c’est-à-dire qu’ils bâtirent d’orgueilleux systèmes, et qu’ils voulurent par une curiosité criminelle pénétrer les secrets du ciel. Ce lieu fut appelé Babel, ou : confusion. (…)
« Là il dissipa tout son bien en menant une vie licencieuse. » La volupté est ennemie de Dieu et des vertus chrétiennes ; elle nous fait dissiper l’héritage de notre père céleste, et en nous séduisant par l’attrait du plaisir, elle nous empêche de songer à la misère qu’elle nous réserve. (…)
« Il faut que je me lève et que j’aille trouver mon père. » Quelle justesse dans cette expression: il faut que je me lève ! » Éloigné de Dieu, il devait être couché et gisant sur la terre. Tel est le sort des pécheurs ; il n’appartient qu’aux justes d’être debout et de marcher le front haut. « Pour vous, » disait Dieu à Moïse, » demeurez ici debout avec moi. » Le Psalmiste dit aussi au psaume cent trente-troisième : » Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes les serviteurs de Dieu, vous qui êtes debout dans la maison du Tout-Puissant. » (…)
« Et je lui dirai : » Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. » Il avait péché contre le ciel en abandonnant la Jérusalem céleste, qui est sa mère ; il avait péché contre son père en quittant le Créateur pour adorer des dieux faits par la main des hommes. Il n’était plus digne d’être appelé enfant de Dieu, parce qu’il avait préféré se rendre esclave des idoles. (…)
« Et il s’en vint trouver son père. » Nous retournons vers notre père lorsque nous nous relevons de la dégradation où nous sommes tombés. Un prophète a dit : « Dès la première démarche que vous ferez pour vous convertir et pour pleurer vos péchés, je vous en accorderai le pardon. »(…)
« Et lorsqu’il était encore bien loin, son père l’aperçut et fut touché de compassion. » Avant que le pécheur retourne vers sont père par le mouvement d’une sincère pénitence et par la pratique des bonnes œuvres, Dieu, qui connaît les choses à venir comme si elles étaient déjà présentes à ses yeux, va au-devant de lui, et le prévient par l’incarnation de son Verbe qui s’est fait homme dans le sein d’une Vierge.(…)
« Et son fils lui dit : « Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous, et je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. » » Il reconnaît qu’il n’est plus digne d’être appelé son fils ; mais le sang qui coule dans ses veines, c’est lui qui le lui a transmis ; sa vie, c’est de lui qu’il la tient : il cède à l’instinct de la nature, et il s’écrie : « mon père, j’ai péché contre le ciel. » Qu’on ne dise donc pas, comme quelques-uns l’ont fait, que les justes seuls ont le droit d’appeler Dieu leur père, puisqu’un pécheur ne craint pas de lui donner ce nom, tout en se reconnaissant indigne de celui de fils. Il se sent en effet animé de la confiance que donne une conversion sincère et parfaite.
Saint Jérôme
Explication de la parabole de l’enfant prodigue au pape Damase
Voici ce cœur qui a tant aimé les hommes.
Celui qui n’a pas reconnu dans le Christianisme la religion par excellence de la charité, de l’amour compatissant et miséricordieux, n’a rien compris au message évangélique.
Ce fut assurément pour Jésus l’une des causes profondes de son agonie à Gethsémani que la pensée de l’inutilité de sa Passion pour un trop grand nombre d’âmes endurcies dans leur péché, ou assez peu confiantes en la générosité de son amour, pour ne plus croire à la vertu rédemptrice de son sang.
Cœur de Jésus, qui avez partagé toutes nos misères et toutes nos détresses, ayez pitié de ceux qui se lamentent et pleurent !
Cœur de Jésus, qui avez connu toutes les lassitudes et tous les abandons, ayez pitié de ceux qui n’ont plus confiance et se laissent aller au désespoir !
Cœur de Jésus, qui avez guéri les malades et ressuscité les morts, ayez pitié de ceux qui souffrent dans leur corps et aspirent à la délivrance !
Cœur de Jésus, abreuvé d’amertume par toutes nos lâchetés et toutes nos récidives, ayez pitié de ceux qui ne répondent pas à l’appel de votre miséricorde et retournent à leur péché.
Cœur de Jésus agonisant à Gethsémani, ayez pitié de ceux qui vont mourir et que torturent les angoisses de la séparation !
Cœur de Jésus, ouvert sur la Croix par la lance du centurion, ayez pitié de ceux dont le cœur est déchiré par l’ingratitude, le mensonge ou la calomnie !
Cœur de Jésus, généreux et libéral, qui vous êtes donné tout à tous dans un amour sans mesure et sans réserve, ayez pitié de tous les hommes et plus particulièrement de ceux qui, vous méconnaissant, détournent de vous leur visage, leur pensée ou leur cœur.
Révélations à Sainte Marguerite-Marie
Le fils aîné n’avait pas su demander à son père. Comme l’autre, il était si peu fils. Etre fils pour eux, c’était avoir des biens, recevoir des marques de libéralité, sans penser que la présence du père valait mieux : « Tu es toujours avec moi, mais tu me servais comme un mercenaire par intérêt, non comme un fils. Tu ne vois pas notre intérêt qui est d’avoir retrouvé ma vie dans mon fils, dans ton frère. (…)
Tu cherchais mes biens et non pas mon bien. Tu n’avais pas mes biens, tu étais une partie de moi-même. Je ne te donnais rien, car tu devais comprendre la douceur de ma présence. N’as-tu jamais senti mon amour ? Il faut se réjouir, non de la faute de ton frère, mais de son retour. Ce n’est pas une mise en regard de ton service et de sa faute, mais de sa faute et de son retour. Son retour est ta joie, comme elle est la mienne.
Dom Jacques-Marie Guilmard, OSB
Moine de Solesmes
Or celui qui n’est pas tombé ne sera jamais ramassé ; et celui qui n’est pas sale ne sera pas essuyé.
Charles Péguy
Parce que Dieu veut nous sauver, l’heure vient tôt ou tard où le pécheur rentre en lui-même sous l’effet de la miséricorde divine.
Car le fils oublieux ne serait pas rentré en lui-même si une grâce spéciale de l’Esprit Saint ne l’avait fait descendre en lui-même pour lui rappeler tout ce qu’il avait oublié : regio longique oblivio Dei. Il avait oublié Dieu, mais Dieu ne l’oubliait pas.
Mais comment forcer les portes de cette mémoire obstinément fermée et jusqu’alors imperméable à la grâce ? Pour cela Dieu a tous les moyens qu’Il veut. Il emploie assez habituellement l’épreuve, physique, morale. Et sous le coup de l’échec, de la déception, de la souffrance, le pécheur rentre en lui-même, là où l’attendait la grâce de Dieu.(…)
Nul doute qu’en rentrant en lui-même le prodigue y ait vu d’abord et presque exclusivement sa misère. Il ne voit pas encore la malice du péché. C’est trop tôt ; il la verra plus tard. Il voit seulement son dénuement et sa souffrance, apparemment irrémédiables : je meurs de faim.(…)
C’est seulement quand on est converti qu’on comprend la gravité du péché, on ne la comprend pas avant. Il faut être remonté et sorti du gouffre pour en mesurer la profondeur.(…)
Et que fait Dieu lorsqu’il éclaire la conscience du pécheur ? Généralement – car Dieu a tous les moyens – Il lui rappelle sa propre histoire : tout ce qu’il a eu, tout ce qu’il a quitté, tout ce qu’il a perdu. Sous le tiraillement de la faim, le prodigue revoit les années de sa jeunesse. Il se rappelle la maison de son père. (….) Elle existe toujours cette maison d’où il s’est enfui bien loin, bien loin. Son père existe toujours. Lui, il ne peut plus se dire son fils. Il s’est rendu indigne de porter son nom. Mais son père n’a pas changé. Il reste toujours le même.(…)
Le prodigue s’est ruiné. Il a tout perdu, tout … ! Aucune main secourable ne se tendra vers lui, tous se détourneront de lui sans pitié ; il n’en mérite pas après ce qu’il a fait. Il n’a plus rien au monde, rien … que son père.(…)
Ah ! si son père voyait en quelle disgrâce il est tombé ! Son pauvre père … il l’a si mal récompensé de sa tendresse… C’est la première fois qu’il réalise la peine atroce que son départ lui a causée. Son père ! Comme il a dû souffrir ! Comme il doit souffrir encore ! Tellement plus que lui au milieu de ses pourceaux.
Il faut bien comprendre que la pointe de la parabole est là : dans cette conversion inattendue et soudaine, et que le père est le personnage principal de la parabole, et non pas le fils prodigue, le fils dissipateur. Pas plus que l’aîné récalcitrant. Le personnage principal est le père.
Toute la parabole se joue autour du père : le père bafoué par le cadet ; le père incompris de l’aîné, le père qui ouvre sa maison au désobéissant, le père qui supplie l’obéissant de vouloir y rentrer. Les deux fils sont là pour faire ressortir le visage du père.(…)
Plusieurs d’entre vous pourraient en témoigner, il s’en est fallu d’un rien qu’ils n’aient pu un soir décharger leur conscience d’une faute qui les accablait. L’église aurait pu être fermée, ou le prêtre que vous cherchiez absent … Seriez-vous revenu le lendemain ? Comment se fait-il que tout, au contraire, se soit si bien arrangé que vous ayez pu, au moment où vous y étiez prêts, recevoir le pardon dont vous aviez besoin ? Cela s’est arrangé tout seul ? Allons donc. Quelqu’un a tout arrangé : Celui qui vous attendait : notre Père.(…)
Mais le péché n’est pas seulement le mal, il est aussi notre malheur, notre plus grand malheur. Et à cause de cela, le péché, qui outrage effectivement la sainteté de Dieu, émeut en même temps sa miséricorde : Il est ému de compassion, dit la parabole. Le péché écarte Dieu de nous, le repentir attire Dieu vers le pécheur.(…)
Non, le fils n’y comprend rien. Il espérait une petite place, la dernière, dans la maison qu’il avait déshonorée. Il comptait sur un morceau de pain … et voilà qu’on va tuer pour lui le veau gras.
Il pensait à lui. Il ne pensait pas qu’il allait faire le bonheur de son père et de toute la maisonnée. Pécheurs ! Naturellement trop préoccupés de nous-mêmes et de notre salut ! Pensons-nous qu’en nous convertissant nous ferons la joie de Dieu et de toute l’Église ? C’est pourtant la leçon des trois paraboles de la miséricorde : la joie au ciel, la joie parmi les anges, la joie du Père … plus grande pour un pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion.(…)
Nous ne savions pas que notre Père était notre bonheur. Jésus nous fait entrevoir, en outre, la paix et le bonheur de Dieu. Et c’est seulement alors, en nous plaçant sous l’angle que Jésus nous révèle, que nous découvrons la gravité du péché ; non pas quand nous mesurons notre insouciance, notre perfidie ou notre honte ; non pas quand nous subissons les conséquences fâcheuses de nos fautes ; mais seulement quand nous essayons de mesurer le bonheur de Dieu, quand nous revenons à Lui. Alors, nous réalisons enfin la peine que nos péchés Lui ont causée. Non, nous ne savions pas que notre péché était aussi grave.(…)
Plus d’un chrétien, chaque fois qu’il médite cette parabole, évoque ses tristes expériences personnelles plus ou moins graves, erreurs, fautes … longue série d’impiétés qui appartiennent, Dieu merci, à un passé heureusement enfoui sous les largesses de la miséricorde de Dieu. Vous dites bien : oui, Dieu merci et à jamais. Vous n’avez pas trop de ce qui vous reste dans la vie pour remercier le Seigneur de vous avoir rétabli dans son amitié.(…)
La conversion n’est pas, comme quelques-uns l’imaginent, une condition préalable à la vie chrétienne, une sorte d’antichambre par où l’on s’introduira dans le royaume. Elle est la condition permanente de la vie chrétienne. Et cette transformation radicale, qui tend à faire de nous des enfants de Dieu, n’est jamais achevée.(…)
La conversion quotidienne n’est pas, Dieu merci, un changement dû à un gros péché commis la veille. Non. Elle est quotidienne en ce sens que c’est chaque jour qu’il nous faut nous redresser, nous réorienter. Et même pour les personnes plus avancées en perfection, celles qui ne se contentent pas de remplir leurs devoirs, mais qui entendent ne rien refuser à Dieu, qui sont guidées par l’amour.(…)
Je propose donc à votre examen de conscience la place que l’intimité avec Notre Seigneur tient dans votre vie. Recherchez si les défaillances que vous avez à vous reprocher, vos stagnations, vos reculs – qui certes sont partiellement imputables à un relâchement de la volonté, à la crainte de l’effort – n’ont pas leur cause initiale dans la négligence ou l’abandon de la prière. Si vous avez tant de peine à vous détacher du mal, n’est-ce pas parce que vous vous seriez détaché un peu de Notre Seigneur.(…)
Le prodigue ne se doutait guère qu’il allait faire la joie de son père. Et nous oublions aussi que Dieu est heureux de nous voir venir à Lui. C’est inconcevable, je vous l’accorde. Nous n’aurions pas pu inventer cette vérité si le Fils de Dieu n’était pas descendu du Ciel pour nous l’apprendre. Mais Il nous l’a dit : Mon Père vous aime.
Quand vous vous signez le matin, quand vous vous agenouillez le soir, quand vous élevez votre pensée vers Lui au milieu de la journée, quand vous faites un crochet pour faire une courte prière dans une église … Chaque fois vous Le rendez heureux. Son enfant n’est pas perdu, son enfant n’est pas mort, son enfant est toujours avec Lui.
Je vous laisse sur cette vérité bouleversante, anéantissante : nous détenons le pouvoir invraisemblable de faire le bonheur de Dieu.
Mgr Chevrot (1879 – 1958)
L’aîné, lui, a bien agi, toutefois il refuse, non pas le pardon, mais que le pardon soit l’unique condition d’un retour en grâce dans l’amour paternel. Ce qui sépare l’aîné de son père est que le père pardonne jusqu’à élever le pécheur au niveau du juste (ce juste qu’il a su rester, lui, l’aîné), et qu’il l’élève même au-dessus. Le fils aîné ne pardonne pas le veau gras. Que le pardon efface le mal commis et déclenche des festivités inédites, voilà qui est incompréhensible. (…) Ce qui sépare le prodigue de l’aîné est le repentir, la reconnaissance de son péché, nue sans fard, sans biais, et la certitude que cette reconnaissance humble provoquera le pardon et la réhabilitation. L’amour du Père s’exerce, et pour le prodigue et pour l’aîné, à la même condition : qu’ils se repentent ou qu’ils le laissent faire, c’est-à-dire qu’ils s’en remettent à lui, à ses critères à lui. Ces critères sont ceux du don de la vie et de l’amour, à qui le veut bien.(…)
Père Thierry-Dominique Humbrecht, OP
Petite théologie de poche