« Se le rappelle-t-on ?, demandait Henri Pourrat, Adam, avec sa bêche, avait été placé dans
le jardin afin qu’il le cultivât et le gardât ».
C’est au commencement, dans le jardin d’Eden, au Paradis terrestre, qu’est née la culture chrétienne. Elle n’est pas le produit accidentel, facultatif et périssable d’un moment historique révolu. Elle n’est pas non plus un patrimoine sans vie, objet de musée et de curiosité archéologique. Telle est la vie, dès son origine, et elle est, au sens plein, l’humanité. La culture chrétienne n’est pas chose de livres, même si elle se sert des livres. Elle n’est pas chose artistique même si elle a magnifié l’art. Elle n’est pas agencement de sons même si elle loue Dieu et enchante l’homme par la musique. Elle est tout cela… et plus encore. Elle est l’amour et le respect pour toutes les formes de l’Etre. Elle est la religion de l’Etre et c’est pourquoi, elle, qui fut d’abord et qui reste primordialement contemplation, a nourri et continue de nourrir l’action la plus efficace.
Tout ce que l’homme a fait d’humain, sur la surface de la terre, depuis le Paradis terrestre jusqu’à la consommation des siècles, est sa propriété, son capital. Aucun système, aucune ambition aucune culture n’est comparable à elle. Elle domine tout, anime tout, récapitule tout. Socrate est à elle, comme Homère, comme Confucius et comme Virgile. Elle ne s’arrête à aucune frontière et pourtant elle les respecte toutes ; au besoin, elle les cultive car elle sait que c’est dans l’enracinement qu’elle puise sa force. Eminemment particulière, personnelle, familiale, provinciale et nationale, elle est aussi universelle. Temporelle parce que née dans le temps, coulée dans les formes du temps, elle domine le temps et c’est par ses oeuvres qu’elle donne à l’homme un reflet de l’Eternel.
On comprend que le Pape se soit plu à rappeler l’importance capitale de la vraie culture. Elle est ici-bas le commencement de la Cité de Dieu. Elle est la marque visible, concrète, historique, temporelle de la fécondité de l’Evangile. Elle est, par là, le signe visible de la présence de l’Invisible.
Partout où s’est avancé l’Evangile, le temps a été renouvelé. Il n’y a aucune exception à ce fait, de même qu’il n’y a aucune exception à la nécessité de la souffrance et du martyre pour que s’accomplisse ce renouvellement. Pourtant, le trait commun auquel un peuple chrétien reconnaît les autres peuples chrétiens, n’a pas effacé la diversité des nations. C’est que leurs cultures, dans ce qu’elles avaient d’humain, étaient faites pour recevoir l’Evangile. Elles préparaient la terre au grain de l’Evangile. Mais elles comportaient toutes -absolument toutes, même celle qui avait été la mieux et la plus complètement préparée, la terre d’Israël- des formes de mort et de révolte qui ont repoussé la Bonne-Nouvelle du
Salut. L’Eglise a donc fait le tri… et, jusqu’à la fin des temps, Elle aura la charge de faire le tri dans
ces cultures. Elle a développé, enrichi, magnifié ce qu’elles portaient de vie, d’ordre, de liberté, de vérité et de beauté et Elle a combattu, rejeté, condamné les éléments de désordre, d’esclavage,
d’erreur et de mal. Tel est le travail culturel de tout chrétien. Il est consubstantiel à sa Foi. Il est sa marque dans le temps. Il est le fruit de son amour. C’est à ce fruit qu’il sera jugé.
Le chrétien qui se refuserait à ce combat culturel serait comme l’arbre qui ne porte pas de fruits. Il est bon à être coupé et jeté au feu. La mission culturelle et civilisatrice est inséparable de la mission évangélisatrice. Comme le temporel est inséparable du spirituel. Comme le corps l’est de l’âme. Comme le laïc l’est du clerc. La culture chrétienne est le prolongement humain et temporel de l’Evangile. C’est elle qui a fait les nations chrétiennes. Elle est la terre sans laquelle le grain de l’Evangile ne peut pas fleurir. Elle est cette mystérieuse nécessité du temps et de la culture par laquelle Dieu Lui-même, dans son Incarnation, a voulu passer, sanctifiant ainsi tout ce qu’il rencontrait sur son chemin terrestre : la
terre et la patrie, les soldats et les juges, les marchands et les prêcheurs, les artisans et les agents du fisc, les Juifs et les Romains, les riches et les pauvres, les bien-portants et les malades, et jusqu’aux Publicains et aux prostituées.
La sensibilité de l’homme en a été changée quand il a compris que tout ce qui est, est pour la joie de Dieu, et la culture, qui était déjà le respect de ce qui est, en a été, elle aussi, magnifiée et sacralisée.