Le quatrième commandement nous rappelle le devoir de piété. La vertu de piété gravite autour de la grande vertu de justice, parce que c’est pour nous un dû que d’honorer nos parents et notre patrie. Mais, comme la religion, la piété nous trouve débiteurs insolvables, parce que nous ne pourrons jamais rendre autant que nous avons reçu.
« L’homme est constitué débiteur à différents titres vis-à-vis d’autres, selon leur excellence et selon les bienfaits qu’il en reçoit. A ce double point de vue, Dieu occupe la toute première place, parce qu’il est souverainement excellent et qu’il est pour nous le premier principe d’être et de gouvernement. Ensuite les principes de notre être et de notre progrès sont les parents et la patrie,
desquels et dans laquelle nous avons reçu la vie et l’éducation. C’est pourquoi, après Dieu, l’homme est au plus haut point débiteur vis-à-vis de ses parents et de la patrie. » (S. Thomas d’Aquin, 2 a 2 ae q. 101 a.1)
Si chaque homme est débiteur vis-à-vis de sa patrie, la nation elle- même est débitrice vis-à-vis de Dieu. « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Mt. 22,21), ce précepte du Christ éclaire aussi les devoirs de César et la place que la nation doit reconnaître à Dieu.
- DIEU EST AUTEUR DE LA SOCIÉTÉ
C’est Dieu en effet qui a créé la nature de l’homme comme sociale, de telle sorte qu’elle ne peut s’épanouir que dans une vie politique conforme à la justice.
« De la vie individuelle et sociale, il faut monter à Dieu : Cause première et dernier fondement, il est en tant que créateur de la première société conjugale, l’origine de la société familiale, de la société des peuples et des nations. » (Pie XII, Au monde entier, 24 déc. 1942)
- DIEU EST PRINCIPE DE L’AUTORITÉ
« C’est par la volonté de Dieu que les hommes naissent pour être réunis en société ; l’autorité est le lien nécessaire au maintien de la société civile, de telle sorte que, ce lien brisé, elle se dissout fatalement et immédiatement. L’autorité a donc pour auteur le même Etre qui a créé la société. » (Léon XIII, Enc. Humanum genus, 20 avril 1884)
« De toute évidence, la communauté politique et l’autorité publique trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par là d’un ordre fixé par Dieu… » (Vatican II, Gaudium et spes n. 74, 7 déc. 1965) L’Église ne fait ici qu’expliciter la révélation divine elle-même : « Tout pouvoir vient de Dieu. » (Saint Paul, Rom. 13,1)
- DIEU, PAR LA LOI ÉTERNELLE, EST SOURCE DE LIBERTÉ POUR LA CITÉ
Les lois de la société civile assurent véritablement l’épanouissement de l’homme dans la mesure où elle dérive de la loi naturelle : soit en tirant les conclusions des grands principes de cette loi, soit en précisant ce qu’elle laisse au libre choix des hommes.
Mais « la loi naturelle n’est autre chose que la loi éternelle, gravée chez les êtres doués de raison et les inclinant vers l’acte et la fin qui leur convient, et celle-ci n’est elle-même que la raison éternelle du Dieu créateur et gouverneur du monde. » (Léon XIII, Enc. Libertas, 20 juin 1888).
D’où il suit que l’on ne peut écarter Dieu de la cité sans nuire gravement à l’homme : « Quand Dieu est renié, toute base de moralité s’en trouve ébranlée du même coup, et l’on voit s’affaiblir singulièrement la voix de la nature, qui enseigne même aux ignorants et aux tribus non encore arrivées à la civilisation ce qui est bien et ce qui est mal, le licite et l’illicite, et fait sentir à chacun la responsabilité de ses actions devant un juge suprême. » (Pie XII, Enc. Summi pontificatus, 20 oct. 1939)
Il est donc clair que « les vrais droits de l’homme naissent précisément de ses devoirs envers Dieu » (Léon XIII, Enc. Au milieu des sollicitudes, 16 fév. 1892), et que « l’obéissance à Dieu est la source de la vraie liberté, qui n’est jamais liberté sans but, mais liberté pour la vérité et le bien » (Jean-Paul II, Disc, au parlement européen, 11 oct. 1988)
- DIEU DOIT ÊTRE HONORÉ PAR LA NATION
La doctrine catholique, se dressant comme un sommet entre les deux erreurs opposées de la théocratie et de la séparation radicale de la religion et de la société, affirme que la cité doit reconnaître sa dépendance vis-à-vis de Dieu : « Si la nature et la raison imposent à chacun l’obligation d’honorer Dieu d’un culte saint et sacré, parce que nous dépendons de sa puissance, et que, issus de lui, nous devons retourner à lui, elles astreignent à la même loi la société civile. Les hommes, en effet, unis par les liens d’une société commune, ne dépendant pas moins de Dieu que pris isolément ; autant au moins que l’individu, la société doit rendre grâces à Dieu, dont elle tient l’existence, la conservation et la multitude innombrable de ces biens. » (Léon XIII, Enc. Immortale Dei, 1er nov, 1885)
- LE CHRIST EST ROI DE NOS NATIONS
Parce que Dieu a remis à son Fils incarné « tout pouvoir au ciel et sur la terre » (Matth. 22,18), le Christ jouit d’une véritable royauté sur toutes les cités terrestres : « Il n’y a pas sur ce point de différence entre les individus et les sociétés familiales ou civiles, car les hommes réunis en société ne sont pas moins sous la puissance du Christ que les individus. » (Pie IX, Enc. Quas primas, 11 déc. 1925).
Les sociétés civiles, sans opprimer pour autant les consciences, doivent donc s’ouvrir à l’influence du Christ, qui seul peut donner aux hommes toute la lumière pour connaître la voie de la justice, tant naturelle que surnaturelle, et la grâce pour avoir la force de la pratiquer. C’est le Christ qui rend possible la fin ultime de la vie en société : « non seulement vivre selon la vertu, mais parvenir, par une vie vertueuse, à la jouissance de Dieu » (Saint Thomas d’Aquin, De regimine principum, L. I, c. 14).
C’est pour cela que les lois et les institutions humaines doivent s’inspirer de toute la loi divine, non seulement celle qui nous est manifestée par la voix de la nature, mais celle que nous connaissons par la révélation de l’Evangile du Christ, (cf. Paul VI, Disc, aux avocats, 24 sept, 1970).
CONCLUSION
Le Souverain Pontife ne cesse de nous exhorter à ouvrir au Fils de Dieu, non seulement la porte de nos cœurs, mais celle de nos sociétés. « Bâtissez sur le Christ, pierre angulaire, la société et la culture du nouveau siècle qui est désormais à nos portes ! » (A Vellehrad, 22 avril 1990).
C’est bien là que se trouve la clé de la félicité, même temporelle, de toutes nos nations : « Bienheureux, a dit le roi prophète, le peuple dont Dieu est le Seigneur : voilà le vœu que nous devons former dans notre intérêt et dans l’intérêt de la société dont nous sommes les citoyens ; car la patrie ne saurait être heureuse à une autre condition que le citoyen individuel, puisque la cité
n’est autre chose qu’un certain nombre d’hommes rangés sous une même loi. » (Saint Augustin, lettre 155, à Macédonius).
P. Louis-Marie de Blignières