I) TRINITE ET CORPS MYSTIQUE
Le Saint-Esprit et L’Eglise Corps Mystique
L’Eglise, c’est -réellement, aussi réellement que Jésus est présent dans l’Eucharistie- « Jésus- Christ répandu et communiqué », par la grâce.
Saint Thomas d’Aquin le note à la suite de saint Paul, spécialement des épîtres aux Ephésiens et aux Colossiens : « Toute l’Eglise est un seul Corps Mystique, à la ressemblance du corps naturel de l’homme, ayant comme lui divers membres chargés de fonctions diverses » (Somme Th. Illa, q.8, a.l),
« Corps Mystique » : il y a donc union d’un corps avec un principe spirituel, caché. Toute la richesse de la théologie paulinienne du Corps Mystique, reprise et développée par saint Augustin dans celle du Christ total, trouve un prolongement et une confirmation -si besoin en était- à partir de la doctrine aristotélicienne de l’union de l’âme et du corps : du Christ Tête au Saint-Esprit, Ame de l’Eglise ; de la filiation adoptive à l’inhabitation du Saint-Esprit par la grâce. Tel est le mouvement trinitaire de la Rédemption, de la Trinité à la Trinité, où la source et l’achèvement sont le Père qui envoie le Fils, et avec le Fils le Saint-Esprit, et vers qui retournent le Fils (Jn 16, 28) et, dans l’unité du Saint-Esprit, ceux qui auront reçu l’esprit des fils (Ga 4,6), dans le Fils.
Il importe donc, pour comprendre le rôle du Saint-Esprit dans l’Eglise, d’avoir quelque idée sur les rapports de l’âme et du corps, avec cette précision supplémentaire que l’analogie entre les membres du Corps Mystique, et les membres du corps humain, si éclairante, trouve cependant une limite -d’où l’analogie- que Pie XII notait dans l’encyclique « Mystici Corporis » : « On en trouve en effet qui, ne remarquant pas assez que saint Paul n’emploie ici les mots qu’au sens figuré, et ne distinguant pas, comme il le faut absolument, les sens particuliers et propres de corps physique, moral, mystique, introduisent une fausse
notion d’unité, quant ils font s’unir et se fondre dans une personne physique le divin Rédempteur et les membres de l’Eglise ». Oui, ce n’est plus le chrétien qui vit, mais le Christ qui vit en lui (Ga 2, 20), mais dans le Corps Mystique, les membres gardent leur
responsabilité propre. « Chez l’homme, en effet, l’âme unifie et vivifie un seul vivant, le corps : les parties de ce corps ne vivent pas pour leur propre compte, ce ne sont pas des vivants distincts. Il n’en va pas de même pour l’Eglise, composée de vivants distincts, et pourtant les assemblant en un seul corps parce que, d’une part, ce sont des personnes corporelles ; d’autre part, la vie dont chacun vit est la vie trinitaire à chacun communiquée par le même et unique Esprit »23.
Cette limite admise, sans laquelle on aboutit au panthéisme au moins pratique en déniant en outre au fidèle toute responsabilité morale dans le péché, il faut ensuite revenir à saint Augustin reprenant saint Paul : « Ce que l’âme est au corps de l’homme, l’Esprit-Saint l’est au Corps du Christ qui est l’Eglise. L’Esprit-Saint fait dans toute l’Eglise ce que fait l’âme dans tous les membres d’un même corps »24
« Et c’est pourquoi l’Apôtre, après avoir écrit : il n’y a qu’un seul corps (Ep 4, 4), ne nous laisse pas croire que ce corps est mort. – Ce corps vit-il donc? – Il vit. – Par quoi? – Par un seul Esprit »25. C’est tout le rôle du Saint-Esprit… et ce n’est pas rien. Ainsi, « le rôle du Saint-Esprit dans l’Eglise est non seulement prépondérant, mais indispensable. C’est par l’action de l’Esprit au matin de la Pentecôte que l’Eglise, à la fois Fille et Epouse du Christ et née de son sacrifice sur la croix, a atteint son âge adulte, est parvenue à sa maturité et à sa perfection. C’est l’Esprit qui, lui communiquant sa force intérieure, l’a rendue capable de remplir la mission aux formes variées
reçue de son divin Fondateur. C’est encore l’Esprit qui, non content de donner l’impulsion initiale, conserve l’élan et, maintenant son influence dans l’Eglise, assiste celle-ci de façon continue, y multiplie ses interventions aussi diverses dans leur nature que dans leur mode. Si nécessaires d’ailleurs sont ces interventions que la fidélité et le rayonnement de l’Eglise, mieux encore son existence et sa pérennité, en dépendent, et non moins la sainteté et la réussite surnaturelle de chacun des membres du Corps Mystique. Bref la mission ecclésiale de l’Esprit-Saint revêt une telle ampleur et son action s’exerce si profonde dans l’âme des fidèles que, de toute évidence, l’Eglise catholique demeure ce qu’elle fut à l’Origine : l’Eglise de la Pentecôte. Conduite -comme Jésus Lui-même par l’Esprit-Saint, son Hôte divin, elle est en vérité l’Eglise de l’Esprit »26.
Essentiel donc au Corps Mystique du Christ, le rôle du Saint-Esprit peut être précisé à partir des quatre notes, ou propriétés, de l’Eglise, une, sainte, catholique et apostolique, « qui est l’Eglise de l’Esprit-Saint habitant en elle »27. Parce que « l’Eglise de l’Esprit » est tout aussi pleinement l’Eglise visible, contrairement à ce que bien des illuminés, des faux mystiques ou des hérétiques ont
prétendu au cours des siècles. Nihil novi sub sole : la tentation est vieille d’opposer l’Eglise spirituelle -dont évidemment l’on fait partie- et l’Eglise hiérarchique, ou officielle, vouée aux gémonies avec une commisération qui hésite entre la sainte indignation et la pieuse divagation, suivant les tempéraments : ainsi de Montan -et de son montanisme- vers 170, de Tertullien 40 ans plus tard, d’Amaury de Bène à la fin du XIIème siècle, de Joachim de Flore à la même époque, des Fraticelli à la fin du XIIIème, de Wicliff au XIVème, et à sa suite de Jean Hus, de toute la Réforme ou plus récemment du Pentecôtisme, aujourd’hui enfin de tous ceux qui, de toutes parts, contribuant à la crise de l’autorité qui mine le Corps Mystique du Christ, prétendent le guérir en l’attaquant dans le Christ-Tête, en son Vicaire, le « doux Christ en terre » de sainte Jeanne d’Arc.
« Ainsi, dès les premiers temps et à chaque époque de l’histoire, des individus ou des collectivités ont contesté à l’Eglise son titre et sa nature d’Eglise de l’Esprit, et jusqu’à son droit à se dire telle. Mais, divagations d’illuminés ou doctrines hérétiques n’ont pas ébranlé sa conviction sereine et justifiée d’être, et précisément parce qu’elle est l’Eglise du Christ, la seule et véritable Eglise de l’Esprit. Revendiquer ce titre ne signifie aucunement qu’elle accepte la théorie selon laquelle elle serait purement spirituelle et invisible. Bien au contraire »28.
Cela apparaît particulièrement lorsqu’on considère le rôle du Saint-Esprit par rapport aux quatre notes de l’Eglise : c’est bien l’Eglise « hiérarchique », ou « officielle », et elle seulement, qui est une, sainte, catholique et apostolique.
23 R.P. J.-H. Nicolas op « Synthèse dogmatique », p. 673, Edition Fribourg 1986.
24 Saint Augustin, Serm. 267, n° 4.
25 Saint Augustin, Serm. 268, n° 2.
26 R.P. M.-H. Lavocat op, « L’Esprit de Vérité et d’Amour », p. 270, Paris 1968.
27 Concile Oecuménique de Nicée II, 787, DS 600.
28 R.P. Lavocat, op cité, p. 277.
II) L’ESPRIT-SAINT ET L’EGLISE UNE, SAINTE, CATHOLIQUE ET APOSTOLIQUE
Ces quatre propriétés, qui tiennent inséparablement à la constitution de l’Eglise, sont intimement liées entre elles ; elles « indiquent les traits essentiels de l’Eglise et de sa mission. L’Eglise ne les tient pas d’elle-même ; C’est le Christ qui, par l’Esprit-Saint, donne à son Eglise d’être une, sainte, catholique et apostolique, et c’est Lui encore qui l’appelle à réaliser chacune de ces qualités »29 .
1) – L’Esprit-Saint, Ame de l’Eglise une
Le modèle, le principe et la source de toute unité est la Sainte Trinité : « Qu’ils soient un… comme nous sommes un » (Jn 17, 22).
L’Eglise est donc une de par sa source, l’éternelle et auguste Trinité, de par son Fondateur, le Christ Tête, de par son Ame, le Saint-Esprit qui unifie et vivifie :
- Comme Ame de l’Eglise, le Saint-Esprit l’établit dans l’unité essentielle de la foi : c’est
la naissance de l’Eglise par le Baptême dans l’âme des fidèles, où « elle devient mère non en mettant
ses enfants hors de son sein, comme les mères selon la nature, mais au contraire en les mettant
dans son sein »30; - Il la conduit encore à la plénitude de l’unité dans la charité, en la défendant de l’extérieur par la confirmation, en la restaurant à l’intérieur par la pénitence, en l’amenant à la consommation parfaite par l’Eucharistie qui symbolise, exige et produit l’unité, en y travaillant enfin sous divers modes par les sacrements de l’ordre, du mariage et des malades ;
- Comme II en est le Principe, Il est enfin lui-même l’unité et la consommation de l’unité de l’Eglise.
Ainsi l’unité de l’Eglise n’est-elle pas celle d’une quelconque société politique ou d’une idéologie, ni même celle d’une religion comme l’Islam ou d’une morale comme le bouddhisme.
L’unité, en effet, est par essence hiérarchique : sont dans l’unité tous ceux qui sont unis à celui qui en est le principe, et qui, de ce fait, sont unis entre eux.
Dans l’Eglise, sont dans l’unité tous ceux qui sont unis au Christ dans son Corps Mystique par le Saint-Esprit, et qui, de ce fait, sont unis les uns aux autres… qu’ils le « veulent » ou non, qu’ils le « sentent » ou non.
L’unité est, dans tous ceux qui y participent, une obéissance, une soumission, qui vient diviser en eux ce qui en est de ce qui n’en est pas (He 4, 12). Ainsi en va-t-il de tous, hormis Celui qui en est le Principe et qui récapitule tout en Lui. Ni sentiment, ni raisonnement, ni décision de la volonté propre, la participation -partielle, par définition- à l’unité suppose donc un acte de foi, un acte d’espérance et un acte dé charité… que seul peut donner de faire l’Esprit de Vérité et d’Amour.
« De même que le Christ en tant qu’homme est la Tête de l’Eglise, ainsi le Verbe qui procède du Père et duquel avec le Père procède le Saint-Esprit, envoie continuellement avec le Père le Saint-Esprit pour qu’il soit le principe opératif dans l’Eglise, c’est-à-dire son âme. Le premier effet du principe immanent opératif est d’opérer l’unité. Ainsi, entre les notes de l’Eglise catholique, nous posons avec le Symbole de Nicée comme première note la note d’unité, parce que l’unité de l’Eglise est le premier effet de l’opération du Saint-Esprit dans l’Eglise »31.
2)- Le Saint-Esprit, Hôte de l’Eglise sainte
« Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous : si quelqu’un détruit le temple de Dieu, Dieu le détruira. Car le temple de Dieu est saint, que vous êtes vous-mêmes » (1 Co 3, 16-17). Ame de l’Eglise, le Saint-Esprit est aussi Celui qui vivifie et sanctifie, par sa présence d’habitation, tout le Corps Mystique. Plus encore que dans une personne
individuelle, c’est dans l’Eglise tout entière que le Saint-Esprit habite.
L’Eglise est sainte… N’est-ce pas se laisser bercer dans un irénisme béat ? N’est-ce pas oublier, par insouciance présomptueuse, les maux dont Elle est affligée ? Ou n’est-ce pas, par esprit de pusillanimité, vouloir ignorer la crise dénoncée par le Saint-Père lui-même à maintes reprises, et ainsi se dérober aux nécessaires batailles à livrer ?
L’Eglise est bien sainte : c’est elle-même qui nous l’enseigne dans le Symbole de Nicée. Et c’est elle seule qui peut rendre ses membres saints, et non l’inverse, parce que le principe de sanctification est le Saint-Esprit, le « Doigt de la droite du Père ». De même que la sainteté des membres ne fait pas la sainteté de l’Eglise, de même leur péché -le nôtre donc-, n’atteint pas non plus cette sainteté. La sainteté de l’Eglise, peu soucieuse de démocratisme, vient d’en haut, non de la base. Et c’est dans l’exacte mesure où ses membres laissent cette sainteté les pénétrer, et où ils y collaborent, qu’ils seront eux-mêmes saints, puisqu’il a plu au Père et au Fils d’envoyer l’Esprit comme Hôte du Temple édifié dans le Christ.
« Par suite, et en raison de la permanence de la présence divine, l’Eglise hiérarchique est indéfectiblement sainte. Peu importe que ses ministres soient eux-mêmes plus ou moins saints, voire pécheurs ; par son Ame incréée elle gardera toujours la sainteté ministérielle, c’est-à-dire qu’elle dispensera toujours validement et effectivement la vérité, la vie et la sainteté à ses membres, sera toujours capable de sauver et de sanctifier les hommes en leur communiquant la vérité divine et la grâce »32.
Ici évidemment, les raisonnements comme les sentiments sont bien infirmes lorsque c’est un acte de foi qui est demandé : il y a une sainteté objective de l’Eglise, puisque l’Eglise est bien « Jésus-Christ répandu et communiqué », et que son Corps Mystique est sans cesse vivifié par le Paraclet qu’il avait promis.
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Les fautes -passées, présentes ou à venir- ne remettent donc en cause sa sainteté que pour qui ne reconnaît pas le mystère de l’Eglise, et la considère comme une simple réalité de ce monde. Mais tout fils bien né, pécheur lui-même (1 Jn 1, 8), sait que « le Christ a aimé l’Eglise et s’est livré pour elle, afin de la sanctifier en la purifiant par le bain de l’eau, dans la parole, pour se la présenter à lui-même cette Eglise, glorieuse, sans tâche ni ride ni rien de tel mais sainte et immaculée » (Ep 5, 25-27).
Ainsi, d’une part « l’Eglise, tout en comprenant une multitude de pécheurs qui lui appartiennent corporellement, est néanmoins sans péché » et d’autre part « tout ce qu’il y a de sainteté dans le monde relève déjà à quelque titre de l’Eglise, de cette Eglise que le Christ a
confiée à Pierre « 33.
Précisons quant au deuxième point avec l’abbé Berto : « L’Esprit-Saint n’est pas l’âme des communautés séparées en tant que séparées. Il n’opère pas en elles comme l’âme qui les vivifie en tant que communautés. Il opère en elles seulement en ce sens que sa grâce ne manque pas aux âmes pieuses et droites, soit par les sacrements valides, soit par la motion intérieure favorisant leur foi, leur espérance, leur charité et toutes les vertus, et par ses voies mystérieuses, qu’elles le sachent ou non, il les incorpore invisiblement au Corps Mystique visible du Christ »34.
…Mystère de la sainteté de l’Eglise qui se rattache ultimement à celui de la Sainte Trinité et de son habitation dans les âmes par le Saint-Esprit : c’est que l’action du « doux hôte de l’âme » n’est jamais contraignante et que son assistance, qui fonde l’infaillibilité de l’Eglise et du Pape et reste le principe de toute sanctification, laisse toute sa part à la liberté humaine.
3) – Le Saint-Esprit, missionnaire par l’Eglise catholique
« L’Eglise est catholique en un double sens. Elle est catholique parce qu’en elle le Christ est présent […] ; en elle subsiste la plénitude du Corps du Christ uni à sa Tête. […] Elle est catholique parce qu’elle est envoyée en mission par le Christ à l’universalité du genre humain »35.
L’Eglise est donc catholique dès la Pentecôte : c’est là qu’a lieu la première intervention de l’Esprit-Saint dans la vie de l’Eglise qui est née du Christ. Si l’on reprend la comparaison avec l’homme, composé de corps et d’âme, l’Eglise, depuis sa conception à sa naissance, est présente dans le Christ et soumise à sa Mère, la Sainte Vierge : « Femme, voici ton fils ; fils, voici ta Mère » (Jn 19, 26-27). A la Pentecôte, l’Eglise est « mise au monde » avec la descente du Saint-Esprit, dans les Apôtres réunis autour de la Sainte Vierge, et tout de suite après, sous l’influx missionnaire du Saint-Esprit, dans les trois mille baptisés de ce jour. (Ac 2, 41). Ici, comme lors de l’Annonciation, c’est l’opération du Saint-Esprit qui agit, avec la présence de Marie, son épouse. A l’Annonciation commence dans la vie cachée de l’Eglise en Jésus-Christ sa période de gestation, invisible ; à la Pentecôte, elle naît visiblement pour la mission, alors que « vint du ciel un bruit tel que celui d’un violent coup de vent » (Ac 2, 2). A l’Annonciation, l’Eglise est une et sainte en Jésus-Christ ; à la Pentecôte, elle devient catholique et apostolique en Jésus-Christ répandu et communiqué par le Saint-Esprit.
Dès ce moment, l’Eglise est donc visible sous l’action du Saint-Esprit, ce que saint Luc marque en faisant suivre immédiatement l’épisode de la Pentecôte par la description de la première communauté chrétienne, où l’on retrouve les quatre notes de l’Eglise (Ac 2,42-47) :
- Unité : dans la communion fraternelle (v. 42), la mise en commun des biens, qui souligne qu’il n’y a qu’un seul corps (v. 44-45), et tout cela « d’un seul coeur » (v. 46);
- Sainteté : dans la pratique assidue de la prière (v. 42,46), la crainte (v. 43) qui est le commencement de la sagesse (Ps 110, 10 ; Pr 1,-7), et la « simplicité du coeur »(v. 46);
- Catholicité : dans l’expansion missionnaire qui l’agrandit chaque jour (v. 47) ;
- Apostolicité : dans la fidélité à l’enseignement des Apôtres (v. 42) qui continuent de la bâtir en exerçant leurs charismes (v. 43).
Cette catholicité qui s’exprime par la mission, le Sauveur avait annoncée aux Apôtres qu’elle viendrait de l’Esprit-Saint : « Vous allez recevoir une force, celle de l’Esprit-Saint qui descendra sur vous. Vous serez alors mes témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1, 8).
« La charité de Dieu est diffusée dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné » (Rm 5, 5) : qui peut l’affirmer avec plus de certitude que les Apôtres au lendemain de la Pentecôte, ou encore saint Paul lui-même que cette charité presse (2 Co 5, 14) à étendre le règne de Dieu, la catholicité de l’Eglise, au milieu des tribulations (2 Co 6, 4-10), dans la joie qui est le fruit de la
présence de l’Esprit (Ga 5, 22) ?
Le mystère de la catholicité de l’Eglise est donc bien cette puissante action de l’Esprit-Saint qui a transformé quelques hommes rustres, peureux et vantards en Princes de l’Eglise et évangélisateurs infatigables jusqu’au martyre, cette action qui a fait du persécuteur des chrétiens l’Apôtre du Christ et le Docteur des nations, ou qui a changé le turbulent esthète de Carthage en
converti d’Hippone, Docteur de la grâce, de la charité et du Christ total, celui qui écrira : « Etends ta charité sur le monde entier, si tu veux aimer le Christ ; parce que les membres du Christ sont étendus sur le monde » 36, ou bien son fameux « Et nescio quis ponit in Africa fines charitatis, et je ne sais qui donne, à la charité, les limites de l’Afrique » !
4) – Le Saint-Esprit, Témoin et Assistant de l’Eglise apostolique
« L’Eglise est apostolique parce qu’elle est fondée sur les apôtres, et cela en un triple sens :
– elle a été et demeure bâtie sur le fondement des apôtres (Ep 2, 20 ; Ap 21, 14), témoins choisis et envoyés en mission par le Christ lui-même ; elle garde et transmet, avec l’aide de l’Esprit qui habite en elle, l’enseignement, le bon dépôt, les saines paroles entendues des apôtres ; elle continue à être enseignée, sanctifiée et dirigée par les apôtres jusqu’au retour du Christ grâce à ceux qui leur succèdent dans leur charge pastorale : le collège des évêques, assisté par les prêtres, en union avec le successeur de Pierre, pasteur suprême de l’Eglise » 37.
La note de catholicité montre le rôle du Saint-Esprit dans l’aboutissement de la mission de l’Eglise, dans ses destinataires ; la note d’apostolicité le rattache à son principe.
Le Saint-Esprit est le Témoin du Christ et de son Eglise, comme Notre-Seigneur l’avait annoncé : « Quand le Défenseur sera venu, il mettra le monde dans son tort à propos de péché, et à propos de justice, et à propos de jugement. Quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans la vérité tout entière, car il ne parlera pas de lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira et il vous dévoilera les choses à venir » (Jn 16, 8,13).
C’est d’abord par les apôtres, « remplis de l’Esprit-Saint » (Ac 2, 4), que celui-ci est le Témoin du Christ, dans leur assurance qui étonne, et révèle l’action divine (Ac 4, 8-13).
C’est encore dans l’Eglise primitive en son ensemble que le Paraclet joue ce rôle, par l’effusion des charismes, dons singuliers au caractère miraculeux, fort utiles aux premiers temps de l’Eglise, comme une démonstration permanente de l’action et de la présence du Saint-Esprit au sein de la communauté chrétienne (1 Co 12, 1-11), mais encore par la paisible unité des esprits et des coeurs chrétiens face à la division et au trouble du monde païen (Ac 2, 46-47), enfin surtout par l’éclatant témoignage de tant de martyrs de tous âges et de toutes conditions, dont seule la joie surpassait l’intrépidité, à l’image du premier d’entre eux, saint Etienne, « tout rempli de l’Esprit Saint » (Ac7, 55-56).
Actuellement l’Esprit continue ce témoignage par l’Eglise hiérarchique, c’est-à-dire l’Eglise enseignante, dépositaire et gardienne vigilante du dépôt de la foi, héritière du Christ et maîtresse infaillible de vérité.
« Voilà ce que c’est que l’apostolicité. Luther, Calvin, n’ont rien compris à cela ; ils ont rompu la chaîne. Leur Dieu est individualiste […] Cela, au lieu de la grande vie commune qui, dans la conception catholique, enveloppe les temps et les lieux de son accolade immense »38.
La soumission au Saint-Esprit que suppose la note d’apostolicité doit rendre l’Eglise visible en ses fidèles : puisqu’il a donné toute sa foi en Dieu Un et Trine, au Verbe Incarné, tel qu’il apparaît dans les Ecritures, ou dans son Corps Mystique lorsqu’il est répandu et communiqué, le catholique met son honneur à être fidèle ; sa fidélité est le prolongement et la preuve de sa foi ; elle lui fait chanter la foi de ses pères –« Da Feiz hon tadou koz » dans le cantique Breton ou… « the faith of our fathers » dans le « Grand »-Breton, parce qu’il sait que la sienne croît et se nourrit à la même sève, toujours vivante par la voix du Magistère apostolique, qui rend visible le point d’attache de lignée chrétienne à son Christ, en la personne des Douze.
« Les protestants ont réformé comme la branche qui, mécontente de l’arbre, s’arracherait violemment et jetterait sur le sol toutes ses feuilles. Mieux eût valu, renforçant la sève dans la branche et l’exposant, docile, aux influences du ciel, agir par là sur l’arbre entier » 39
Grâce à la continuité apostolique, garantie dès l’origine par la promesse de l’assistance de l’Esprit-Saint (Jn 14, 26), le catholique est contemporain des apôtres, et devient témoin de la vérité, comme eux, par le Saint-Esprit (Jn 15, 26-27). La note d’apostolicité amène à celle qui la précise : la romanité.
29 CEC, n° 811
30 VA. Berto, « Réflexions sur l’éducation », Itinéraires n° 123, mai 1968.
31 V.A. Berto, « Pour la Sainte Eglise Romaine », p. 425, Cèdre DMM 1976.
32 R.P. Lavocat, op cité, p. 243
33 Cardinal Journet, « L’Eglise du Verbe Incarné », T. II, p. 903, DDB 1951.
34 V.A. Berto, op. cité, p. 419.
35 CEC, n° 830-831.
36 Saint Augustin, Lettre aux Parthes, n° 10.
37 CEC, 857
38 R.P. Sertillanges, « L’Eglise », T. I, p. 150-151, Gabalda 1931.
39 Ibid. p. 151.
CONCLUSION : LE SAINT ESPRIT, COEUR DE L’EGLISE ROMAINE
« L’Eglise romaine, cela veut dire : l’Eglise qui se rattache aux apôtres, dont le chef était Pierre, évêque de Rome, et qui a donc pour chef, au cours des âges, le successeur de Pierre, l’évêque de Rome » 40.
L’Eglise est donc « visible en cette Rome, où le Vicaire du Christ est le centre de son unité et la source de l’autorité, comme celui à qui doivent être unis tous les autres pasteurs et de qui ils reçoivent immédiatement leur juridiction et leur mission » 41 Dès lors, « qu’importent le nom, le visage, les origines humaines de chaque pape : c’est toujours Pierre qui vit en lui, c’est Pierre qui dirige et gouverne, c’est Pierre surtout qui enseigne et qui répand sur le monde la lumière de la vérité libératrice »42.
Dans la Somme théologique, saint Thomas compare le rôle du Saint-Esprit dans l’Eglise à celui du coeur : « Aussi est-ce au coeur qu’il faut assimiler le Saint-Esprit qui, dans le secret, vivifie et unit l’Eglise, et c’est à la tête que doit être assimilé le Christ, lequel, selon sa nature visible, est un homme préposé aux autres hommes »43. Léon XIII reprendra la comparaison à la suite de
nombreux autres théologiens 44
« Où est l’Eglise, là est l’Esprit de Dieu, et là où est l’Esprit de Dieu, là est l’Eglise et toute sa grâce »45. « Où est Pierre, là est l’Eglise »46.
De même que le Saint-Esprit est le principe invisible de l’unité de l’Eglise visible, de même le Pontife romain en est-il le principe visible.
Rome est donc le coeur de l’Eglise, comme la garantie visible de l’assistance invisible de l’Esprit-Saint dans la Tradition reçue par le Magistère romain, sans discontinuité depuis 2000 ans : « la promesse faite à Pierre et sa réalisation historique à Rome demeurent au plus profond un motif de joie toujours nouveau : les puissances de l’enfer ne prévaudront pas contre elle… » 47.
40 Ibid. p.153.
41 Pie XII, Allocution aux prédicateurs de Carême, 17 février 1942.
42 Pie XII, Allocution aux nouveaux époux, 17 janvier 1940.
43 Saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Illa, q. 8, a. 1, ad 3m.
44 Léon XIII, Lettre Apostolique « Provida Matris », 5 mai 1895.
45 Saint Irénée, Adv. Haer. III, 24,1 ; IV, 26,2.
46 Saint Ambroise, Enar. in Ps. 40, n° 30 – PL XIV, col. 1082.
47 Cal J. Ratzinger, « Appelés à la communion », p. 64, Fayard 1993.