Etre père c’est une initiative d’amour. Etre père c’est se donner, c’est aimer quelqu’un avant qu’il vous aime, quand il ne vous aime pas encore, quand il n’existe pas encore.
C’est aimer quelqu’un gratuitement, sans qu’il ait rien fait pour vous, sans qu’il vous
promette de faire quelque chose.
Quand on met un enfant au monde, quelle assurance a-t-on qu’il sera heureux, généreux reconnaissant, aimant, droit ? Une seule : je l’aimerai si bien, je souffrirai de lui si patiemment, je lui pardonnerai si souvent qu’un jour arrivera où il m’aimera comme je
l’aime.
C’est cette seule assurance que Dieu a prise vis à vis de nous. Les êtres qui nous aiment vraiment ne nous aiment pas à cause des qualités qu’ils nous trouvent quand ils commencent à nous aimer, mais à cause de la bonté de leur propre cœur, si fort, si juste,
si fidèle qu’il est sûr d’éveiller un jour un amour semblable au leur.
L’amour seul est créateur, seule la folle générosité de l’amour est capable d’engendrer la vie. Voyez deux adultes, deux créatures pleinement épanouies qui se penchent avec dévouement total vers un tout petit, se subordonnent passionnément à lui, lui attribuent une valeur infinie, prêts à donner leur sang, leurs biens, leur vie pour lui, pour ce petit être insignifiant et inconnu, presqu’inexistant encore. Et grâce à cette prodigalité, l’enfant naît, survit, trouve simplement les conditions normales de son existence et s’éveille un jour à l’amour qui l’a créé.
A quinze, seize ans, souvent les parents sont déroutés par leur enfant et ne retrouvent plus en lui l’être qu’ils ont aimé. Et, hélas, souvent aussi, c’est l’âge où ils croient le reconnaître, où ils le jugent. Il faut dire : c’est l’âge où ils ne l’aiment plus. Et donc, où ils cessent de le créer. Car aimer un être, c’est croire, c’est espérer en lui pour toujours.
Les parents qui ne croient plus dans les infinies possibilités de bien que renferme le cœur de leur enfant, ces parents ne les aiment plus, n’ont plus assez de foi et de courage pour les aimer.
Alors les enfants se tournent vers l’extérieur, ils cherchent autour d’eux un ami, une amie, un maître, quelqu’un qui saura croire en eux de nouveau, et qui leur permettra de grandir.
On ne grandit bien que pour ceux dont on est aimé.
Ce dont nous sommes reconnaissants à un être qui nous aime, c’est qu’il a su croire assez en nous pour que nous osions être avec lui tellement meilleur, tellement plus tendre, plus vulnérable, plus généreux que nous ne l’aurions été avec un nul autre.
Aimer un être, c’est lui adresser l’appel le plus fort et le plus impérieux, c’est émouvoir en lui un être caché et muet, qui ne peut s’empêcher de surgir à notre voix, si neuf que même celui qui le porte ne le connaissait pas, et si vrai cependant, qu’il ne peut
pas le reconnaître bien qu’il le voie pour la première fois.
Dieu nous aime ainsi, fidèlement, avec une infinie patience, car il est infiniment Père. Dieu peut être renié, oublié, Dieu ne peut pas nous renier, nous oublier. L’homme peut cesser d’être un fils, mais Dieu ne peut cesser d’être Père.
Nous ne sommes pas assez pères car être père c’est apprendre à éveiller à la vie.
Mais pas seulement à la vie physique, bien sûr. Quelle pauvre paternité, qui ne serait que celle-là ! Eveiller à la foi, à la confiance, à la vérité, à l’amour, à la joie, voilà une vraie paternité, spirituelle, qui dépasse infiniment la paternité naturelle.
Que d’enfants sont orphelins dès leur naissance : ils n’ont personne pour les éveiller à une autre vie que celle du corps et les larmes !
Abbé Louis Evely
Notre Père. Fleurus 1956