Le bienheureux Charles d’Autriche, l’empereur de la paix (1887-1922)

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J’ai conservé le sentiment d’avoir toujours fait mon devoir et de n’avoir voulu, en toute chose, que le bonheur de mes sujets, de même que la plus grande gloire de Dieu et le triomphe de notre Sainte Mère l’Eglise

I. Sa vie

Né en 1887 au château de Persenbeug, en Basse-Autriche, l’archiduc Charles est un petit-neveu de l’empereur d’Autriche et roi de Hongrie François-Joseph Ier. Si son père, un neveu de l’empereur, mène une vie désordonnée, il reçoit de sa mère une éducation religieuse et morale exigeante. Après des études secondaires dans un collège bénédictin de Vienne puis une formation à l’université de Prague, Charles est destiné, comme tous les hommes de la dynastie de Habsbourg-Lorraine, à être officier. Cinquième dans l’ordre de succession à la couronne, il passe au deuxième rang, en 1906, à la mort de son père. Lieutenant, puis capitaine de cavalerie, il est affecté dans un régiment stationné en Bohême (dans l’actuelle République tchèque). C’est là qu’il fait la connaissance de la princesse Zita de Bourbon-Parme, qu’il épouse le 21 octobre 1911. Un authentique mariage d’amour, conforté par une foi et une piété communes. Huit enfants naîtront de cette union.

Le 28 juin 1914, lorsque son oncle François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo, le destin du jeune archiduc bascule : il devient le successeur immédiat de son grand-oncle François-Joseph. Alors qu’il aurait dû régner au plus tôt dans les années 1935-1940 en succédant à son oncle, Charles doit se préparer, au regard de l’âge élevé de l’empereur (84 ans), à accéder rapidement au trône, et ce alors que la guerre éclate. De 1914 à 1916, tout en exerçant des commandements importants, il s’efforce d’acquérir la formation politique nécessaire à sa charge future.

François-Joseph meurt le 21 novembre 1916, à 86 ans. Charles devient alors, à 29 ans, l’empereur Charles Ier à Vienne et le roi Charles IV à Budapest. Le 30 décembre suivant, il est couronné et oint roi apostolique de Hongrie. Depuis deux ans, sur le front, il a pu constater directement les souffrances des combattants. Charles, de plus, est persuadé que son pays ne pourra plus gagner la guerre, mais au moins voudrait-il qu’il ne fût pas vaincu. Une obsession le hante : faire la paix. Son autre grand dessein est de réformer la Double Monarchie en faisant droit à toutes les nationalités qui la composent, notamment en rééquilibrant la balance en faveur des Slaves. Mais imposer ces réformes à l’intérieur de son empire supposerait que la guerre soit terminée, tout comme imposer la paix à ses adversaires supposerait que l’empire ait été réformé. Quant à trouver une issue à ce dilemme, cela nécessiterait du temps, or le temps fera défaut à l’empereur Charles. Politiquement, tout son drame est inscrit dans ces contradictions initiales.

Dès son accession au trône, le jeune souverain discute secrètement avec les Alliés, par l’entremise de ses beaux-frères, les princes Sixte et Xavier de Bourbon-Parme, officiers dans l’armée belge: Charles espère déboucher sur des négociations de paix, y entraîner ses alliés les Allemands, ou sinon conclure la paix séparément. Vains efforts : Français et Anglais sont indifférents à cette main tendue, et les Italiens y sont hostiles. En août 1917, quand le pape Benoît XV lance un appel à la paix, l’empereur Charles est le premier et le seul des belligérants à répondre positivement à l’appel pontifical. Mais en 1918, lorsque Clemenceau révèle les tractations secrètes avec l’Autriche qui se sont déroulées l’année précédente, Charles est confronté, dans son camp, à la fureur des milieux bellicistes d’Autriche-Hongrie, notamment dans l’état-major de l’armée, et à l’hostilité des Allemands qui du coup renforcent la pression qu’ils exercent sur l’Autriche afin de s’assurer la conduite de la guerre. Pendant ce temps, à Paris, Londres et Washington, des voix s’élèvent dans les cercles du pouvoir afin de persuader les gouvernants qu’une monarchie plurinationale, à plus forte raison une monarchie catholique, n’est pas dans la norme du XXe siècle, et qu’il importe de démanteler l’Autriche- Hongrie.

En octobre 1918, la Double Monarchie, qui a résisté à quatre ans de guerre, s’effondre subitement. Tandis que les Tchèques et les Slovaques forment ensemble un Etat qui proclame son indépendance, les Slaves du sud de l’Autriche-Hongrie se rattachent à la Yougoslavie, et la révolution éclate en Hongrie. Le 3 novembre, l’armée des Habsbourg signe l’armistice et, le 11 novembre, l’empereur Charles est contraint, sans abdiquer, de renoncer au pouvoir.

En mars 1919, la famille impériale est forcée, cette fois, à l’exil. Elle part pour la Suisse où Charles et Zita auront trois refuges successifs, vivant avec des ressources de plus en plus réduites car les biens tant publics que privés des Habsbourg ont été saisis par les Etats qui composaient naguère l’Autriche-Hongrie.

Après l’échec de deux tentatives de restauration en Hongrie, Charles et Zita sont astreints à résidence, fin 1921, dans l’île de Madère. Sans argent, l’empereur n’a d’autre recours que l’hospitalité portugaise. Rejoint par ses enfants, le couple impérial emménage en plein hiver dans une maison humide, sans confort et trop petite. Au printemps, physiquement épuisé et moralement miné, Charles tombe malade. Malgré l’assistance de chaque instant de sa femme, son calvaire dure trois semaines. Le 1er avril 1922, il appelle à son chevet son fils aîné, l’archiduc Otto, afin qu’il voie « comment un chrétien retourne à son Créateur ». Après quatre heures d’agonie au cours desquelles il a offert sa vie pour sa famille, pour les peuples de son ex-empire et pardonné à ses ennemis, Charles d’Autriche rend son âme à Dieu. Il avait 34 ans.

L’impératrice Zita a alors 30 ans. Veuve et sans ressource, elle attend son huitième enfant. Après une vie d’exil, de piété et de pauvreté, elle mourra en 1989, à 97 ans.

II. La piété de Charles d’Autriche

Dès l’enfance, Charles a été imprégné par l’exemple de sa mère, l’archiduchesse Maria Josepha, qui allait à la messe tous les jours et y emmenait son fils. Toute sa vie, il assistera chaque jour à la messe, et y communiera à chaque fois. Adoration eucharistique quotidienne, chapelet quotidien, examen de conscience quotidien, confession hebdomadaire, prière de l’Angélus tous les midis, bénédicité avant chaque repas : l’empereur manifeste une piété constante, expression d’une foi sans faille qui frappe tous les témoins. L’impératrice Zita partage la même piété, et les mêmes rites, qui imprègnent leur union conjugale.

Charles voue une dévotion spéciale au Sacré Cœur de Jésus, auquel il consacre sa famille en octobre 1918. En avril 1920, il y ajoute une consécration à saint Joseph. 

«Dans les épreuves que la Divine Providence m’a envoyées, écrivait-il à Benoît XV le 28 février 1919, j’ai conservé le sentiment d’avoir toujours fait mon devoir et de n’avoir voulu, en toute chose, que le bonheur de mes sujets, de même que la plus grande gloire de Dieu et le triomphe de notre Sainte Mère l’Eglise ».

III. Histoire de sa béatification

Le 3 novembre 1949, Radio-Vatican annonce l’ouverture, dans l’archidiocèse de Vienne, du procès de béatification et de canonisation du 

« Serviteur de Dieu, Charles, de la Maison d’Autriche, empereur d’Autriche et roi de Hongrie, pour l’honneur de Dieu et la gloire de l’Eglise, pour donner à notre temps, dans la personne du serviteur de Dieu, l’intercesseur dont l’image de souverain conscient de ses responsabilités et moderne, comme époux et père de famille catholique, serait si nécessaire à notre époque de corruption et de destruction morale, de décadence du mariage et de la famille. »

Au début des années 1960, le dossier est prêt. La cause, cependant, va rester enterrée une dizaine d’années à Rome. Au début des années 1970, la procédure est relancée. Elle avance d’abord lentement, puis connaît une accélération dans les années 1980 et 1990. Quelqu’un tient toutefois à voir son aboutissement : Jean-Paul II. Car les Wojtyla sont originaires de la région de Cracovie qui faisait partie, jusqu’en 1918, de l’empire d’Autriche. Le père du pape, officier de carrière, appartenait à l’armée des Habsbourg pendant la Première Guerre mondiale. Ayant aimé et admiré l’empereur Charles, le capitaine Wojtyla avait donné son prénom à son fils Karol – ce que Jean-Paul II savait. En 2003, le décret proclamant l’héroïcité des vertus de Charles d’Autriche est enfin publié : 

« Il était un homme d’une intégrité morale certaine et d’une foi solide, qui a toujours cherché le mieux pour ses peuples, et dans ses actes de gouvernement s’est conformé à la doctrine sociale de l’Eglise. Il a entretenu les idéaux de justice et de paix avec un appel constant à la sainteté. Il était un chrétien, un mari, un père et un monarque exemplaire. » 

A la fin de la même année, un miracle est attribué à l’intercession de Charles (la guérison d’une religieuse polonaise vivant au Brésil, inexplicablement délivrée d’une maladie invalidante). Dernière étape, le 3 octobre 2004, lors de la dernière cérémonie de béatification présidée par Jean-Paul II, Charles est proclamé bienheureux à trois titres : pour ses efforts de paix, pour les mesures sociales qu’il a prises pendant son règne, et pour sa piété personnelle. 

« Le devoir décisif du chrétien, déclare le pape au cours de son homélie, consiste à chercher en toute chose la volonté de Dieu, à la reconnaître et à la suivre. L’homme d’Etat et le chrétien Charles d’Autriche se fixa quotidiennement ce défi. Il était un ami de la paix. (…) Sa principale préoccupation était de suivre la vocation de chrétien à la sainteté également dans son action politique. C’est pour cette raison que l’assistance sociale avait une telle importance à ses yeux. Qu’il soit un exemple pour nous tous, en particulier pour ceux qui ont aujourd’hui une responsabilité politique en Europe ! »

Le calendrier de l’Eglise a fixé la fête du bienheureux Charles d’Autriche au 21 octobre. Un symbole fort : cette date est celle de son mariage avec Zita. Si un second miracle dû à son intercession était authentifié, Charles serait canonisé. Et si aboutissait à son tour la cause de l’impératrice, qui fait l’objet d’un procès de béatification depuis 2009, le couple serait réuni sur les autels, à l’image de Louis et Zélie Martin ou des époux Quattrocchi.

IV. L’exemple de Charles d’Autriche

Le mariage, chemin de sainteté

La veille de leurs noces, Charles a dit à Zita : « Maintenant, nous devons nous entraîner mutuellement pour aller au Ciel ». Pour le bienheureux Charles d’Autriche, comme pour son épouse, le mariage est une voie de conversion et de sanctification à suivre à deux. Toute leur vie conjugale et l’éducation de leurs enfants sera placée sous le regard de Dieu.

Le pouvoir comme service

Lors de son couronnement comme roi de Hongrie, le bienheureux Charles s’est engagé « à veiller à la loi, à la justice et à la paix pour le bien de l’Eglise de Dieu et du peuple qui m’est confié ». Un serment auquel il sera fidèle pendant son court règne en veillant à économiser le sang des soldats qui combattaient au front, en se préoccupant personnellement des questions de ravitaillement de la population civile, et en créant en Autriche un ministère de la Santé et des Affaires sociales qui sera un des premiers dans le monde occidental. Jean-Paul II, lors de la cérémonie de béatification du bienheureux Charles, l’a présenté comme un modèle pour les hommes politiques : 

« Dès le début, l’empereur Charles conçut sa charge comme un service saint envers ses sujets. Sa principale préoccupation était de suivre la vocation du chrétien à la sainteté également dans son action politique. C’est pour cette raison que l’assistance sociale avait une telle importance à ses yeux. Qu’il soit un exemple pour nous tous, en particulier pour ceux qui ont aujourd’hui une responsabilité politique en Europe ! »

Artisan de paix

Parti pour le front au début de la guerre de 1914, l’archiduc Charles écrit ces mots à sa femme : 

« Je me sens officier de corps et d’âme, mais je ne comprends pas comment les gens qui voient partir leurs proches pour la guerre puissent ainsi s’enthousiasmer ». 

Le 22 novembre 1916, premier jour de son règne, le jeune souverain publie un manifeste qui commence par ces lignes : « Je veux tout faire pour bannir dans le plus bref délai les horreurs et les sacrifices de la guerre ». En 1917, après une bataille sur le front italien, un témoin l’a vu pleurer devant des corps carbonisés ou mutilés, et l’a entendu murmurer comme pour lui-même : 

« Personne ne peut assumer devant Dieu la responsabilité morale de tout cela ».

L’abandon à Dieu

Le bienheureux Charles vivait dans la confiance et l’abandon à Dieu. 

« Je m’engage toujours, en toutes choses, expliquait-il, à connaître le plus clairement possible la volonté de Dieu et à la respecter, et cela de la manière la plus parfaite. Quand on connaît la volonté de Dieu, tout est bon ».

Lors de son agonie, après avoir offert ses souffrances, juste avant de rendre le dernier soupir, il avait dit à sa femme, l’impératrice Zita : 

« Je t’aime infiniment. Dans le cœur de Jésus, nous nous retrouverons ».

JEAN SEVILLA

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