La Messe, coeur de la Chrétienté

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La cathédrale de Chartres vers laquelle nous marchons, n’est-elle pas le symbole de cette présence massive de la messe sur notre sol.

Vous dites que la messe est le cœur de la chrétienté, mais pouvez-vous le prouver ?

Oui, et deux voies s’offrent à nous pour cela :

* l’une, doctrinale, fait ressortir le lien théologique qui existe entre messe et chrétienté ;

* l’autre, plus empirique, montre par des faits et des exemples que la messe s’est toujours trouvée au cœur de la chrétienté.

1. Explorons donc ces deux voies. Et pour commencer par la première, expliquez-moi le lien théologique qui existe entre la messe et la chrétienté.

Je dois pour cela commencer par rappeler ce qu’est la chrétienté et ce qu’est la messe. Citons d’abord Dom Gérard qui a très bien décrit notre chrétienté occidentale :

« Ce qu’a été la chrétienté ? Non seulement l’ensemble des peuples où prédominait le Christianisme, comme l’indique le dictionnaire, mais aussi le versant ensoleillé de la civilisation où tous les secteurs de la vie temporelle étaient inspirés, sinon réglés par la royauté du Seigneur Jésus. D’où ces institutions mémorables qui s’appellent la chevalerie, la croisade, l’université, les ordres religieux… La chrétienté, ce fut pour nous, par exemple, la France du XIIe siècle couverte d’un blanc manteau de monastères, où Cluny et Cîteaux rivalisaient de sainteté, où des milliers de mains jointes intercédaient jour et nuit pour les cités temporelles. La chrétienté, ce fut aussi -soyons véridiques- un monde menacé par les forces du mal, un monde cruel en proie à la guerre, l’anarchie, la famine, la peste ; telle cette France du XVe siècle, où apparaît la figure la plus pure qui se soit levée sur nos horizons terrestres : Jeanne d’Arc. C’est elle qui achèvera de nous dire ce que fut avant tout la chrétienté : la proclamation de la Royauté de Jésus- Christ sur les âmes, sur les institutions et sur les mœurs. 

« Le Royaume n’est pas à vous, dit Jeanne d’Arc au dauphin. Il est à Messire. » –

« Et quel est votre Sire? » demande-t-on à Jeanne. –

« C’est le roi du ciel, répond la jeune fille, et il vous le confie afin que vous le gouverniez en son nom » ».

Dom Gérarc Calvet, extrait d’une interview.

2. En somme, la chrétienté, c’est l’incarnation de la foi dans l’ordre social, économique et politique?

Exactement. Sans doute, comme nous le dit Jésus, le Royaume de Dieu est au-dedans de nous : la foi, l’espérance et la charité, par lesquelles nous appartenons à la cité de Dieu, sont des réalités intérieures. Mais ces réalités intérieures aspirent inévitablement à se réaliser au-dehors, à se traduire dans tous les domaines de la vie humaine, qui est à la fois individuelle et sociale. La foi est créatrice de vie. On assiste donc à la naissance d’une petite enclave de chrétienté dès que la foi prend assez d’emprise sur un groupe d’hommes pour les amener à vivre publiquement et socialement en chrétiens. Publiquement et socialement, c’est-à-dire avec des mœurs chrétiennes, des familles chrétiennes, des pratiques chrétiennes, des fêtes chrétiennes. En bref, la chrétienté est une réalité extérieure et sociale qui prend sa source dans une réalité intérieure et personnelle.

Le royaume de Dieu est comme une toute petite graine qui pousse lentement, mais elle devient un grand arbre où viennent se percher les oiseaux du ciel.

3. Pourriez-vous illustrer cette loi d’incarnation de la foi par un exemple ?

Volontiers, je prendrai l’exemple de nos fêtes chrétiennes. Elles nous paraissent aller de soi. Et nous ne remarquons pas combien c’est difficile de créer des fêtes où les gens aient vraiment envie de « faire la fête ». Chesterton a fait remarquer la totale impuissance du rationalisme en ce domaine. Et l’on se souvient de l’échec complet du calendrier révolutionnaire, qui a prétendu remplacer le calendrier chrétien en 1793.

« Logiquement, remarque Chesterton, je ne vois pas pourquoi nous ne chanterions pas et n’échangerions pas des cadeaux en l’honneur de n’importe quoi, l’anniversaire de Michel Ange ou l’inauguration de la Gare d’Euston. Mais cela ne se fait pas. Les hommes ne deviennent avidement et splendidement matériels que pour une raison d’ordre spirituel. Supprimez le symbole de Nicée et autres choses analogues et vous causerez un préjudice inattendu aux marchands de saucisses. Supprimez le surnaturel, il ne reste que ce qui n’est pas naturel ».

Chesterton, Hérétiques, Plon, 1930, p.87.

Ces réflexions pleines de bon sens et d’humour illustrent bien, je crois, la tendance naturelle de l’homme à transcrire socialement sa foi. S’il croit en la divinité de Jésus (symbole de Nicée), il ne peut manquer de vouloir célébrer dignement sa naissance dans la chair (Noël) par un banquet digne de ce nom : quelque chose de « splendidement matériel ». Ce jour-là, l’austère François d’Assise aurait voulu qu’il y ait de la viande même sur les murs. Oui, la foi tend avidement à s’inscrire dans le matériel et le social. Et, c’est cette tendance qui est au point de départ de toute chrétienté.

4. Est-ce à dire que la chrétienté est un fruit spontané qui naît de lui-même et sans effort ?

En aucune façon. Jésus n’a jamais dit à ses disciples qu’ils posséderaient le monde rien qu’en s’y montrant. Il leur a clairement dit au contraire que le monde résisterait obstinément. Il ne leur a jamais promis que la chrétienté naîtrait sans effort. Mais il a invité ses disciples à transposer leur foi dans la vie de tous les jours et à devenir ainsi eux-mêmes chrétienté.

« Aussi ne faut-il pas se promettre de faire du monde une chrétienté, mais d’être dans le monde une chrétienté : se déterminer quelques-uns d’abord, à vivre un christianisme loyal, purifié des peurs, des marchandages et des compromissions, rajeuni aux sources d’eau vive de la foi, de l’espérance et de l’amour. Et puis du point de départ de cet engagement personnel, rayonner son idéal autour de soi, comme le levain que le boulanger pétrit « jusqu’à ce que tout soit fermenté » ».

P. Doncœur, s.j., Aller de l’avant, Presses d’Ile de France, 1988.

5. Qu’est-il exigé de nous d’abord et avant tout pour que nous devenions chrétienté ?

La foi. « Le Juste vit de la foi », dit saint Paul. Et le Père Emmanuel (du Mesnil-Saint-Loup) ajoute :

« Si la foi n’est pas au-dessus de tout, il n’y a pas de foi ». 

Notre foi doit être pour tous les autres domaines de notre vie ce que l’huile est par rapport aux autres liquides. Mélangez de l’huile à n’importe quel liquide, elle finit toujours par remonter à la surface et à s’établir au-dessus des autres. Une foi authentique aspire à régner, d’abord sur la personne de celui qui croit, puis sur les petites et grandes sociétés auxquelles cette personne appartient: la famille, les communautés locales, la patrie.

Mais ce règne universel de la foi rencontre des obstacles, et de durs obstacles :

* notre tiédeur, qui est le plus dangereux,
* la haine du monde, qui est le plus sensible,
* l’hostilité du démon, qui est le plus méchant.

C’est pourquoi la foi n’engendre la chrétienté que si elle est animée d’un puissant esprit de sacrifice, qui lui permette de triompher des difficultés qu’elle rencontre. Jésus nous a dit qu’il ne suffit pas de croire en lui pour être avec lui. Il faut aller plus loin, beaucoup plus loin :

« Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il se renonce, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive ».

6. Foi et sacrifice, c’est donc par là que s’établit une chrétienté ?

Oui. La chrétienté naît de la foi et du sacrifice. Elle grandit par la foi et le sacrifice. Elle perdure par la foi et le sacrifice. Et quand la foi et le sacrifice disparaissent, elle meurt.

7. Tout cela est bien difficile !

Qui a jamais prétendu le contraire ? Jésus, pourtant ne nous laisse pas nous débrouiller seuls. Plus il exige, plus il donne. Il nous dit : « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » C’est pour être davantage avec nous qu’il s’est fait homme. Il a montré aussi qu’il ne commandait rien sans en donner d’abord l’exemple : il s’est sacrifié lui-même le premier, se faisant « obéissant jusqu’à la mort et à la mort de la croix ». Et pour que cet exemple et cette présence réelle de Jésus, notre Dieu, ne cessent jamais, il nous a laissé la messe. Notre foi trouve ainsi à se nourrir en Jésus, réellement présent dans l’Eucharistie. Et notre esprit de sacrifice peut se réchauffer sans cesse par l’exemple du sacrifice de Jésus renouvelé à la messe.

8. La chrétienté nous a conduits à la messe. N’est-ce pas l’occasion de rappeler brièvement ce qu’est la messe ?

Deux mots suffiront à notre propos. La messe est tout ensemble Mystère de foi et renouvellement du Sacrifice de la Croix.

La messe est d’abord un mystère très élevé ; elle est même à proprement parler, comme le dit la liturgie, « le mystère de la foi » (Mysterium fidei). Ce point est d’une importance capitale, comme l’a rappelé le pape Paul VI, dans Mysterium Fidei, une encyclique claire et très courte, qu’il faut lire et relire. Si la messe est un mystère de foi, dit le pape,

« il faut nous en approcher avec un humble respect, sans nous tenir au raisonnement humain, qui doit se taire, mais en nous attachant fermement à la révélation divine ».

Paul VI, Encyclique Mysterium Fidei du 3 septembre 1965, n°15.

Que nous dit cette révélation ? Elle nous enseigne essentiellement que la messe est un sacrifice. Le Catéchisme de l’Église Catholique nous apprend par exemple que :

« (…) le sacrifice que le Christ a offert une fois pour toutes sur la croix demeure toujours actuel : ‘Toutes les fois que le Sacrifice de la Croix, par lequel le Christ, notre Pâque, a été immolé, se célèbre sur l’autel, l’œuvre de notre Rédemption s’accomplit.’ L’Eucharistie est donc un sacrifice, parce qu’elle représente (rend présent) le Sacrifice de la Croix, parce qu’elle en est le mémorial et parce qu’elle en applique le fruit ».

Catéchisme de l’Eglise catholique, 1365-1366, citant le Concile de Trente, DS 1740.

Mystère de la foi, renouvellement du Sacrifice de la Croix, la messe est bien le moyen le plus puissant dont nous disposions pour grandir dans la foi et acquérir l’esprit de sacrifice. Mais écoutez plutôt ce qu’en disait le pape saint Grégoire le Grand, il y a quatorze siècles :

« Mesurons la grandeur de ce sacrifice qui, pour notre pardon, imite toujours la Passion du Fils unique de Dieu. Qui donc parmi les fidèles pourrait douter qu’à l’heure précise du saint Sacrifice les deux s’ouvrent à la voix du prêtre, qu’à ce mystère de Jésus-Christ les chœurs des anges sont présents, le très haut s’unit au très bas, le terrestre et le céleste se rejoignent, le visible et l’invisible se fondent en un ? »

Et le saint pape ajoute aussitôt dans quelles dispositions il nous faut assister à la messe pour en tirer vraiment profit. Ses paroles sont à méditer attentivement :

« Quand nous célébrons, il faut nous immoler à Dieu par la contrition du cœur, car nous qui célébrons les mystères de la Passion du Seigneur, nous devons imiter ce que nous faisons. Nous offrirons donc à Dieu un véritable sacrifice, si celui-ci nous transforme nous-mêmes en sacrifices ».

Saint Grégoire le Grand, Dialogues, IV, 60-61

Je pense en avoir dit assez pour vous faire comprendre en quoi la messe est le cœur de la chrétienté. Une chrétienté est le fruit spontané que produit la foi ardente d’un petit groupe de chrétiens, dès qu’ils acceptent de se sacrifier pour leurs convictions. Or la foi grandit et se fortifie de façon privilégiée par l’assistance au « Mystère de la foi », et l’esprit de sacrifice s’apprend à l’école du Sacrifice de Jésus, renouvelé à la messe.

9. Merci de ce bel aperçu ! Vous aviez promis d’explorer deux voies. L’une plus théologique qui s’achève ici. Reste l’autre qui doit montrer par des faits et des exemples que la messe s’est toujours trouvée au cœur de la chrétienté.

J’y viens.

Le cœur, vous le savez, c’est à la fois l’organe qui propulse la vie dans tout le corps, et l’organe auquel tout revient. La messe aussi est cela. Elle propulse la vie dans la chrétienté, et toute la chrétienté se rapporte à elle et reflue vers elle, comme à son centre. Pour le montrer, je vous propose trois pistes possibles, selon que l’on considérera l’influence jouée par la messe, dans les trois stades de développement qu’une chrétienté peut connaître :

1° en pays de mission, dans le cadre d’une chrétienté qui s’élabore ;
2° dans une terre christianisée de longue date, telle qu’on a pu le voir dans notre ancienne chrétienté d’Occident pendant des siècles ;
3° enfin dans une chrétienté réduite à la clandestinité par la persécution, où les chrétiens martyrisés puisent la force de tenir bon dans leur foi.

Bien évidemment, je ne citerai qu’un nombre très restreint de témoignages, mais vous pourrez continuer l’enquête par vous-mêmes.

10. Je vous écoute. Dites-moi donc d’abord le rôle joué par la messe dans la construction des jeunes chrétientés, et comment la messe est devenue le centre et le point culminant de leur vie sociale.

Je vais essayer de répondre à ces deux exigences. Voici un premier témoignage. Il émane d’un évêque missionnaire, ancien supérieur de la Congrégation des Spiritains.

« C’est en mission que j’ai commencé à apprendre ce qu’était la messe. Certes, je connaissais, par les études que nous avions faites, ce qu’était ce grand mystère de notre foi, mais je n’en avais pas compris toute la profondeur. Cela, je l’ai vécu jour après jour, année par année, dans cette Afrique et particulièrement au Gabon où j’ai passé treize ans de ma vie missionnaire… Et là, j’ai vu, oui, j’ai vu ce que pouvait la grâce de la sainte Messe ; je l’ai vu dans ces âmes saintes qu’étaient certains de nos catéchistes. Ces âmes païennes transformées par la grâce du baptême, transformées par l’assistance à la messe et par la sainte Eucharistie, ces âmes comprenaient le mystère du Sacrifice de la Croix, offraient leur sacrifice et leurs souffrances avec Notre Seigneur Jésus-Christ et vivaient en chrétiens. J’ai pu voir ces villages de païens devenus chrétiens se transformer non seulement, je dirai, spirituellement et surnaturellement, mais se transformer physiquement, socialement, économiquement, politiquement ; se transformer, parce que ces personnes, de païennes qu’elles étaient, étaient devenues conscientes de la nécessité d’accomplir leurs devoirs, malgré les épreuves, malgré les sacrifices, de tenir leurs engagements et en particulier les engagements du mariage. Et alors le village se transformait peu à peu sous l’influence de la grâce, sous l’influence de la grâce du Saint Sacrifice de la Messe, et tous ces villages voulaient avoir une chapelle, tous ces villages voulaient avoir la visite du Père… pour assister à la Sainte Messe ».

Monseigneur Marcel Lefebvre, Homélie de son Jubilé sacerdotal, 23 septembre 1979.

Ce témoignage montre bien la fécondité sociale de la messe, mais en voici un autre. Il ne s’agit plus de la brûlante Afrique, mais du Grand Nord canadien et de ses Esquimaux.

Le Père Buliard, vient d’annoncer une Grand-Messe à Mgr Fallaize, évêque d’un jour.

« Quand il m’entendit l’annoncer, il me dit :
– Une Grand-Messe ? Mais ça prend du latin !
– Eh oui, lui répondis-je, et c’est eux qui l’ont voulu…
Et je lui racontai comment un dimanche, quand je leur indiquais quelques cantiques esquimaux à chanter ensemble de leur côté, ils avaient rétorqué :
– Et toi, que fais-tu pendant ce temps-là, qu’est-ce que tu pries ?
– Mais la messe, la Grande Prière.
– Alors, tu la dis dans ta langue à toi, pas dans la nôtre ?
– Non, dans la langue des priants catholiques.
– Et nous, nous ne sommes pas des catholiques comme les autres, autant que les autres ?
– Si, mais vous n’y comprendriez rien !
– Et chez toi, ils comprennent ? Non, n’est-ce pas ? Mais ils prient quand même. Alors nous aussi, nous voulons prier avec eux, comme eux.
C’est ainsi, Monseigneur, qu’ils m’ont obligé de leur apprendre les chants latins de la messe, verset par verset. Et maintenant, ils chantent la messe en chœur, les femmes répondant aux hommes. Et savez-vous ? Ce sont les tons qu’ils aiment le mieux chanter, bien mieux même que les bons vieux airs français sur lesquels nous leur avons bâti des cantiques esquimaux.
Mgr Fallaize put s’en rendre compte le dimanche matin, lui qui chantait si faux que les Esquimaux s’entre-regardaient. Eux chantaient parfaitement. Après l’office, Monseigneur, les larmes aux yeux, me prit la main :
– Père, je crois que ce coup-ci, nous sommes arrivés au bout, on ne peut aller plus haut, ni faire mieux ».

P. Roger Buliard, o.m.i., Mgr Pierre Fallaize, premier missionnaire et évêque des esquimaux du cuivre (1887- 1964), Paris, Opéra, 1972, p. 162-163.

11. Pourriez-vous maintenant passer à une chrétienté de vieille souche et montrer quelle place y occupait la messe ?

Le mieux est ici de laisser la parole à John Senior. Il a parfaitement su décrire la place centrale occupée par la messe dans notre civilisation européenne :

« Qu’est-ce que la culture chrétienne ? Essentiellement, la messe. Je n’affirme pas là mon opinion, ni l’opinion ou la théorie ou le vœu de l’un ou de l’autre, j’indique le pivot de deux mille ans d’histoire. La chrétienté, ce que les naturalistes appellent la civilisation occidentale, c’est la messe avec tout l’appareil qui la protège et la favorise. Toute l’architecture, tout l’art, toutes les institutions politiques et sociales, toute l’économie, toutes les manières de vivre, de sentir et de penser des peuples, leur musique et leur littérature: toutes ces réalités quand elles sont bonnes, ne sont que des moyens de favoriser et de protéger le Saint Sacrifice de la messe. Pour accomplir un sacrifice, il faut un autel, et au-dessus de l’autel un toit pour le cas où il pleuvrait. (…) Autour de l’église et du jardin où nous enterrons les fidèles défunts, vivent ceux qui s’en occupent: le curé, le sacristain et les religieux dont le travail est la prière et qui conservent le mystère de la foi au sein de ce tabernacle de musique et de paroles qu’est l’office divin. Et autour d’eux se rassemblent les fidèles qui participent au culte divin et se partagent les autres travaux nécessaires pour perpétuer et rendre possible le sacrifice : ils produisent la nourriture et confectionnent les vêtements, ils travaillent à instaurer et sauvegarder la paix. Ainsi les générations à venir pourront-elles vivre pour celui dont le Sacrifice doit se poursuivre jusqu’à la consommation des siècles ».

John Senior, La restauration de la culture chrétienne, Dominique Martin Morin, 1991, p. 15-16.

12. Quel tableau ! La vie sociale tout orientée au culte de Dieu, c’est magnifique ! Demeure-t-il un signe visible de la place qu’à ainsi occupée la messe ?

Oui, et il est même aussi évident que le nez au milieu de la figure : voyez les magnifiques églises qui parsèment notre sol français. Le paysage français lui-même nous apprend que la messe a été véritablement le cœur de la chrétienté, car à 5, 10 ou 15 km, tandis que le village ou la ville demeurent encore invisibles, apparaît le clocher. Depuis les cathédrales somptueuses (représentant un siècle de travail pour des armées de bénévoles et d’artisans), jusqu’aux plus petites chapelles romanes de nos campagnes, nous conservons un signe irrécusable de l’effort de tout un peuple pour construire des lieux de culte dignes d’abriter la présence réelle de Notre Seigneur et de servir de cadre à la plus grande des actions : la messe. La cathédrale de Chartres vers laquelle nous marchons, n’est-elle pas le symbole de cette présence massive de la messe sur notre sol.

13. Vous aviez promis de parler aussi de la messe en chrétienté persécutée.

Je me limiterai à trois témoignages. D’abord celui d’Istvan Regöczi, prêtre hongrois, qui s’est mis au service des petits orphelins de son pays, avant de connaître les geôles communistes. Ecoutons-le :

« Pour moi la messe avait toujours été ce qu’il y avait de plus important (…) A l’orphelinat, j’apprenais à mes enfants à honorer la messe par-dessus tout. C’est pourquoi j’avais eu tant de peine de ne pouvoir célébrer la messe dans ma première prison. [Il ne peut célébrer que s’il parvient à se procurer du vin. Tout dépend donc pour lui de ce peu de vin.]. Dès l’aube, sur mon lit, quand mes compagnons de cellule dormaient encore, je célébrais le mystère de la messe, l’offrande du Seigneur accomplie sur la Croix. Pour moi, la messe était une telle source de force et de consolation qu’elle se transformait en offrande personnelle. (…) Quand je me rappelle ces messes, je rends grâce au Bon Dieu de m’avoir fait comprendre vraiment en prison le sens de la messe : un sacrifice, ce grand sacrifice que le Seigneur Jésus accomplit au milieu de terribles souffrances, dans une abnégation totale, dépouillé de tout et abandonné. (…) En prison, j’ai appris qu’il n’y a pas de plus grand événement, ni de plus grande valeur sur cette terre que la messe, pour laquelle on doit être prêt à tous les sacrifices, même s’il faut aller jusqu’au bout du monde pour une messe. En prison, le but, le point central de ma prière, ce n’était pas de pouvoir être libéré à bref délai, mais de pouvoir célébrer chaque jour le Saint Sacrifice ».

Istvan Regöczi, L’envol des aiglons, Fayard, 1992, p. 385

Un autre témoignage, très parlant pour des jeunes, peut être cherché dans la vie du Bx Carl Leisner, donné comme modèle à la jeunesse par Jean Paul II. Jeune allemand, extrêmement dynamique, il nous est connu par son journal. Après une longue lutte intérieure (il aime passionnément une jeune fille et fonder une famille chrétienne, quelle merveille !), il opte pour le sacerdoce. Dieu l’appelle, il veut répondre. A peine a-t-il été ordonné diacre en 1939, qu’on doit l’hospitaliser : il a la tuberculose. Au sana où il achève de se remettre, il est dénoncé comme anti nazi, arrêté et déporté au camp de concentration de Dachau, où se retrouveront 3000 autres prêtres. Il y atteint un sommet de sainteté, acceptant dans la joie, les terribles ravages d’une tuberculose qui le ronge peu à peu. Divine surprise : le 17 décembre 1944, il est ordonné prêtre en secret, par Mgr Piguet, évêque de Clermont-Ferrand. Tous, dans le camp, se sont mobilisés pour préparer cette cérémonie. Les moindres rites prévus par le pontifical sont respectés, jusqu’aux sandales liturgiques confectionnées avec l’aide d’un pasteur protestant. La cérémonie se déroule dans un immense recueillement. En grands ornements pontificaux, l’évêque français impose les mains au diacre allemand. Le silence règne dans le sanctuaire.

C’est le moment souverain : Carl est en train de devenir prêtre. Neuf jours, plus tard, en la fête de saint Etienne, premier martyr, il célèbre sa première et sa dernière messe. « Jamais je n’oublierai avec quelle ferveur et quelle émotion il offrit le saint sacrifice », rapporte un témoin. Cet épisode nous montre tout un camp de prisonnier prenant des risques graves pour qu’un jeune diacre puisse devenir prêtre et dire la messe une et une seule fois. Quel témoignage sur la grandeur et l’importance de la messe ! (Cf. René Lejeune, Comme l’or passé au feu, Carl Leisner, 1915-1945, éd. du Parvis, 1989, p .246-251).

14. Permettez-moi une objection. Les chrétientés persécutées ne se sont-elles pas très souvent trouvées dépourvues de prêtres, et par suite de messes, parvenant malgré cela à tenir bon ? Songez aux chrétiens japonais.

Votre objection me permet d’introduire mon dernier témoignage. Il est rapporté par Maria Winowska. Un de ses voisins lui a relaté une bouleversante messe sans prêtre à laquelle il a assisté en Pologne. Avant d’être arrêté, le curé avait laissé des instructions à ses paroissiens :

 « Tous les jours, des milliers de messes se célèbrent dans toutes les parties du monde. Branchez-vous donc sur ces messes par une pure et fervente intention. Ainsi, la messe du pape à Rome deviendra votre messe si vous le voulez bien.» 

Pendant tout un carême, ce bon curé avait aussi prêché sur la communion spirituelle.

« Si vous ne pouvez communier sacramentellement, communiez par le désir. Dieu fera le reste. »

Et le témoin occidental de cette «messe» ajoutait :

« Pour la première fois de ma vie, dans cette église sans prêtre, je réalisais ce qu’est une messe… »

Et nous, qui en faisons souvent si bon marché ! conclut la narratrice (Maria Winowska, Du sang sur les mains, éd. Saint-Paul, 1971, p.89-99).

15. Un dernier mot, je vous prie.

Pour saint Thomas d’Aquin, l’effet propre de l’Eucharistie, c’est l’unité de l’Église (Saint Thomas, Somme théologique, IIIa, q. 73, a. 3). La communion au même corps du Christ à la messe nous unifie donc en un seul corps, en une même chrétienté. N’y a-t-il pas là un moyen précieux à mettre en œuvre ? On ne se sauve pas seul, individuellement, mais tous unis en un même corps mystique, dans l’unité de l’Église.

ABBAYE SAINTE MADELEINE DU BARROUX

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