Éternel, je me tais ; en ta sainte présence
Je n’ose respirer, et mon âme en silence
Admire la hauteur de ton nom glorieux.
Que dirai-je ? Abîmés de cette mer profonde
Pendant qu’à l’infini ta clarté nous inonde,
Pouvons-nous seulement ouvrir nos faibles yeux ?
Si je veux commencer à chanter tes louanges
Et que, déjà mêlés parmi les chœurs des anges,
Je médite en moi-même un cantique charmant,
Dès que, pour l’entonner, ma langue se dénoue,
Je cesse au premier son, et mon cœur désavoue
De ma tremblante voix l’indigne bégaiement.
Plus je pousse vers toi ma sublime pensée,
Plus ta majesté je la sens surpassée,
Se confondre en elle-même et tomber sans retour.
Je t’approche en tremblant, lumière inaccessible ;
Et, sans voir dans son fond l’Être incompréhensible,
Par un vol étonné je m’agite à l’entour.
Cessez : qu’espérez-vous de vos incertitudes,
Vains pensers, vains efforts, inutiles études ?
C’est assez qu’il ait dit : »Je suis Celui qui suis. »
Il est tout, il n’est rien de tout ce que je pense.
Avec ces mots profonds j’adore son essence,
Et, sans y raisonner, en croyant, je poursuis.
Dieu puissant trois fois saint, seul connu de toi-même,
À qui je dis sans fin, dans mon ardeur extrême :
Je suis à toi, Seigneur, et mon cœur est rendu ;
Répands dans mon esprit ton esprit ineffable
(Mais quoi ! puis-je l’aimer autant qu’il est aimable)
Et reçois dans ta paix mon amour éperdu.
Descends, divin Esprit, pure et céleste flamme,
Puissant moteur des cœurs qu’en secret je réclame,
Et toi qui le produis dans l’éternel séjour,
Accorde ta présence à mon âme impuissante,
Fais-en, car tu le peux, une fidèle amante
Et pour te bien aimer donne-lui ton amour.
Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704)