Entretien avec le Père Basile,
de l’abbaye Sainte Madeleine du Barroux
Est-il possible de démontrer l’existence de Dieu par la raison humaine sans la foi ?
Introduction. Possibilité de la démonstration rationnelle de Dieu
L’existence de Dieu n’est pas immédiatement évidente, et nécessite une démonstration. Or, de fait, même sans la foi, la raison naturelle est capable de démontrer l’existence de Dieu. Comment ? À partir de l’existence et de l’organisation de l’Univers. Cette possibilité de connaître Dieu par la raison se démontre par des raisonnements issus des cinq fameuses « voies » de saint Thomas d’Aquin (cf. Somme de théologie, I, q. 2, a. 2 et 3).
L’existence de Dieu, déjà suggérée par l’organisation géniale du microcosme et du macrocosme, peut être démontrée philosophiquement de manière rigoureuse.
Quelles sont les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ?
Saint Thomas d’Aquin en propose 5. On peut les moderniser.
1e : La preuve par le changement ou par le mouvement : qu’est-ce ?
La 1ère se prend du mouvement. Le mouvement de tout être en mouvement doit être dû à un moteur. Si ce moteur est lui-même en mouvement, son mouvement doit être dû à un autre moteur, et ainsi de suite. Si une série infinie de moteurs devait être réalisée pour que le 1er mouvement observé puisse avoir lieu, celui-ci n’aurait jamais lieu. Donc la série des moteurs doit s’arrêter à un premier moteur, qui n’est pas lui-même en mouvement. On peut moderniser cette argumentation en affirmant que toute l’énergie et la matière en mouvement dans ce monde doit avoir une origine première qui elle n’est pas en mouvement. Et par ailleurs, de rien, rien ne peut sortir.
2e : Qu’est-ce que la preuve par la causalité efficiente ?
La 2e se prend de la causalité. Elle possède la même structure que la voie par le mouvement, mais est plus générale, car elle concerne toute causalité efficiente. Toute cause de quelque phénomène est ou bien causée, ou bien non. Si elle est causée, sa cause est elle-même soit causée, soit non, et ainsi de suite. Il faut donc s’arrêter à une première cause non causée.
3e : Que dit la voie par la contingence ?
La 3e voie se prend de la contingence. On appelle contingent ce qui pourrait ne pas être. Un événement contingent peut être causé par une cause nécessaire, mais un événement nécessaire ne peut évidemment pas être causé par une cause contingente. Si aucune cause n’est nécessaire, tout est contingent. Mais si tout est contingent, rien ne fait que quelque chose est plutôt que de ne pas être, donc rien n’est, ce qui est manifestement faux. Donc quelque chose au moins est nécessaire. Or si quelque chose est nécessaire, ou bien il tire sa nécessité de lui-même, ou bien il la tire d’une cause de sa nécessité ; cette cause, à son tour, ou bien tire sa nécessité d’elle-même, ou bien d’un autre. Et ainsi de suite. Il faut donc remonter à un premier nécessaire, qui tire sa nécessité de lui-même : c’est Dieu.
« Le monde et l’homme attestent qu’ils n’ont pas en eux-mêmes ni leur principe premier ni leur fin ultime, mais qu’ils participent à l’Être en soi, sans origine et sans fin. Ainsi, par ces diverses « voies », l’homme peut accéder à la connaissance de l’existence d’une réalité qui est la cause première et la fin ultime de tout, « et que tous appellent Dieu » (S. Thomas d’A., I 2,3) » (Catéchisme de l’Église catholique [= CEC] 34).
4e : Comment est formulée la preuve par les degrés d’être ?
La 4e voie se tire des degrés d’être qu’on constate dans les choses. Certaines « qualités » des choses sont dites « plus ou moins » en proportion de leur proximité avec une qualité absolue de ce type (par exemple le bien, le beau, l’être, le vrai, l’intelligence, etc.). Cette qualité absolue est leur modèle, ce qu’on nomme leur cause exemplaire. Celle-ci est la cause pour laquelle ces qualités sont telles. Pour prendre un exemple concret, une statue de Napoléon tire sa qualité d’être ressemblante à Napoléon du fait qu’il y a un modèle qui s’appelle Napoléon. De même les choses ne peuvent être dites être, vraies, bonnes, belles, que s’il y a un modèle de ces caractéristiques qui lui-même n’est pas fait sur le modèle d’autre chose. Pour ne pas remonter à l’infini dans la série des causes exemplaires, il faut s’arrêter à un exemplaire primordial, Dieu.
5e : En quoi consiste la preuve par l’ordre du monde ?
La 5e voie se prend de l’ordre qui existe dans l’Univers. Dans l’Univers, les différents êtres ne produisent pas n’importe quel effet, mais seulement certains types d’effets. Pour que ce rapport à un tel type d’effet existe, rapport que les choses ne se sont pas données à elles-mêmes, il faut qu’un être capable de percevoir ce rapport, donc intelligent, ait posé ce rapport. On remonte ainsi, via l’impossibilité d’aller à l’infini, à un premier Intelligent, responsable de l’organisation de tout l’Univers. Et c’est ce que tout le monde nomme « Dieu ».
Tout changement, tout effet, toute nécessité, toute perfection, tout ordre, nécessitent respectivement un premier moteur immobile, une cause première non causée, un être nécessaire par lui-même, une cause exemplaire première de toute perfection, une Intelligence première ordonnatrice.
Bibliographie – Pour aller plus loin :
ELDERS Léon J. (s.v.d.), La théologie philosophique de saint Thomas d’Aquin ; trad. par les soins des moines de l’abbaye Notre-Dame de Fontgombault. – Paris : Téqui, 1995. – 519 p. ; 22 cm. – (Croire et savoir ; 22). ISBN 2-7403-0335-1
EMONET Pierre-Marie, O.P. (1917-2000), Dieu contemplé dans le miroir des choses : une philosophie théologique pour les simples. – Chambray-lès-Tours : CLD, 1997. – 142 p. ; 22 cm. ISBN 2- 85443-329-7
GRISON Michel, Théologie naturelle ou théodicée, Paris, Beauchesne (Cours de philosophie Beauchesne, 6), 19652, 204 p.
JEAN-PAUL II (pape ; 1978-2005), Dieu et l’existence du mal. – Paris : le Laurier, 1989. – 23 p. ; 18 p. – (Collection du Laurier ; 85). ISBN 2-86495-097-9.