Entretien avec Nicolas Jeanson,
vice-président fondateur de l’Institut de Formation de Management respectueux des Personnes (IFMP)
Quelle est la base d’une politique de reconnaissance des personnes ?
Dans notre monde d’aujourd’hui, pour beaucoup d’entreprises la réussite est mesurée en termes de chiffre, en termes de ratios financiers, en termes de cours de l’action, en termes de chiffre d’affaires. Est-ce que c’est nécessairement le quantitatif, le chiffre qui doit être la finalité d’entreprise ?
La question de la finalité de l’entreprise est une question essentielle parce que la finalité c’est ce à quoi tout devrait s’ordonner. Quand on pose la question en micro trottoir « quelle est la finalité l’entreprise ? » les gens interrogés répondent spontanément « c’est le profit ». L’idée selon laquelle l’entreprise n’existerait que pour faire du profit est très largement répandue. Or, il me semble que c’est une erreur.
Il ne faut pas confondre l’entreprise en tant qu’institution, dont la raison d’être est de répondre aux besoins d’un client, avec les motivations de ses dirigeants et actionnaires qui expriment des exigences de résultats financiers.
En tant qu’institution, toute entreprise a pour finalité de répondre au besoin d’un client, sous forme de produit, de service, de fonction, que le client n’est pas capable de réaliser lui-même. Pour y parvenir, l’entreprise mobilise tout un ensemble de ressources et de moyens de toutes natures au service de cette finalité, en veillant à sa viabilité économique.
Naturellement toute entreprise a besoin d’être gérée avec rigueur, avec ambition et il faut des chiffres pour en assurer le pilotage. Toute entreprise doit être profitable, sous peine de mourir. La difficulté consiste à maintenir dans la durée un équilibre entre les attentes des clients, les attentes du personnel, celles des dirigeants et actionnaires.
Lorsque cet équilibre est rompu l’entreprise est en grand danger.
Cela peut être le cas lorsque la motivation des dirigeants d’entreprise soit exclusivement la recherche d’un profit personnel, et qu’elle détourne la finalité institutionnelle de l’entreprise. Cet état de fait crée un désordre, crée une instabilité, qui met en danger l’entreprise.
Comment peut-on remettre la personne au cœur de l’entreprise ?
Pour mettre la personne au cœur de l’entreprise, il faudrait d’abord reconsidérer la nature du travail proposé. Les entreprises sont des lieux où l’on travaille individuellement et collectivement. Chaque personne ne peut accomplir son travail qu’en coopération, en collaboration avec les autres.
Si on veut respecter la dignité de chaque personne au travail, il faudrait :
– pouvoir proposer un travail qui soit pleinement humain pour chaque personne
– et en même temps créer les conditions permettant de développer les meilleures relations de travail possibles avec tous les partenaires qui entourent chaque personne dans l’entreprise.
Alors pourquoi justement la qualité, le qualitatif est au cœur de la performance?
Le besoin de qualitatif s’observe très bien de façon expérimentale. Il suffit d’interroger les collaborateurs d’une entreprise en leur posant une question tout à fait simple :
« pour bien faire le travail qui vous est demandé, qu’attendez des gens qui vous entourent ? » c’est- à-dire de vos subordonnés, vos collègues, ou vos chefs.
Partout où ces questions sont posées, indépendamment des cultures, indépendamment des pays, indépendamment des niveaux hiérarchiques, les gens répondent toujours de façon similaire :
- j’aimerais qu’on me fasse confiance,
- j’aimerais qu’on m’écoute,
- j’aimerais que les autres soient fiables,
- j’aimerais que quand j’ai besoin d’aide il y ait quelqu’un pour me donner un coup de main,
- j’aimerais que les informations circulent de façon fluide, exacte et rapide
- j’aimerais que j’obtienne des réponses à mes questions
- j’aimerais que mon travail soit reconnu
- j’aimerais que mon chef soit un chef qui soit attentif, qui m’aide en cas de coup dur et non pas qu’il cherche à m’enfoncer quand je suis en difficulté
Toutes choses qui sont indépendantes des compétences techniques mais qui ont tout à voir avec des qualités de comportements, des attitudes et des relations. Ce que les gens expriment de façon constante doit être pris au sérieux : ce dont ils ont absolument besoin pour réussir dans les missions qui leur sont confiées est d’ordre qualitatif et donc leurs dirigeants devraient y répondre en favorisant des espaces où la qualité du travail, la qualité des relations entre les personnes va pouvoir se développer.
Alors comment peut-on reconnaître les personnes qui sont orientées vers la qualité ou comment peut-on évaluer de façon objective la contribution d’une personne sans mettre en doute la confiance qu’elle a en elle ?La première question est : quelles sont les attentes formulées par les dirigeants ?
Il faut commencer par-là, car il ne peut y avoir de reconnaissance sans qu’au préalable il n’y ait des critères de reconnaissance. Et ces critères de reconnaissance s’expriment d’abord par rapport à des attentes formulées. Quelles sont donc les attentes formulées ?
Est-ce que ce sont exclusivement des attentes de résultat quantitatifs, autrement dit, faites ce que vous voulez pourvu que le résultat soit là, les résultats chiffrés. On connaît bien les effets pervers de ce genre d’exigence de résultat.
La loi du plus fort, du plus malin, du plus tricheur finit par s’imposer…
Par contre si, ce que nous avons souligné précédemment, c’est à dire l’importance des comportements, des attitudes, de tous vis à vis de tous dans l’entreprise, est quelque chose d’essentiel pour l’obtention de la performance, il faut être cohérent et retrouver ces attitudes et comportements dans les critères d’évaluation. Non pas en tant que souhaits mais en tant qu’exigences.
Alors ensuite, on se demandera comment évaluer de façon juste. Parce que ce qui doit être évalué n’est pas mesurable mais représentatif de ce que les gens vivent et peut être observé. Mais ces réalités de la vie professionnelle ne seraient-elles pas trop subjectives ? Comment faire pour évaluer de façon juste quelque chose qui est subjectif ? Beaucoup renoncent en disant qu’il est impossible d’être impartial et qu’on finira par récompenser les gens à la tête du client. D’autres disent « mais allons ! La subjectivité c’est nous, c’est tout un chacun. C’est l’humain ! » Nous sommes des êtres subjectifs et dans le travail la dimension subjective, comme on l’a montré est essentielle. Donc, nous devons en tenir compte. Comment en tenir compte sans commettre trop d’erreurs ? Un bon moyen consiste à se mettre à plusieurs pour évaluer les services rendus. Ne jamais évaluer seul une personne. Soumettre son évaluation à un tiers. Aller rechercher des données factuelles qui renvoient a de l’expérience, du vécu, du vécu commun. Et je peux dire que dans les entreprises qui fonctionnent de cette façon-là, on est étonné de voir qui que cela se passe très bien et que les contestations des évaluations produites par les chefs sont microscopiques.
Alors en conclusion, comment replacer la personne au cœur de l’attention ?
Il faut être cohérent. Si l’on pense que le développement des qualités comportementales est essentiel pour l’obtention de la performance collective, il faut en tenir compte. Cette tâche ne peut pas être confiée à des ordinateurs, ni à des systèmes, ni à des procédures, on ne peut confier cette mission là qu’à des hommes. Et donc dans une entreprise où on veut replacer l’humain au cœur de l’attention, il faut confier des hommes à d’autres hommes à qui on va faire confiance pour exercer pleinement leur métier d’encadrement.
Bibliographie – Pour aller plus loin :
– « Comment construire la civilisation de l’amour » Père Marc-Antoine Fontelle – Éditions Téqui.
– « Replacer l’homme au cœur de l’attention » Chronique d’un sauvetage industriel – Nicolas Jeanson – Éditions du Net