Entretien avec le général Marc Paitier
« Qu’est-ce qu’un bon chef ? »
Quelle différence faites-vous entre l’autorité et le commandement ?
L’autorité est un pouvoir qui s’exerce sur les volontés, qui est attaché à un état, à une fonction qui lui donne sa légitimité. C’est l’autorité du père de famille, du chef de cordée, du chef d’entreprise, du chef de corps, du chef de l’État. La diversité et la hiérarchie des corps sociaux fondent la variété des modes d’autorité. On ne dirige pas une équipe de football comme on dirige une famille ou une entreprise. Pour faire comprendre ce qu’est l’autorité, je me référerai à ce que je connais, le monde militaire. La prise de commandement d’un régiment donne lieu à une cérémonie au cours de laquelle est prononcée une phrase rituelle qui nous donne la clef de ce qu’est l’autorité. Le général qui préside la cérémonie s’adresse aux officiers, sous-officiers et soldats du régiment et désignant de la main le nouveau chef, il leur demande de le reconnaître pour leur chef et de lui obéir en tout ce qu’il commandera pour le bien du service, l’observation des règlements, le respect des lois et le succès des armes de la France. Par cette formule, on comprend que l’autorité n’existe pas pour elle-même mais qu’elle est orientée vers le bien commun. Si telle n’était pas le cas, elle perdrait sa légitimité. Plus qu’un pouvoir l’autorité doit donc être considérée comme un service. C’est en ce sens qu’elle est bienfaisante. Elle est pourtant souvent perçue aujourd’hui comme un carcan. On voit dans le chef un ennemi, un étouffoir de la personnalité. Il faut alors revenir à l’étymologie du mot qui dérive du verbe latin « augere » qui veut dire « augmenter ». L’autorité est donc cette force qui permet à une société à travers les individus qui la composent de prospérer, de se développer. On aura compris que l’autorité n’appartient pas à celui qui la détient. Celui-ci en est seulement le dépositaire le temps qu’il occupe la fonction à laquelle l’autorité se rattache. Celle-ci s’inscrit dans une structure hiérarchique. Elle est toujours subordonnée à une autorité supérieure. Et cela le Chrétien le comprend bien qui sait que toute autorité vient de Dieu.
Le commandement est l’art d’exercer l’autorité.
Deux écueils à éviter : l’autoritarisme qui est une caricature de l’autorité conçue comme une fin et le manque d’autorité qui s’appelle la démagogie. C’est celle des parents trop permissifs. Dans les deux cas il s’agit d’un manque d’amour.
D’après vous quelles sont les qualités requises pour être un bon chef ?
Il convient tout d’abord de définir le chef. Il est celui qui décide et qui commande, celui qui transforme la pensée en action et propage cette énergie autour de lui. J’aime définir le chef comme celui qui rayonne. Le chef parfait n’existe pas car aucun homme ne rassemble parfaitement toutes les qualités requises. Il n’y a pas, par ailleurs, de portrait type et unique du chef. Il suffit de considérer les grands chefs militaires pour constater combien ils sont différents. Il n’en demeure pas moins qu’ils présentent un ensemble de qualités qui leur sont communes. Je n’en ferai pas ici un inventaire exhaustif mais je citerai en les développant ce qui constitue à mon avis les quatre grandes vertus du chef avec les qualités qui en découlent :
La compétence : l’autorité sans compétence est impuissante. La compétence est une des principales sources de la confiance qu’inspire le chef à ses subordonnés. Elle est le fruit de la connaissance qui s’acquiert par l’étude et de l’expérience. Elle n’est jamais définitivement acquise.
Elle ne réside pas dans la maîtrise au plus haut degré de tous les savoir-faire de ses subordonnés. Elle se situe au niveau d’emploi du chef. Le chef ne se substitue pas à ses subordonnés mais il optimise leur action en restant à sa place. Cela passe par une bonne connaissance des capacités de ses subordonnés et des outils dont ils disposent.
La force de caractère : c’est l’élément actif du commandement. « Il vaut mieux cent moutons menés par un lion que cent lions menés par un mouton »
– Courage physique mais davantage encore courage intellectuel. Ne pas être servile vis à vis de l’autorité, vis à vis de son chef, être capable de lui dire des vérités qui vont le déranger, de défendre un point vue différent du sien. Ne pas être démagogue vis à vis de ses subordonnés. Les reprendre, les sanctionner quand il le faut.
– Exigence en commençant par soi-même cela s’appelle l’exemplarité. On ne peut pas demander aux autres ce que l’on ne s’applique pas à soi-même. L’exigence envers ceux que l’on commande :
« le soldat pardonne mal à celui de ses chefs qui ne l’amène pas à se dépasser » Général Lagarde
« Le chef est un marchand d’espérance » disait Napoléon.
– Persévérance, Endurance – Goût du risque
– Esprit de décision
Le désintéressement : les subordonnés perçoivent d’instinct le chef qui agit pour lui-même, qui recherche sa propre gloire, son intérêt, qui est animé par le désir de plaire, qui ne tire de l’autorité qu’un profit égoïste. Une saine ambition personnelle est légitime mais elle ne doit jamais être le moteur principal. Le moteur principal, c’est le bien commun, l’intérêt général. Le chef est le premier serviteur d’une fin qui dépasse sa petite personne et celles de ses subordonnés. Toute autorité est un service et cela nous le savons par notre Divin Maître. Servir : donner sans attendre de contrepartie. Humilité. Enthousiasme.
Dans les réussites le chef n’oublie pas qu’il n’est rien sans ses subordonnés, il rend hommage à leurs mérites ; dans les échecs, il assume sans se défausser sur ses subordonnés. Il s’en prend à lui-même.
Le chef qui posséderait ces qualités au plus haut degré ne serait qu’une mécanique froide s’il lui manquait ce qui rend toutes ces qualités efficientes en les vivifiant et en les rendant actives : ce sont les qualités de cœur du chef : la générosité, l’attention qu’on porte à ses subordonnés, la chaleur que l’on établit dans les relations, l’humour. Elles établissent une relation qui prend la forme de la camaraderie qui est à la base de l’esprit de corps et de la cohésion. Cet esprit de corps (ou d’entreprise) est plus efficace que la force contraignante pour faire marcher les hommes. Lyautey disait « il vaut mieux une troupe moins bien entrainée moins bien formée mais bien en main qu’une troupe très bien instruite très bien formée et moins bien en main.»
Bibliographie – Pour aller plus loin :
- – « Qu’est-ce qu’un chef?» Général d’armée Pierre de Villiers – Éditions Fayard 2018.
- – « Le rôle social de l’officier » Maréchal Hubert Lyautey – Omnia (nombreuses éditions).
- – « Paroles d’action » Maréchal Hubert Lyautey – Hachette livre BNF 2018.
- – « Décider dans l’incertitude » Général Desportes – Economica 2015.
- – « L’exercice du commandement dans l’armée de terre » Ministère de la Défense, préface du général Lagarde, édition de 1980.