En dix ans, le Pèlerinage traditionaliste a vu doubler ses effectifs, élargissant son audience à un nouveau public. Sur fond d’une demande spirituelle croissante des nouvelles générations.
Ce week-end de Pentecôte, près de 18 000 pèlerins marcheront de Paris à Chartres (Eure-et-Loir) pour la 42e édition du Pèlerinage de l’association Notre-Dame de Chrétienté. Soit 12 % de plus qu’en 2023. Cette année encore, l’organisation a dû limiter les inscriptions pour des raisons logistiques. Ce sera une première participation pour Romain Rivière, 39 ans, entraîné par sa fille de 11 ans, qui parcourra 50 km, quand les plus grands en feront près de cent. L’effort physique, expression concrète d’une ferveur, participe au succès auprès des jeunes : la moitié des pèlerins inscrits à l’unique pèlerinage national comportant trois jours de marche a moins de 20 ans. Nombre d’entre eux découvrent à cette occasion la messe « de saint Pie V », c’est-à-dire célébrée selon le rite antérieur à la réforme promulguée par le concile Vatican II : le prêtre, seul à l’autel, dos au peuple, prie le plus souvent à voix basse, en latin, sans presque dialoguer avec l’assemblée ; la communion est donnée directement dans la bouche, et les filles ne sont pas admises au service de l’autel.
Attentifs, les organisateurs déploient une soigneuse pédagogie pour introduire les pèlerins au rite ancien, le seul admis au cours du pèlerinage : « Comme chef de chapitre (un groupe de 30 à 50 pèlerins) au cours de cinq pèlerinages, j’ai expliqué la signification des gestes et des prières de la messe à mes groupes. Il suffit de se laisser porter », s’enthousiasme Cécile Rose, qui s’apprête à marcher pour la vingtième année vers Chartres. La Toulonnaise pratique également la forme ordinaire du rite (la messe dite de Paul VI), tout en se disant plus nourrie par la messe en latin, « plus silencieuse, permettant une plus grande union avec le prêtre, plus “verticale” ».
Un besoin de repères
Les longues processions de jeunes pèlerins dans la plaine de Beauce, les marqueurs d’identité – bannières imprimées de fleurs de lys, prêtres en soutane, uniformes scouts – captent l’attention des médias. Cependant, le succès du pèlerinage traditionaliste relève d’une dynamique plus générale, qui voit s’affirmer une demande spirituelle croissante des jeunes générations. Le père Vincent Breynaert, directeur du Service national pour l’évangélisation des jeunes et pour les vocations, pointe les indices d’une évolution : « 45 000 jeunes venus de France ont participé aux JMJ au Portugal en 2023, soit 50 % de plus que lors de la précédente édition dans un pays européen, à Cracovie (Pologne), en 2016 ; le Frat de Jambville – pèlerinage annuel d’Île-de-France des 13-15 ans, à la Pentecôte – rassemblera plus de 11 000 jeunes ; les pèlerinages pour les étudiants au Puy-en-Velay, au Mont-Saint-Michel, le pèlerinage Exode du diocèse de Toulouse à Lourdes font le plein. À Lille, cette année, la “messe à la bougie”, en semaine, a rassemblé régulièrement 900 étudiants. » Les enseignements dispensés au cours de la marche vers Chartes, assurés notamment par les chefs de chapitre (animateurs de groupe) à partir d’un livret, répondent au besoin de repères de la génération actuelle. « 80 % d’entre elle n’a pas reçu d’éducation chrétienne, après deux générations qui se sont éloignées de l’Église », observe le père Breynaert. Mais quelle expression de la tradition chrétienne est-elle transmise ? En juillet 2021, un décret du pape François intitulé Traditionis Custodes (Gardiens de la tradition) a strictement encadré la possibilité de célébrer la messe dite « traditionnelle » (tridentine), codifiée au concile de Trente (XVIe s.). Revenant sur un choix de Benoît XVI après une « consultation approfondie des évêques », le pape jésuite mettait en doute l’acceptation de Vatican II par les tenants de cette forme liturgique.
Des fractures anciennes
Traditionis custodes a consterné les traditionalistes, sans affecter la dynamique positive du pèlerinage de chrétienté. « Rome n’a pas compris, se récrie Cécile Rose. Je vis une union de foi dans les deux formes du rite. Il est déjà compliqué d’être chrétien en France, on ne va pas réveiller les clivages. » La ferveur des pèlerins recouvre en effet des fractures anciennes dans l’Église du XXe siècle. La première édition du pèlerinage, en 1983, fut lancée sur le conseil du militant nationaliste Bernard Antony, membre du Front national de 1984 à 2008. Pour Paul Airiau, historien du catholicisme contemporain, « les fondateurs du pèlerinage de chrétienté et ceux qui l’organisent souhaitent la reconquête chrétienne de la France par le biais de la tradition catholique, donc en relation critique avec Vatican II. Une partie des participants adhère à cette perspective, quand une autre y trouve une vie spirituelle intense dans un milieu catholique jeune et dynamique ». Le cardinal Müller, critique virulent du pape, célébrera la messe de clôture du pèlerinage. Tout un symbole.