Ré-information sur les "points non-négociables"

des points clairs qui dérangent certains milieux catholiques

Un résumé pour lequel nous remercions Le Salon Beige.


Les principes non-négociables ont été définis par Benoît XVI en 2006 dans un discours mémorable gênent. Terriblement. Y compris chez certains catholiques qui préfèrent ne pas changer leurs petites habitudes électorales ou qui préfèreraient avoir de claires consignes de vote pour ne pas avoir à user de leur conscience.

Dans un article publié aujourd'hui dans La Croix, Isabelle de Gaulmyn écrit : "Benoît XVI (...) a utilisé l’expression à deux reprises : en 2006, dans un discours aux participants au congrès du Parti populaire européen. Mais il reprend alors un premier document de 2002, écrit par le même Ratzinger, alors préfet pour la congrégation pour la doctrine de la foi, une note doctrinale concernant certaines questions sur l’engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique de 2002."
C'est un peu court. Et elle écrit ensuite : "Ce sont ces trois mêmes points que reprennent Mgr Rey, et Mgr Aillet dans leurs documents. Mais le texte de 2006 laisse bien entendre que ce ne sont pas les seuls. Et si l’on va voir dans le document de 2002, la liste est beaucoup plus exhaustive, reprenant à peu près tous les domaines de la doctrine sociale de l’Eglise. Aux trois mentionnés ci-dessus s’ajoutent la protection sociale des mineurs, la libération des victimes des formes modernes d’esclavage, ou le développement dans le sens d’une économie qui soit au service de la personne et du bien commun, dans le respect de la justice sociale, et enfin le thème de la paix…."

Bref, si toute la doctrine sociale de l'Eglise n'est pas négociable, cela va vraiment devenir difficile et comme l'écrit la journaliste de La Croix "alors autant aller à la pêche le jour des élections". Ainsi, en ajoutant une multitude de points aux principes non négociables, on en vient à vider ces principes de leur substance et in fine, à les négocier... Chapeau l'artiste.

Pour bien comprendre les principes non négociables, il faut suivre un peu plus attentivement la pensée de Benoît XVI. En 2004, le même cardinal, qui développe depuis bien longtemps à travers ses oeuvres et ses conférences une réflexion autour de la loi naturelle et de principes qui seraient reconnus par toute personne (croyante ou non) comme non-négociable, a écrit un texte dont voici un extrait : "Les questions morales n’ont pas toutes le même poids moral que l’avortement ou l’euthanasie. Par exemple, si un catholique était en désaccord avec le Saint-Père sur l’application de la peine capitale ou sur la décision de faire la guerre, il ne serait pas considéré pour cette raison comme indigne de se présenter pour recevoir la sainte communion. L’Eglise exhorte les autorités civiles à rechercher la paix et non la guerre et à faire preuve de modération et de miséricorde dans l’application d’une peine aux criminels. Toutefois, il peut être permis de prendre les armes pour repousser un agresseur ou d’avoir recours à la peine capitale. Les catholiques peuvent légitimement avoir des opinions différentes sur la guerre ou la peine de mort, mais en aucun cas sur l’avortement et l’euthanasie."

Ce texte soulève une question essentielle : les sujets moraux n'ont pas tous le même poids. Et c'est pourquoi certains (mais pas tous) sont non-négociables. Il définira ces points dans le discours de 2006 évoqué plus haut. Si le pape a mis en exergue trois principes non négociables, c'est qu'ils sont à distinguer des autres points contenus dans la doctrine sociale de l'Eglise. De fait, ce qui touche à la vie, à la famille et à l'éducation fonde la société et, en ce sens, ces points sont métapolitiques. Nier le droit à la vie et détruire la famille c'est instaurer une barbarie en lieu et place de la Cité. Les autres aspects de la doctrine sociale -propriété privée, rôle de l'Etat, corps intermédiaires...- ne peuvent être appliqués que si les trois premiers points sont respectés, sinon dans les faits, au moins en droit.

En 2007, le Saint-Père a rappelé ces principes au paragraphe 83 de l'exhortation Sacramentum Caritatis. Le Pape rappelle que "le culte agréable à Dieu n'est jamais un acte purement privé, sans conséquence sur nos relations sociales" : "cela vaut pour tous les baptisés, mais s'impose avec une exigence particulière pour ceux qui, par la position sociale ou politique qu'ils occupent, doivent prendre des décisions concernant les valeurs fondamentales, comme le respect et la défense de la vie humaine, de sa conception à sa fin naturelle, comme la famille fondée sur le mariage entre homme et femme, la liberté d'éducation des enfants et la promotion du bien commun sous toutes ses formes. Ces valeurs ne sont pas négociables. Par conséquent, les hommes politiques et les législateurs catholiques, conscients de leur grave responsabilité sociale, doivent se sentir particulièrement interpellés par leur conscience, justement formée, pour présenter et soutenir des lois inspirées par les valeurs fondées sur la nature humaine. Cela a, entre autres, un lien objectif avec l'Eucharistie (cf. 1 Co 11, 27-29). Les Évêques sont tenus de rappeler constamment ces valeurs; cela fait partie de leur responsabilité à l'égard du troupeau qui leur est confié."

Le 8 septembre 2010, le Pape a rappelé ces principes non négociables aux membres de l'ACPE : "Dans l'actuel contexte social, où des peuples et des cultures entrent en contact, le développement de ces droits universels, intangibles, inaliénables et indivisibles, est obligatoire. J'ai souvent dénoncé les dangers associé au relativisme des valeurs, des droits et des devoirs qui, s'ils n'étaient pas une base objective et rationnelle commune, dériveraient de cultures particulières, de leurs lois et jugements particuliers. Sans cela, comment les institutions internationales comme le Conseil de l'Europe pourraient-elles assurer cette base?... Comment pourrait-il favoriser un dialogue fructueux entre des cultures aux valeurs différentes...sans valeurs universelles admises par tous ses états membres? Ces valeurs, ces droits et devoirs, trouvent leur origine dans la dignité naturelle de l'homme, dans ce que la raison humaine peut comprendre. Loin de l'entraver, la foi chrétienne favorise cette recherche et invite à rechercher un fondement surnaturel à cette dignité".

Et pour ceux qui pensent encore que tous les aspects moraux ont le même poids, le Saint-Père a dit que ces principes doivent être encore plus respectés lorsqu'est en cause la vie humaine, "de sa conception à sa fin naturelle, le mariage qui est un don exclusif entre un homme et une femme, la liberté religieuse et l'éducation. Toutes conditions obligatoires si l'on veut répondre de manière correcte aux enjeux de l'histoire".

Le 22 octobre 2010, à César Mauricio Velásquez Ossa, nouvel ambassadeur de Colombie, qui lui présentait ses lettres de créances. Benoît XVI a déclaré : "je désire à nouveau manifester l’intérêt qu’a l’Eglise de soutenir et d’encourager la dignité de la personne pour laquelle il est essentiel que l’ordonnancement juridique respecte la loi naturelle dans des domaines aussi importants que la sauvegarde de la vie humaine, de sa conception jusqu’à son terme naturel, le droit de naître et de vivre dans une famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme, ou le droit des parents à ce que leurs enfants reçoivent une éducation en accord avec leurs critères moraux ou leurs croyances propres. Tout cela constitue les piliers irremplaçables dans l’édification d’une société vraiment digne de l’homme et des valeurs qui lui sont consubstantielles."

"Piliers irremplaçables" : l'expression est extrêmement forte. Le 16 avril 2011, Benoît XVI déclarait à Mme María Jesús Figa López-Palop, ambassadrice espagnole : "L'Eglise veille sur les droits de l'homme fondamentaux... Elle veille sur le droit à la vie humaine depuis son commencement jusqu'à son terme naturel, parce que la vie est sacrée et que personne ne peut en disposer arbitrairement. Elle veille sur la protection et l'aide à la famille et soutient des mesures économiques, sociales et juridiques afin que l'homme et la femme qui contractent un mariage et fondent une famille, aient le soutien nécessaire pour accomplir leur vocation à être un sanctuaire d'amour et de vie. Elle soutient aussi une éducation qui intègre les valeurs morales et religieuses selon les convictions des parents, comme c'est leur droit, et comme il convient au développement intégral des jeunes. Et, pour la même raison, une éducation qui inclut aussi l'enseignement de la religion catholique dans tous les centres pour ceux qui la choisissent...".

Il n'y a visiblement qu'en France que certains catholiques se voilent encore les yeux. En 2008, le cardinal Angelo Bagnasco, président de la Conférence épiscopale italienne, avait réaffirmé ces principes non négociables : "la défense de la vie humaine dans toutes ses étapes, de la conception à la mort naturelle, et la promotion de la famille fondée sur le mariage, refusant d'introduire dans la législation publique d'autres formes d'union qui contribueraient à la déstabiliser, en occultant son caractère particulier et son rôle social irremplaçable. C'est à la lumière de telles valeurs fondamentales que chaque personne est appelée à exercer son discernement, car il s'agit de valeurs qui constituent depuis toujours l'être même de la personne humaine (...) il n'y a pas de quoi s'étonner ou être scandalisé si l'Eglise réaffirme les valeurs morales qui jaillissent de la foi chrétienne, et que la raison, qui ne cesse d'enquêter sur ce qu'est l'homme, - selon l'expérience universelle - découvre souvent elle-même. Ce sont ces valeurs qui ont inspiré l'histoire de notre peuple, sa civilisation, ses horizons d'ouverture et de cohésion. (...) l'Eglise apprécie le grand bien de la raison (et la défend) aussi bien de toute prétention rationaliste qui tendrait à réduire les horizons, que de la prétention de certains fidéismes qui refusent de se donner la peine de penser".

Citant la constitution Gaudium et spes, il avait rappelé que "le Saint Synode mettait l'accent sur une série de dangers, que nous qualifierions aujourd'hui de non négociables, dans la mesure où ils minent le bien constitutif de la personne, soit tout ce qui porte atteinte à la vie même, comme toute sorte d'homicides, le génocide, l'avortement, l'euthanasie, voire le suicide. Dans cette même ligne, le Concile a longuement parlé du bien fondamental et inégalable de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme. Tout comme il a parlé de l'éducation et de son extrême importance, et de la liberté que celle-ci suppose, consacrant à ce thème tout un document : la déclaration Gravissimum educationis. Vraiment, il n'y a absolument rien d'improvisé dans ce que l'Eglise aujourd'hui rappelle aux hommes et aux femmes de bonne volonté".

La réflexion de Ratzinger/Benoît XVI ne vient donc pas de sa seule imagination... Et le cardinal Bertone l'avait également bien compris en 2008 : "Sur la 'promotion de la vie humaine, de sa conception jusqu'à sa fin naturelle, sur la sauvegarde de la famille fondée sur le mariage entre un homme et une femme, l'éducation des enfants, le pape Benoît XVI a également appelé plusieurs fois à la non négociabilité de ces principes, qui ne dépendent pas de l'Église ni de sa supposée intransigeance ou, pire, de son esprit fermé face à la modernité ; ils dépendent plutôt, de la nature humaine, à laquelle ces principes sont liés.''